En finir avec le «lent dérangement»

Chronique de Patrice Boileau


Difficile de trouver mieux que le titre merveilleux qu’ont déniché [Michel Venne et son équipe pour décrire ce que le Québec a enduré, dernièrement->19097]. Le Directeur général de l’Institut du Nouveau Monde, comme beaucoup d’autres dont l’auteur de ces lignes, semble en avoir marre de voir sa nation s’enliser depuis les cinq dernières années, dans ce qu’il qualifie « d’années molles. »
Cette période correspond en gros à l’arrivée du Parti libéral au pouvoir. L’ancien chroniqueur du quotidien « Le Devoir » trahit ainsi son allégeance souverainiste. Il s’empresse néanmoins de l’affranchir du principal parti politique au Québec qui en fait la promotion, en soulignant le fort taux d’abstention qui fut observé lors du dernier scrutin. Michel Venne souligne, en effet, dans une analyse publiée hier, que les Québécois manifestent peu d’intérêt envers les choix politiques qu’on leur offre présentement puisqu’ils boudent les urnes. Le gouvernement minoritaire que Jean Charest a dirigé, avant qu’il n’améliore son sort par défaut en décembre dernier, le prouve tout autant.
Plusieurs chantiers mal gérés sont soulevés par l’auteur pour démontrer la mollesse qui afflige présentement l’élite québécoise. Le gouvernement du Québec appartient à ce groupe qui a lancé la serviette, alors que la situation actuelle commande pourtant de grandes remises en question.
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[La saga du CHUM->rub127] est un exemple de cafouillage dont les derniers épisodes prouvent combien ce projet pue la magouille. Les fonds publics coulent à flot partout, sauf au bon endroit. Seul le peuple peut forcer le gouvernement Charest à y mettre un terme. Malheureusement, la société civile semble également sous l’effet de l’anesthésie qui caractérise le ramollissement déploré par Michel Venne. Les sommes vertigineuses attribuées par Québec pour effectuer des travaux d’infrastructures paraissent aussi condamnés à la dilapidation, à la lumière des rumeurs de copinages généralisés entre les pouvoirs publics et les soumissionnaires privés. Pendant ce temps, c’est l’Université du Québec qui crie famine.
L’éducation est également dans la mire du Directeur de l’Institut du Nouveau Monde. Surtout celle qui est dispensée dans les écoles secondaires. J’ai déjà proposé des pistes de solutions très simples à adopter pour essayer de diminuer le taux de décrochage scolaire dramatique, celui qui défraie de nouveau les manchettes. Accorder uniquement le permis de conduire à ceux qui obtiennent leur diplôme d’études secondaires (DES), ou leur concéder le droit de posséder une voiture et de circuler à son bord sans adulte, pourrait en motiver plus d’un à réussir leurs cours avant l’âge de 20 ans… De plus, une loi limitant le nombre d’heures allouées à un emploi rémunéré, heures uniquement autorisées du vendredi soir jusqu’à 18H00 le dimanche, donnerait plus de chances aux jeunes de consacrer du temps à leur réussite académique. La présente récession économique qui prouve qu’on ne peut compter seulement sur la bonne foi du patronat, procure l’occasion aux gouvernements de légiférer afin de mettre un terme aux abus. Le décrocheur scolaire est bien apprécié du patron jusqu’à ce qu’un ralentissement économique sévisse. Ce dernier n’hésite pas alors à le mettre immédiatement à pied pour sauver ses intérêts, laissant ainsi à la société la responsabilité de défrayer les coûts de son sauvetage. Il y en a marre de cet individualisme qui ronge l’action collective.
Il faut reconnaître que la réforme scolaire est un échec : les jeunes ont besoin d’encadrement et d’acquérir une certaine discipline de vie que leur offre le cadre scolaire. Des écoles regroupant les plus petits des deux premières années du secondaire, alors que d’autres pavillons accueilleraient les plus grands des trois dernières années, réduiraient substantiellement l’intimidation qui est malheureusement un fléau toujours présent en milieu scolaire. Il faut fournir un climat d’apprentissage propice et sécuritaire à ceux qui fréquentent les écoles québécoises. Il est temps de convaincre l’espace public de l’importance de l’éducation.
En consacrant moins d’heures à un emploi rémunéré durant le calendrier scolaire, les jeunes consommeront moins et mieux, puisque financièrement limités. Ils partageront ainsi davantage de temps avec leur famille. Inutile de dire que la cellule familiale au Québec se porte mal. Souvent surendettés, piégés par les publicitaires agressifs, les ménages québécois sont présentement stressés par le nombre de créanciers qu’ils ont à rembourser. Voilà qui n’aide pas à instaurer un climat agréable à la maison, qui permet à tous les membres de la famille de s’épanouir sereinement. Difficile dans un pareil contexte de s’intéresser à ce que les jeunes vivent à l’école et surtout de les aider à étudier. La famille québécoise doit réapprendre à vivre à l’intérieur de ses moyens. La prospérité à crédit, celle qui a mené l’économie mondiale là où elle se trouve maintenant, nous prouve qu’elle a tout faux. L’État doit saisir la balle au bond et nous inviter à réfléchir à ce sujet. Pourquoi ne pas d’abord s’enrichir entre nous, autour de la table, lors d’un bon souper? Les personnages du célèbre film « Les Ripoux » ne disaient-ils pas : « on gagne petit mais souvent » ?
Michel Veine regrette aussi l’absence d’inventions québécoises dernièrement. L’auteur se questionne sur notre traditionnelle capacité de concevoir quelque chose capable de révolutionner nos pratiques. Il y en a pourtant eu une en août 1994 : le fameux moteur-roue électrique conçu par le groupe de chercheurs dirigés par Pierre Couture, alors à l’emploi d’Hydro-Québec. L’absence de volonté politique aura eu raison de ce qui aurait été drôlement profitable maintenant, parce que le prix du pétrole renouera inévitablement avec les sommets qu’il a atteints en 2008. Le Québec aurait pu être en effet un exportateur de premier plan de véhicules propres dans le monde.
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L’absence de volonté politique est aussi cruellement absente chez les leaders souverainistes. Michel Venne le mentionnera assurément dans un des textes qu’il enverra au « Devoir », durant le mois d’avril. Cette autre mollesse fait mal à la nation québécoise car elle accélère son anglicisation. Cette réalité s’observe partout présentement. L’auteur veut en finir avec «Les Années molles». Moi aussi. Il faudra faire vite néanmoins car lorsqu’Ottawa voudra de nouveau équilibrer ses finances publiques au sortir de la récession, il le fera au détriment des moyens du Québec, prolongeant ainsi l’engourdissement des forces vives de la nation… et sa canadianisation.
Patrice Boileau



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1 commentaire

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    8 avril 2009

    Monsieur Boileau,
    Il faut rendre à César… Ça fait 10 ans que le chanoine Grand’Maison multipliait ses indignations face à la mollesse au Québec : « Quand le jugement fout le camp » (1999)…
    Jacques Grand’Maison (1931 - ) est sociologue (retraité de ...... pratiques molles, des valeurs molles, une conscience molle, des politiques molles font des ..... foi gardienne de la langue », comme si dans ce contexte historique ...
    Par ailleurs, pour ajouter un grain de sel aux élucubrations sur les hôpitaux, voici ma participation à un article de The Gazette aujourd’hui : MUHC chief fears backlash against superhospital
    7 avril http://www.montrealgazette.com/Life/MUHC+chief+fears+backlash+agai (...)
    “Peter” grommelle: « C’est typique d’une mentalité tribale et paroissiale dans le Québec. Au lieu de célébrer que nous soyons la seule ville au Canada à posséder 2 hôpitaux d’enseignement, on se chicane sur le tien qui est plus gros que le mien. Quelle gaspillage d’énergie »
    Pourquoi célébrer que l’on soit la seule ville au Canada à avoir 2 méga hôpitaux? … la plupart des intervenants ici s’entendent sur le fait que le personnel des 2 hôpitaux parlent les 2 langues…Quel gaspillage d’énergie, en effet! Puisque Québec est loin d’être la plus riche province du Canada, puisque l’on s’entend à dire que les 2 hôpitaux seront complémentaires, UN méga hôpital devrait accommoder équitablement les 2 communautés… À moins qu’une petite partie de notre population continue de refuser de parler la langue de la majorité et se réconfore de la qualifier de: « mentalité tribale et paroissiale… » Pour ces gens, la paix linguistique c’est l’abolition des locuteurs français, le peuple fondateur de ce pays.
    La seule façon de réaliser de gros projets avec une maîtrise d’œuvre efficace, c’est de se doter d’un Québec autogéré et fier parmi les nations libres.