«Je suis laïcité!»

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Assurer la neutralité de l'État, c'est empêcher le communautarisme de s'infiltrer

La remise à l’agenda politique du projet de Charte de la laïcité par Bernard Drainville est un geste citoyen on ne peut plus pertinent et à-propos à l’heure où de méprisables assassins ont visé le cœur d’un grand principe de nos sociétés démocratiques, celui de la liberté d’expression. Cette charte ne sera évidemment pas la potion magique qui mettra un terme à l’islam politique, mais elle aura au moins le mérite de tracer noir sur blanc les valeurs citoyennes qui animent le Québec.

Vigile salue le courage et la cohérence de Bernard Drainville. Vigile salue aussi tous les autres candidats à la direction du Parti Québécois qui se font un phare et un drapeau de la laïcité véritable.

Hélas, certains bien-pensants et hérauts du multiculturalisme fédéral ont déjà étalé au grand jour leur posture d’idiots utiles en affirmant que ceux qui ont été et qui sont en faveur d’une Charte de la laïcité ne peuvent prétendre à clamer «Je suis Charlie». Ces mêmes faux-jetons de la laïcité ont ainsi affirmé que d’interdire dans la fonction publique le port de signes religieux ostentatoires – clause grand-père ou pas – faisait entorse à la liberté d’expression.

Foutaise et ignorance que tout cela!

Faut-il rappeler à ces spécialiste de la désinformation qu'en démocratie les droits et libertés ne sont jamais absolus? Faut-il vraiment leur faire un dessin (au secours Charb!) et leur expliquer qu'en démocratie certaines limitations sont permises, salutaires mêmes et largement acceptées? Savoir au nom de quoi on interdit, permet d’asseoir le droit. Par ailleurs, faire en sorte que ce droit soit effectif et qu’il s’applique à toutes et à tous lui assure une légitimité. C’est ce qu’on appelle un État de droit.

Se donner des limitations n’est pas du tout contraire à l’esprit du droit. Il en est même le fondement et le garant. Le fait que les employés de l’État soient tenus, par exemple, à un devoir de réserve nous assure collectivement la neutralité de l’État. C’est-à-dire que l’on reconnaît par là que l’État est au-dessus des combats idéologiques, politiques et religieux.

Une Charte de la laïcité veut en tout et partout assurer la neutralité de l’État. Interdire dans l’appareil de l’État le port de signes religieux ostentatoires est certes une limitation de l’expression de la liberté religieuse. Mais dans ce cas-ci, ce qui prime c’est la séparation du politique et du religieux. L’État doit être soucieux de garantir à chacun et à chacune le respect de la liberté de conscience et pour se faire il doit afficher une stricte neutralité à travers ses représentants.

Les conséquences sur le plan politique sont immenses. C’est d’abord empêcher le communautarisme de s’infiltrer dans la Cité et d’affaiblir ainsi la puissance régalienne de l’État. C’est ensuite faire en sorte que la liberté de conscience de tous les citoyens soit respectée. La séparation du religieux et du politique, vous le savez, est fondamentale dans notre société ; elle est le résultat historique de nos luttes collectives. Le prosélytisme dans l’appareil de l’État met à mal cette séparation.

Certes Vigile mène le combat pour l'indépendance du Québec. C'est sa première vocation. Mais il ne peut mener en toute logique ce combat sans asseoir aussi l'indépendance de cet État indépendant sur son indépendance face aux religions.

Demander aux fonctionnaires de ne pas afficher leurs appartenances religieuses sur leur lieu de travail est acceptable et raisonnable tout comme est acceptable de leur demander de ne pas afficher sur ces mêmes lieux de travail leurs couleurs politiques. Dans ce dernier exemple, on n’a jamais dit que cela bafouait la liberté d’expression. La neutralité religieuse ou politique dans l’appareil de l’État préserve, encore une fois, la liberté de conscience de tous et garantit aux citoyens le même traitement civique et égalitaire. C’est une posture raisonnable en démocratie.

Les fonctionnaires tenus de respecter sur leur lieu de travail la neutralité étatique peuvent, en dehors de cet espace, exprimer leurs croyances comme ils le veulent. Ils peuvent se vêtir aussi comme ils le souhaitent. Leur liberté d’expression n’est pas brimée dans leur vie citoyenne de tous les jours. D’ailleurs, la laïcité n’a de sens que si la frontière entre l’espace privé et l’espace public est délimitée. Dans les États totalitaires, il n’y a pas séparation entre l’espace privé et l’espace public. On impose aux gens une seule norme à la maison, dans la rue et au travail. Ce n’est pas le cas en démocratie. Et ce ne sera pas le cas du Québec lorsqu'il aura réalisé son indépendance nationale. Pour comprendre la laïcité, il faut de fait établir cette distinction entre les espaces. D’ailleurs, la modernité est née à partir de cette dualité entre les deux espaces.

J’ai passé 38 ans dans la salle de rédaction du quotidien La Presse. Mon travail consistait à informer nos lecteurs. J’ai observé strictement un droit de réserve quant à mes opinions politiques. Pour moi, elles ne devaient pas interférer avec mon travail de journaliste. J’ai fait de mon mieux à ce chapitre. Pourtant, jamais je n’ai senti que ce droit de réserve brimait ma liberté d’expression en tant que citoyen.

Les casuistes bien-pensants de la liberté d'expression confondent le droit de religion à l’expression du droit de religion. Les fonctionnaires à qui l’on demande de mettre de côté l’expression de leurs croyances pendant leur fonction de représentant de l’État, à laquelle ils se sont consacrés volontairement, ne sont nullement brimés dans leur liberté de religion. On leur demande simplement pour le bien commun, pour favoriser un vivre-ensemble harmonieux, de ne pas se substituer à l’État par l’expression de leurs croyances. Il s’agit d’un civisme élémentaire qui ne brime en rien la liberté d’expression de la personne qui accepte le rôle qu’on lui confie dans ce lieu de rencontre, de neutralité politique et religieuse, qu’est l’appareil de l’État.

Faisons nôtre les paroles Gérard Biard, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo, qui dans le dernier numéro du magazine nous livre ce message lumineux : «Les millions de personnes anonymes, toutes les institutions, tous les chefs d’État et de gouvernement, toutes les personnalités politiques, intellectuelles et médiatiques, tous les dignitaires religieux qui, cette semaine, ont proclamé «Je suis Charlie» doivent savoir que ça veut aussi dire « Je suis laïcité»».


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