Le jugement très sévère porté par Jacques Parizeau sur la déchéance du réseau public d'éducation francophone du Québec est le type de contribution modèle qu'un ex-chef de gouvernement ou d'État peut apporter à la société qu'il a dirigée.
Cela est d'autant plus percutant lorsque le personnage a été lui-même un grand réformateur, étroitement associé dans les années 1960 à une véritable révolution qui a propulsé le Québec dans la modernité en fournissant à l'État des outils d'intervention qui lui ont permis de catalyser son développement économique et, à ses citoyens, de faire collectivement un bond rapide en avant en éducation.
En 1962, a rappelé M. Parizeau, 54 % des adultes québécois n'avaient pas dépassé leur sixième année d'études. La réforme menée par Paul Gérin-Lajoie et la création des cégeps ont permis de démocratiser l'accès à l'éducation et ont ouvert les portes des universités à tous les jeunes Québécois. Le rattrappage a été spectaculaire.
M. Parizeau n'a pas déterré une réalité profondément cachée. Les statistiques annuelles du ministère de l'Éducation révèlent année après année des taux de décrochage épidémiques au secondaire chez les garçons, le fossé entre la réussite au privé et au public, la prolongation indue des études secondaires et collégiales avant l'obtention d'un diplôme, d'une qualité de plus en plus aléatoire. Mais cette fois, l'alarme a été sonnée, sans partisanerie politique et très froidement, sur la base de statistiques, par un ex-premier ministre, réformateur, l'un des très rares diplômés de la London School of Economics de sa génération, professeur dans la tête et dans l'âme toute sa vie.
Les boomers forment la première cohorte de Québécois instruits; nous avons pourtant laissé par la suite ceux que j'ai baptisés des olibrius à barbichette du ministère de l'Éducation bousiller le modèle d'enseignement mis en place et se servir de nos enfants comme des cobayes de laboratoire et nous sommes maintenant face à un gâchis social dramatique. La force de l'intervention de Jacques Parizeau est qu'elle est signée Jacques Parizeau. En même temps toutefois, elle est un constat brutal du laisser-faire des dirigeants politiques, libéraux et péquistes, qui ont abandonné l'enseignement au Québec à ces technocrates qui les ont manipulés et dont ils se sont bêtement fait les porte-voix.
La belle-mère
Il s'en trouvera sûrement, comme l'actuelle ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, pour prendre un raccourci rapide. Pauline Marois n'est pas assez souverainiste au goût de M. Parizeau. Jacques Parizeau est connu pour avoir tiré dans les jambes des chefs du Parti québécois moins orthodoxes que lui sur l'accession à la souverainité. Pauline Marois se targue d'être la marraine de la dernière et catastrophique réforme de l'enseignement et de l'évaluation des élèves. Jacques Parizeau a choisi cette plate-forme pour miner la crédibilité de Pauline Marois.
Le syllogisme se tient parfaitement. Mais il ne s'agira que d'un dommage collatéral de sa sortie, par lequel il ne faut pas se laisser distraire. La reprise en main du système d'éducation par des élus aux idées claires sur le modèle à instaurer et à la volonté politique ferme de l'imposer devrait être au coeur de la prochaine campagne électorale québécoise. Libéraux et péquistes se débattront toutefois dans des sables mouvants pour nous convaincre de leur détermination à revenir aux fondements de l'enseignement au primaire et secondaire et de l'évaluation rigoureuse des élèves, après avoir cautionné tour à tour ce que Jacques Parizeau appelle le «charabia brumeux» des supposées réformes. Pauline Marois se vante encore de la sienne et le Parti libéral, au pouvoir depuis 2003, n'a pas eu la colonne vertébrale pour corriger vraiment le tir depuis cinq ans. Seule l'ADQ martèle depuis quelques années qu'un redressement s'impose d'urgence.
Le réseau public d'éducation est à ce point gangreneux qu'une personne à l'autorité intellectuelle reconnue, animée par des valeurs partagées par la majorité des Québécois, détenant une poigne de fer et surtout un gros bon sens, devra être recrutée hors des rangs des partis traditionnels pour imposer un retour aux éléments de base d'un bon enseignement dans le réseau public, comme cela s'est fait dans l'histoire pour dénouer des crises importantes.
Le prochain palmarès des écoles québécoises est maintenant attendu avec anxiété.
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