Mythistoire contre mythistoire...

De la pluralité des points de vue en histoire

Coalition pour l’histoire

De la pluralité des points de vue en histoire
On retrouve dans les textes de Denyse Baillargeon et Marc Simard une critique salutaire du rapport de Myriam D’Arcy et Éric Bédard sur l’enseignement de l’histoire au Québec. Est mise en question la pertinence de l’enseignement de l’histoire « nationale » dans une perspective étroitement « politique ». Tous deux ont mis le doigt sur le caractère idéologique, voire partisan et réducteur que comporterait un tel projet. Si Baillargeon insiste davantage sur l’approfondissement de la dimension politique par l’apport d’autres perspectives, Simard, de son côté, en bon polémiste, la rabaisse sans ménagement en l’identifiant non seulement au style vétuste de l’école positiviste, mais à la « vieille rengaine » de la « mythistoire » nationaliste ponctuée des sempiternels arrêts aux moments fondateurs : la conquête, les insurrections de 1837-1838, le traquenard confédératif, etc.
Personne ne contestera, je crois, que la focalisation exclusive sur l’état, la diplomatie, l’armée, etc., au détriment du foisonnement de la vie sociale, économique, culturelle et identitaire constitue un combat d’arrière-garde. On devrait plutôt s’interroger sur le type d’histoire qui convient aux niveaux secondaire et collégial en vue de la formation civique des individus.
Si le travail historique consiste bien à établir des liens significatifs et nouveaux entre le présent et le passé, le vrai défi consiste, à mon avis, dans le renouvellement de la problématique nationaliste. Dans un mémoire de maîtrise récent, je me suis intéressé pour ma part au rôle des milices dans le débat politique des années 1830 et, plus précisément, lors de l’éclosion de ce que l’on pourrait appeler à bon droit, en se plaçant au point de vue même des protagonistes, au lieu du terme mystificateur de « rébellion », la guerre civile naissante dans le district de Montréal en 1837.
Force est de le reconnaître : au plan historiographique, il y a plusieurs façons de raconter la même histoire (Pocock, « The historian as political
_ actor », Political Thought and History, 2009, p. 223). Rien de plus sain à vrai dire que l’apprentissage de la pluralité des points de vue en histoire. Par ailleurs, l’entrelacement entre histoire et mythologie laisse ouverte le problème de la place de la fiction dans les récits historiques. Déjà Nietzsche faisait dans Aurore (307) un jeu de mot entre « fiction » et « fait ». On se reportera aussi, à cet égard, au dernier numéro de la revue Le Débat,
_ « L’histoire saisie par la fiction ».
Ce que Simard ne dit pas, par contre, c’est que les scansions qu’il relève dans l’histoire nationale sont en grande partie celles-là même que l’on trouve du côté de la « mythistoire » canadienne. On va en avoir une bonne idée l’an prochain lors de la célébration du deux-centième anniversaire du début de la guerre de 1812 (où la question de la mobilisation des milices canadienne et britannique occupe incidemment une place centrale) ou lorsque seront complétées les fouilles du parlement canadien rasé en avril 1849, comme chacun sait, par les flammes vengeresses des émeutiers loyalistes sous l’œil bienveillant de l’armée. Ici c’est mythistoire contre mythistoire.
On peut même faire un pas de plus et affirmer que la double composante « ethnique » de la société québécoise (française et britannique) est en grande partie la matrice à l’intérieur de laquelle se sont développées les formations politiques et institutions canadiennes – gommer cela ce serait ni plus ni moins pratiquer une sorte de lobotomie psychique à l’échelle de la collectivité.
Une approche pédagogique saine consisterait à éveiller chez les adolescents la conscience de ce double héritage culturel, social, politique (comme on voudra) - une « mythistoire » à double volet, canadienne et québécoise. Avantage : se voir à travers l’histoire d’un autre ou d’un double point de vue périphérique et central. Tout le monde y trouverait son compte.


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2011

    Le problème, c'est que dans cette histoire plurielle, on ne pose pas correctement le problème des «niveaux de lutte» pourtant bien décrits par Séguin, de l'école de Montréal, et on oublie justement d'analyser avec un système de normes cohérentes et ouvertes qui permettraient de relativiser et de discuter d'une manière franche l'importance des objets étudiés, et de les justifier.
    En ce sens, la minorisation des Canadiens français, corolaire à l'Acte d'Union est le fruit d'une structure qui aura des répercussions pendant 160 ans en contraignant, d'une manière permanente, la nation québécoise à accepter le pouvoir de décision d'une autre nation.
    Ça explique aussi bien le projet omnibus des conservateurs de durcissement de la criminalité, contre toute la logique québécoise, que la conscription ou la pendaison de Riel. Vous en connaissez beaucoup, des événement et des structures qui ont un impact aussi profond et durable sur le corps social?
    L'exclusion de l'histoire politique (ou nationale) introduit un relativisme malsain par lequel tout serait finalement égal, de la composition des voiles de bateau au port du voile dans Parc extension, quelle est la justification d'étudier certains objets s'il n'y a plus d'étalon, d'événements prépondérants, le dada départemental? À l'aune de quelle balise décider de l'histoire commune?
    L'histoire nationale n'est pas seulement celle de «l'élite», elle influence toute la société et il se peut que des événements soient avec le temps interprétés différemment, par exemple la loi 101 en 77 n'a plus la même porté maintenant que l'on peut socialement en mesurer les limites, mais encore une fois, la prépondérance du ROC et de ses juges l'emporte contre la société québécoise.
    Qui étudiera ça dans 20 ans si les départements d'histoire n'enseignent plus l'histoire nationale? Ça n'empêchera pas le phénomène d'exister. Et pourtant s'il y a un phénomène dont les impacts sociaux très marquant, n'est-ce pas la question de la langue?
    À moins qu'à l'Université de Montréal on préfère même désormais engager des professeurss qui maitrisent mal le français et qui connaissent peu le Québec, pour enseigner une histoire canadienne? Auquel cas, il faudrait en effet trouver une justification à cette incohérence sans perdre la face.
    http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/333806/lettres-des-historiens-qui-ont-l-oubli-facile