Jean Charest aurait sans doute plus de chances de survivre, cet automne, au bitchage d'une bande de filles déchaînées de Loft Story qu'à une campagne électorale précipitée, tellement il se jetterait alors en pâture.
Non seulement n'a-t-il pas les résultats de sondages lui permettant de déclencher des élections avec des chances élevées de l'emporter, mais il a brûlé les meilleurs thèmes de la campagne des libéraux en 2003.
Il n'a en effet pas regagné la confiance d'une majorité de francophones, qui contrôlent 80 % des sièges à l'Assemblée nationale et un coude à coude dans les intentions de vote globales se traduit par une défaite assurée pour les libéraux. Ceux-ci ont toujours besoin de quelque quatre pour cent d'avance dans les intentions de vote révélées par les sondages pour espérer gagner, en raison de la concentration des votes anglophones et allophones dans une poignée de comtés. Des majorités écrasantes de 25 000 votes ne procureront toujours qu'un seul siège à l'Assemblée. De plus, les thèmes centraux de la campagne de 2003 pourraient difficilement être recyclés. Les libéraux plaideront peut-être avoir stabilisé la situation dans le secteur de la santé, mais ils ne pourront certes pas prétendre avoir redressé vraiment les problèmes structuraux. Ils ont aussi fermé la porte au privé dans leur réponse au jugement de la Cour suprême dans l'affaire Chaouli et ils sont en guerre ouverte avec les médecins spécialistes qui désertent de plus en plus le Québec.
Les baisses d'impôt promises d'un milliard de dollars par année n'ont pas été livrées; au contraire, la liste des hausses de tarifs pour les citoyens ne cesse d'allonger.
La réingénierie de l'État, qui devait se traduire par l'élimination de nombreuses sociétés, régies et organismes d'État et un allégement donc du secteur public, a été noyée dans le renouvellement des conventions collectives du secteur public, après trois années de retard. On n'en parle même plus dans les officines ministérielles.
Les grands projets de décentralisation des pouvoirs vers les régions et de déconcentration de l'appareil administratif, promises aux élus et aux populations des régions, accompagnées de la redistribution de redevances aux régions ressources, se sont heurtés aux résistances traditionnelles de la machine. Le gouvernement Charest a été incapable de les casser.
Le Parti libéral ne pourra sérieusement remettre à l'avant-plan ces divers engagements, à la base de son programme de 2003. Il déclencherait un fou rire général. Par contre, il devrait répondre en campagne électorale de ses innombrables ratés des trois dernières années; de ses nombreuses volte-face, à partir du dossier de la centrale thermique du Suroît jusqu'à la saga du mont Orford. En contrepartie, il ne pourrait que faire valoir un règlement tardif sur l'équité salariale qu'il étiole présentement; une vaporeuse politique de l'énergie et un pacte fiscal qui a réjoui les élus municipaux, mais qui laisse indifférent la quasi totalité des citoyens. Et l'on ne peut même plus tenir le compte des pertes d'emplois en régions dans des secteurs comme la forêt et la transformation du bois, le meuble, le textile...
Pour déclencher des élections, il faut avoir en main des sondages solides montrant de grandes chances de l'emporter, être acculé en fin de mandat, c'est-à-dire avoir exercé le pouvoir pendant au moins quatre ans et profiter de la meilleure embellie à compter de cet anniversaire pour tenter sa chance; ou sinon posséder un thème, un enjeu majeur pour l'ensemble de la société, qui permet de tenir une élection à caractère référendaire, comme la nationalisation de l'électricité, l'adhésion à un traité de libre-échange... Enfin, l'effondrement d'un autre viaduc à Laval et la fusillade au Collège Dawson ont déstabilisé le climat social pour cet automne.
Jean Charest n'a donc pas les conditions gagnantes. Il ne peut tout de même pas demander simplement à la population, comme le faisait Duplessis, de le laisser continuer son bon travail. Encore là, ce serait la risée. Sa meilleure carte d'atout est la vulnérabilité de l'adversaire, André Boisclair. C'est mince. Comme dans Loft Story, il risquerait trop de repartir avec sa petite valise.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé