Des sophismes qui laissent pantois

Coalition pour l’histoire




Dans sa réplique à mon texte paru dans Le Devoir du 19 octobre, Frédéric Bastien s’en prend à mes positions en avançant un certain nombre de sophismes qui laissent pantois. Par exemple, que l’histoire sociale «réduit la politique à des luttes d’influence entre groupes sociaux» et qu’elle ne permet pas de comprendre «l’évolution du peuple québécois», ce que ferait l’histoire politique en s’intéressant aux grands hommes ou aux grands événements.
En fait, dans l’esprit de M. Bastien, s’intéresser aux grands hommes revient à s’intéresser au peuple puisqu’ils auraient été à la source de changements de sociétés importants. Il en veut pour preuve le fait que Pierre Elliot Trudeau a «présidé à la légalisation de l’homosexualité et fait insérer une charte dans la Constitution reconnaissant entre autres l’égalité des sexes et le multiculturalisme».
Or, cette affirmation constitue une démonstration éclatante de la vision souvent très étroite que l’histoire politique propage de notre passé collectif, car si, effectivement, Pierre Trudeau a fait adopter ces lois, l’histoire politique ne nous dit rien des luttes qu’ont dû mener les homosexuels et les femmes pour obtenir cette reconnaissance légale de leurs droits et des combats qu’ils et elles ont poursuivis depuis pour les faire respecter (pensons à l’homophobie dans les écoles, dont les médias font état régulièrement), ce à quoi s’intéresse, précisément, le métissage entre l’histoire sociale et politique auquel je faisais référence.
Vision la plus crédible?
N’en déplaise à M. Bastien, l’adoption de lois ou de mesures étatiques de toute nature résulte la plupart du temps «des luttes d’influence entre groupes sociaux». Pour donner un exemple d’actualité, disons que si, en vertu de sa conception de l’histoire politique, il fallait retenir que le gouvernement de Jean Charest a décidé de déclencher une commission d’enquête sur la construction, l’histoire sociale, elle, mettrait plutôt l’accent sur les pressions exercées par les autres partis politiques, les maires et la population, sans compter les médias par qui le scandale est arrivé, pour le forcer à agir, autrement dit, sur les rapports de force à l’œuvre dans la société québécoise depuis bientôt trois ans. Quelle vision semble la plus crédible, la plus respectueuse des faits?
En réalité, le «peuple» dont parle M. Bastien est totalement désincarné; il ne constitue qu’une donnée abstraite qui semble exister au seul bénéfice des grands hommes ou des grands événements. Son affirmation à l’effet que le «peuple» se désintéresse des travaux des historiens du social, qu’il fonde sur des données fournies par l’historien canadien-anglais Jack Granatstein puisées on ne sait où, est par ailleurs fort douteuse.
Calomnie
Dois-je rappeler que la première édition de l’ouvrage du Collectif Clio, L’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles (Éditions Quinzes, 1982) a connu un fulgurant succès de librairie (14 000 exemplaires vendus) et que Ménagères au temps de la crise (Remue-ménage, 1991 et 1993), résultat de ma thèse de doctorat, s’est vendu à près de 2000 exemplaires? Quant à l’idée qu’un complot fédéral empêcherait des chercheurs de travailler sur les Rébellions, elle frise le ridicule; il faut que le public sache que ce ne sont pas les fonctionnaires qui évaluent les demandes de subventions, mais des collègues qui travaillent dans le même domaine, dont certains sont même choisis à partir d’une liste fournie par la personne qui soumet la demande de subvention!
Enfin, je trouve tout simplement odieux que Frédéric Bastien affirme que les historiens du social «confisquent les ressources à leur profit», comme si nous étions une bande de malfrats. Il ne lui plaît peut-être pas que des subventions soient accordées à des projets qui mettent l’accent sur la dimension sociale de notre histoire et c’est son droit; en arriver à porter de telles accusations contre ces chercheurs est tout simplement inacceptable. Nous ne sommes plus ici dans le débat d’idées, mais dans la calomnie.
Denyse Baillargeon
Professeure d’histoire à l’Université de Montréal
20 octobre 2011


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