Québec - Sur la scène politique québécoise, l'année 2007 s'annonce tout simplement exceptionnelle. Le déclenchement d'élections générales au Québec paraît inévitable. Fait rarissime, les chefs des trois principaux partis politiques, Jean Charest, André Boisclair et Mario Dumont, jouent leur avenir politique.
Rarement a-t-on vu une telle conjoncture politique. Pendant que le sort du gouvernement minoritaire de Stephen Harper est entre les mains des partis d'opposition qui pourraient le faire tomber, le Parti libéral du Québec est déterminé à se lancer en campagne électorale en 2007.
Ce que redoutent avant tout Jean Charest et ses stratèges, c'est une défaite des conservateurs au début de 2007, avant que Stephen Harper ne dépose son budget et puisse le faire adopter. À Québec, on attend fébrilement ce budget qui doit contenir un règlement acceptable du déséquilibre fiscal. Un budget fédéral qui n'apporterait aucune solution, à tout le moins partielle, au déséquilibre fiscal constituerait une énorme tuile pour les libéraux de Jean Charest. Mais à cet égard, tout indique que Jean Charest a obtenu des assurances minimales de la part de son homologue canadien. Pourvu que le ministre des Finances, Jim Flaherty, puisse faire adopter son budget, implore-t-on à Québec.
En effet, advenant la défaite en chambre du gouvernement Harper, une victoire des libéraux fédéraux de Stéphane Dion serait possible. Si une telle victoire survenait avant que Jean Charest ne puisse déclencher des élections, ce serait un coup dur pour le PLQ. Adieu le règlement du déséquilibre fiscal, dont M. Dion n'a jamais reconnu l'existence. Adieu l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser. Adieu le fédéralisme d'ouverture sur lequel s'appuie la stratégie de Jean Charest et de son ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, Benoît Pelletier. Tout s'écroulerait comme un château de cartes, d'autant plus que les Québécois, dont la sagesse ou l'ambiguïté, c'est selon, les incite à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier, seraient plus disposés à accorder sa chance au Parti québécois, question d'équilibrer la donne.
Pour André Boisclair, évidemment, c'est le scénario idéal, celui qui consisterait à avoir l'épouvantail Dion comme premier ministre du Canada. Les déclarations manoeuvrières du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, dont les députés pourraient faire tomber le gouvernement Harper sur la question de la mission canadienne en Afghanistan au début de 2007, vont dans le sens de ce scénario. Le bras droit du chef bloquiste, Pierre Paquette, l'a toutefois contredit sur ce point, sans doute avec son accord. Plusieurs élus bloquistes estiment qu'il y a un risque à vouloir précipiter les choses.
Les quatre scénarios de Jean Charest
Le scénario privilégié des stratèges libéraux - le «scénario de référence», comme on le dit dans l'entourage du premier ministre -, c'est le déclenchement des élections au printemps, au terme d'un mandat traditionnel de quatre ans, après le dépôt du budget du Québec et après la tenue du congrès libéral, fin mars, un événement qui servirait de bougie d'allumage à la campagne électorale.
Les libéraux croient que ce scénario est possible. Il implique que le gouvernement Harper ne soit pas défait à la suite du dépôt de son budget. L'appui des néo-démocrates et des deux indépendants lui assurerait tout juste la majorité nécessaire. On croit même que le Bloc, devant un budget qui réglerait en bonne partie le déséquilibre fiscal, ne pourrait pas faire la fine bouche. En contribuant à faire tomber rapidement ce gouvernement conservateur qui reconnaît le déséquilibre fiscal, le Bloc ne favoriserait-il pas l'élection d'un gouvernement libéral centralisateur? Le Bloc serait alors accusé d'avoir levé le nez, au profit du Parti québécois, sur une avancée qui correspond aux intérêts supérieurs du Québec. Même pour le Bloc, la partie n'est pas simple.
Le deuxième scénario consiste en un déclenchement des élections au Québec dès février. Jean Charest pourrait forcer le jeu s'il est convaincu que le gouvernement conservateur est condamné à tomber au printemps, au moment où lui-même souhaite aller aux urnes. Le chef libéral pourrait également opter pour ce scénario précipité s'il ne croit plus que Stephen Harper réglera de façon satisfaisante le déséquilibre fiscal en 2007. Mais c'est un scénario plus risqué, qui exige que le taux d'insatisfaction envers le gouvernement Charest ait encore diminué et que les appuis en faveur du PLQ aient continuer de s'affermir.
Enfin, il ne faut pas écarter tout à fait que les élections au Québec aient lieu à l'automne 2007, voire au printemps 2008, à la toute fin du mandat légal de cinq ans. Dans ce scénario, Jean Charest n'aurait pas pu déclencher les élections très tôt en 2007 et le gouvernement Harper serait tombé. S'il décidait alors de renoncer à un scrutin à l'automne, c'est que les libéraux québécois seraient en sérieuse difficulté et que l'appui des francophones au Parti québécois ne se serait pas démenti.
L'enjeu référendaire: une carte libérale
Au cours de la prochaine campagne électorale, le gouvernement Charest, comme tout gouvernement qui demande un deuxième mandat, cherchera à vanter ses réalisations. Il tentera surtout de marquer des points en régions, alors que le vote francophone lui échappe toujours en bonne partie.
Dans cette optique, il a déjà multiplié les annonces pour amadouer les régions, par exemple avec sa politique de la ruralité, qui sera suivie au printemps prochain par une politique d'occupation du territoire. L'enveloppe budgétaire consacrée aux pactes fiscaux conclus avec les MRC a doublé, une mesure qui a été très bien reçue. En outre, le gouvernement Charest a atténué les frictions qui existaient avec l'Union des producteurs agricoles (UPA) en se montrant plus conciliant en matière de protection de l'environnement.
Devant la crise de la forêt, le gouvernement Charest est sorti de sa passivité pour soumettre un plan de sauvetage signé par le ministre du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, Raymond Bachand. De même, on croit que l'annonce des investissements massifs d'Alcan au Saguenay portera fruits sur le plan électoral.
En matière d'économie, malgré les difficultés dans l'industrie forestière et un secteur manufacturier qui est aux aguets en raison de la concurrence des économies émergentes, le bilan du gouvernement Charest est plus que présentable: baisse du chômage, diminution significative du nombre d'assistés sociaux, amélioration de la cote de crédit du Québec.
Mais ce ne sera pas suffisant. Les libéraux voudront faire du référendum un enjeu central de la prochaine campagne: voulez-vous un gouvernement qui fasse avancer le Québec ou un référendum le plus tôt possible? Jean Charest ne manquera pas de marteler ce thème. Ce n'est pas très original mais ça demeure efficace, croit-on chez les libéraux.
Les stratèges libéraux comptent aussi sur l'ADQ pour diviser le vote francophone. Dans l'entourage de Jean Charest, on se plaît même à rêver que l'ADQ forme l'opposition officielle.
En fin d'année, Mario Dumont a présenté une plate-forme électorale qu'il a qualifiée de centre-droit, un programme qui, s'il a le défaut de ne comporter aucun chiffre - ça viendra plus tard, assure le chef adéquiste -, contient des mesures claires, faciles à communiquer.
Plus important encore, l'ADQ a abandonné l'ambition de faire une percée dans la grande région de Montréal. Le programme adéquiste à saveur conservatrice ainsi que les prises de position de Mario Dumont contre les accommodements «déraisonnables» et pour le respect des valeurs québécoises sont faits pour séduire les régions industrieuses et épouser leurs vertus terriennes.
De son côté, André Boisclair n'aura sans doute d'autre choix que de prendre encore des libertés avec le programme du PQ. Il devra démontrer que le PQ est en mesure de gouverner mieux que l'impopulaire gouvernement Charest. À l'heure actuelle, il est assez difficile de voir comment le chef péquiste parviendra à concilier l'idée d'un bon gouvernement qui réalisera des engagements concrets au cours de son mandat avec le fait de tenir un référendum le plus vite possible au cours de ce même mandat.
Une campagne rude
Chose certaine, la prochaine campagne électorale au Québec sera rude. Elle sera menée sans quartier. André Boisclair cherchera à exploiter l'impopularité du gouvernement Charest, ses gaffes, ses cafouillages. Jean Charest tentera d'instiller le doute: André Boisclair a-t-il l'étoffe d'un premier ministre? A-t-il la maturité nécessaire, surtout qu'il veut plonger le Québec dans un autre référendum? Mario Dumont, qui n'a aucune prétention au pouvoir, s'en prendra à ses deux adversaires avec le sens de la formule qu'on lui connaît. Mais soyons assurés qu'il réservera ses flèches les plus acérées pour André Boisclair.
C'est sans parler des insinuations, des sous-entendus, du character assassination, comme disent les Américains, qui pourraient viser le chef péquiste. Mais c'est un couteau à double tranchant: André Boisclair a connu un sommet de popularité quand il posait en victime des médias qui l'interrogeaient avec insistance sur sa consommation de cocaïne.
Les trois chefs ont une chose en commun: leur avenir en politique active dépend des résultats aux prochaines élections. L'ADQ ne survivrait pas à son score de 10 ou 12 % qui enverrait Mario Dumont à l'Assemblée nationale avec deux ou trois néocréditistes sans expérience. Un tel résultat, n'en doutons pas, aurait raison de la détermination de Mario Dumont. De leur côté, les militants mais surtout les députés péquistes ne pardonneraient pas à André Boisclair d'avoir été incapable de conduire le PQ à la victoire contre «le gouvernement le plus impopulaire de l'histoire du Québec». Le PQ, dont le référendum serait repoussé aux calendes grecques, et tout le mouvement souverainiste traverseraient alors une période d'intense remise en question Enfin, en cas de défaite, Jean Charest subirait avec stoïcisme le sort que le PLQ, ce parti de pouvoir, réserve à ses chefs qui mordent la poussière: il démissionnerait promptement. En somme, les chefs des trois principaux partis au Québec lutteront pour leur survie politique. Une chose est sûre: l'année 2007 changera profondément le paysage politique au Québec.
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