Lévesque, la déification

Coalition pour l’histoire




La marche est très haute entre le mythe René Lévesque et la réalité de son bilan comme premier ministre. M. Lévesque a été un grand réformateur de 1960 à 1966, sous Jean Lesage; de 1976 à 1980 aussi, comme premier ministre lui-même, mais son deuxième mandat, de 1981 à 1985, a donné lieu à l'une des pires débandades de l'histoire contemporaine.
Cinquante-six pour cent des répondants à un sondage Léger Marketing ont pourtant choisi René Lévesque comme le plus grand premier ministre du Québec des 50 dernières années, très loin devant tous les autres. Robert Bourassa, dont on souligne cette semaine le dixième anniversaire du décès, arrive au deuxième rang à seulement 14 %; Jean Lesage, le père de la Révolution tranquille et ex-patron à cette époque de René Lévesque, 10 %; Lucien Bouchard, 7 %.
Les Québécois aimaient René Lévesque; ils s'identifiaient profondément à lui et ils l'ont en quelque sorte déifié depuis sa démission forcée en 1985 et encore davantage depuis sa mort surprise, le 1er novembre 1987, à 65 ans.
Le premier mandat Lévesque, de 1976 à 1981, a donné lieu à une seconde Révolution tranquille, tellement le train de réformes mises en branle a pu orienter la société québécoise: Charte de la langue française (loi 101), Loi sur le financement des partis politiques, réforme des achats gouvernementaux (Rosalie), zonage agricole, assurance-automobile, loi anti-scabs et j'en passe...
René Lévesque a ensuite très mal encaissé l'échec référendaire de 1980. Après un début de campagne en trombe, il a senti le tapis lui partir sous les pieds à la mi-course. Ceux qui l'accompagnaient alors ont été témoins que l'homme était irrémédiablement brisé. Le rapatriement unilatéral de la Constitution, accompagné de la perte du droit de veto du Québec, l'a achevé. Le grand rêve qu'il avait poursuivi d'une émancipation complète du peuple québécois, par l'accession à la souveraineté, s'est soldé par un recul historique.
René Lévesque a ensuite remporté l'élection de 1981 pour son plus grand malheur personnel. La plus profonde crise économique depuis le krach de 1929 allait frapper quelques mois plus tard. Les finances publiques du Québec se sont écroulées en 1982; le gouvernement Lévesque a adopté la ligne dure face aux syndiqués du secteur public et il a renié sa signature au bas des généreuses conventions collectives conclues en prévision du référendum de 1980, pour récupérer une tranche de 20 % des salaires accordés. René Lévesque est devenu «le boucher de New Carlisle» dans la propagande des mêmes syndiqués qu'il avait tant favorisés depuis le début de carrière publique. En revanche, il les a dénigrés pour leur corporatisme, comme jamais un leader politique n'avait osé le faire avant lui. Le climat social était alors tendu comme un arc.
Le Parti québécois était déjà très affaibli quand René Lévesque a forcé ses militants à prendre le «beau risque», en 1984, en soutenant l'élection à Ottawa du conservateur Brian Mulroney et en mettant au congélateur l'option souverainiste. Le PQ a alors littéralement éclaté. Plusieurs ministres poids lourds ont démissionné avec fracas, dont Parizeau, Laurin, Lazure... Abandonné, meurtri, René Lévesque, l'homme, a sombré. Un prétendant pressé, Pierre Marc Johnson, manoeuvrait pendant ce temps pour arracher la succession avant que la course officielle ne débute. Lévesque a été forcé de démissionner dans l'humiliation, en 1985. Son gouvernement était tombé en déroute totale.
Il revenait à peine à la sérénité lorsqu'il est mort, provoquant une vague unique de chagrin dans la population québécoise. Ce second mandat de René Lévesque a été incontestablement l'un des plus pitoyables de l'histoire politique contemporaine. Le Québec était sans direction; à peu près sans gouvernement.
René Lévesque est néanmoins entré dans l'histoire par la grande porte et, on le voit bien, l'icône qu'il est devenu dépasse l'homme grandeur nature, idéaliste mais vulnérable, qu'il est toujours demeuré.
Et c'est ainsi qu'à Québec, Robert Bourassa donnera son nom à une voie rapide urbaine de banlieue qui ne mène nulle part, l'autoroute du Vallon, tandis que René Lévesque a laissé le sien aux artères coronaires de la métropole et de la capitale. Histoire de raison et de coeur.


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