Le Canada unitaire avance inexorablement. Le jugement de la Cour suprême concernant la constitutionnalité de la taxe carbone vient de lui fournir sa base doctrinale. Ce qui jusqu’ici se déployait plus ou moins implicitement sous diverses mesures de centralisation va désormais s’afficher au grand jour. Le chantage politique et les manœuvres sournoises camouflées dans les calculs de la péréquation et des programmes de transfert, les coups fourrés à grand renfort du pouvoir de dépenser, ne disparaîtront pas pour autant. Mais l’intérêt national va maintenant servir de justificatif puissant.
Le gouvernement des juges vient de franchir une étape cruciale. Même l’un des leurs estime qu’il va trop loin. Et ce n’est pas parce qu’il vient de l’Alberta pétrolier que le juge Russel Brown a inscrit sa dissidence, c’est parce que, écrit-il, « Ce cadre d’analyse donne lieu à un nouveau modèle du fédéralisme fondé sur la hiérarchie et la supervision ». En clair, ses savants collègues ont décidé de donner à Ottawa l’autorité ultime pour sanctionner les choix et décisions des provinces. C’est le gouvernement fédéral qui a désormais le monopole de la définition légitime de l’intérêt national. Les vannes sont ouvertes. Cette fois, c’est au nom de la lutte aux changements climatiques, tantôt ce sera au nom du bien-être des personnes âgées, demain pour verrouiller les institutions culturelles. Le nationalisme du Canada postnational vient de trouver là sa voie de renouvellement et d’expansion. Et il n’y aura rien pour endiguer le flot de bien-pensance que la propagande libérale va déverser à grand renfort de rhétorique moralisatrice. Ottawa knows best ! Et c’est toujours pour notre bien.
Les Québécois qui pensent que l’Assemblée nationale du Québec est le lieu ultime de définition et d’orientation de notre vie collective viennent de se faire servir une autre leçon de choses. Nous ne sommes pas maîtres dans notre maison. Les indépendantistes le disent depuis longtemps. Les autonomistes, pour leur part, viennent de se faire rembarrer. Exit le pseudopragmatisme du compromis raisonnable. Sonia Lebel n’a eu d’autres choix que de prendre acte. Il lui restera toujours un peu d’espace pour déplorer, mais dans les faits elle vient déjà de tendre l’autre joue. Le supplice va s’intensifier et il ne lui restera plus que les lamentations et un rôle de clown à la foire aux illusions. L’autonomisme sans seuil de rupture n’est pas une posture politique, c’est un discours de consentement et de résignation. Les plus cyniques font semblant d’y croire, les mercenaires se taillent des carrières à fabriquer des écrans, à dresser de faux combats que les plus fragiles ne demandent qu’à endosser.
La pandémie et sa lassitude viennent de fournir un formidable coup de pouce à la logique de domination qu’Ottawa pourra conduire plus impunément que jamais. Ceux et celles qui faisaient des phrases sur les décisions d’Ottawa concernant l’augmentation des contributions fédérales au financement de la santé vont devoir faire des pirouettes de plus en plus disgracieuses. Radio-Canada n’en finira plus d’épiloguer sur l’effilochement du front commun des provinces…
C’est en réaction à ce jugement que le gouvernement Legault aurait pu vraiment prouver son attachement national. L’occasion est ratée. D’autres reviendront rapidement, mais les coûts de réplique vont grimper à très grande vitesse. À la veille de cueillir un solide mandat majoritaire, Ottawa ne manquera pas de promesses électorales pour mijoter les coups fourrés. Les promesses soigneusement tournées pour prétendre que le peuple s’est prononcé vont occuper une place centrale dans une arnaque unitariste sans précédent.
Il faudra savoir s’affranchir des arguties pseudoconstitutionnelles. La Cour suprême n’est pas la voie de la sagesse, elle est l’outil d’un régime et d’un ordre politique instrumentalisant l’activisme juridique. La constitution qu’elle ne se gêne pas de dévoyer ne gagne certainement pas en légitimité. Déjà conçue pour harnacher notre Assemblée nationale et corseter encore davantage l’expression de la volonté de notre peuple, cette constitution est plus que jamais un instrument d’assujettissement. On ne saurait la considérer sans autoaveuglement.
Là où le juge Brown s’inquiète pour sa province, le Québec doit s’alarmer de ce que cette inquiétude peut représenter comme piège pour lui-même. Car si l’Alberta grogne pour ce qu’Ottawa l’empêche de faire, en aucune manière les Albertains ne doutent de se définir comme Canadians et de reconnaître Ottawa comme leur gouvernement national. Les débats que le juge Brown va alimenter au Canada sont ceux-là qui porteront sur les limites et les modalités de la logique du compromis dans le processus unitaire. Pour le Québec les inquiétudes du bon juge sont d’une tout autre nature : l’ordre canadian ne va pas nourrir de simples arrangements politiques, il va programmer la dissolution de notre gouvernement national, sa réduction et sa succursalisation.
Le vote pour la CAQ a d’abord été un vote reposoir, un vote pour en finir avec le mépris libéral et le rejet d’un péquisme velléitaire et pusillanime. La rhétorique nationaliste permettait de jeter un peu de baume sur les plaies du dénigrement. Mais la logique canadian n’a rien perdu de sa force sous le poids des mots gentillets de notre premier ministre. Rien de ce que le gouvernement Legault n’a réclamé d’Ottawa n’a été concédé et, avec ce jugement, plus rien ne le lui sera accordé qu’à très fort prix.
À moins de sombrer dans la plus ubuesque des sémantiques, il ne peut y avoir deux doctrines de l’intérêt national dans… la même doctrine fédéraliste. Les arguties autonomistes ne servent plus désormais qu’à mettre du lubrifiant dans les rouages d’une machine à broyer le Québec. C’est là une vérité politique cruelle : le consentement à la soumission, le choix de se laisser dissoudre ne sont pas vivables comme options politiques explicites. Même les vaincus ont besoin d’illusions. Les marchands d’alibis vont faire de bonnes affaires. Il faudra les traquer sans relâche, montrer la démission et faire voir les simulacres. L’autonomisme n’est qu’un moment de la folklorisation. Il suffit de voir la condescendance de Mélanie Joly sur le « déclin » du français pour imaginer le traitement qu’Ottawa fera subir à la bourgade française qu’il aimera chérir.
Les indépendantistes ont plus que jamais la très lourde tâche de donner tort à Maurice Séguin qui disait l’indépendance nécessaire mais impossible. Il faut montrer que nous refusons qu’Ottawa soit notre maître. Et cela commence par la reconnaissance que la Cour suprême du Canada est la cour des autres. C’est un tribunal étranger qui se joue d’une constitution qui n’est pas la nôtre. La dépendance n’est pas une voie de développement. La soumission est incompatible avec l’honneur et la dignité.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé