Le temple de l'évasion fiscale

Chronique de Patrice Boileau


Ou est-ce carrément celui du blanchiment d’argent? Chaque fois que ma conjointe s’est vu offrir des billets pour aller voir une joute du Canadien, je lui ai toujours dit de les remettre à un employé de son choix.

C’est ce que je lui ai encore répondu, jeudi dernier, alors qu’elle me contactait le matin pour m’aviser qu’un entrepreneur lui offrait une paire de billets contre l’équipe de son choix. La dernière fois que j’ai mis les pieds au Centre Molson(!) avec elle, c’était contre Buffalo. Et nous avons vidé les lieux après la 1er période, tellement le jeu était plate à mourir.

L’auteur de ces lignes a pourtant été un fervent adepte de ce sport de glace. Il était membre d’une équipe de garage. Tout ce qu’il y a de plus cliché, avec ces matchs aux petites heures à l’université de Montréal et les nombreuses péripéties rocambolesques que je ne peux révéler dans ces lignes! J’en conserve que de bons souvenirs.

C’est mon père qui m’a communiqué l’amour du hockey, du moins sous une forme que nous ne voyons plus aujourd’hui. Il m’amenait jouer alors que j’étais petit, avec mes amis, sur la rivière Richelieu, après en avoir vérifié l’épaisseur de la glace avec sa hache. Il nous déblayait ensuite « un beau rond », comme il disait. Je le vois encore conduire témérairement sa DS enrhumée, patins aux pieds, malgré l’accélérateur constitué d’une langue de métal! Les plus grands affluaient alors rapidement car l’homme ajoutait du panache aux parties, à leur grande joie!

Mon père fut de son temps le meilleur compteur de la ligue collégiale, l’équivalent aujourd’hui de la Ligue junior majeur du Québec. Son équipe œuvrait dans l’ancien forum. À l’époque, tous les joueurs des formations se disputaient le numéro 9 car Maurice Richard était la référence. Dans son club du collège Sainte-Marie, ses coéquipiers n’ont toutefois pas livré bataille : ils le lui ont remis sans discuter. Mon père m’a raconté avoir un jour pratiqué avec son idole, seul avec lui sur la glace du Forum. La grande vedette du Canvuadien recommençait à patiner, suite à une blessure à la cheville. Tous les deux sillonnaient la mythique patinoire en s’échangeant la rondelle. Un beau moment, m’a-t-il raconté. Un dépisteur de New York est venu un jour cogner à la porte de la maison familiale. Il est reparti bredouille, suite au refus parental d’autoriser leur fils de joindre l’organisation des Rangers. Idem pour l’autre qui tenta de l’amener dans la Grosse Pomme, cette fois à titre d’artilleur pour les Doggers de Brooklyn.

Influencé par mon père, j’ai toujours encouragé les joueurs francophones, mais pas ceux du Canadien. Farouche indépendantiste, mon père se refusait d’appuyer une organisation francophobe dont le point culminant fut l’émeute Maurice Richard. Lors de la « série du siècle » en 1972, le superbe jeu des Russes nous a éblouis. Je ne pouvais cependant en souffler mot lorsque je regardais les joutes avec des amis : j’aurais alors été qualifié de traitre! Et pourtant, ce sont eux qui étaient les plus beaux à voir sur la glace. Seuls l’intimidation et les coups sauvages administrés par les nord-américains ont eu raison de leur savoir-faire. Dommage. Depuis, les hockeyeurs, quelque soit leur origine, jouent de la même manière sauf rares exceptions. Et ces quelques cas rarissimes ont intérêt à jouer la tête haute afin de ne pas se faire tuer, lorsqu’ils rôdent près d’une bande. C’est là que j’ai décroché. Définitivement lorsque les Nordiques de Québec ont quitté pour le Colorado, en 1995.

L’argent domine depuis le hockey, à l’image des autres sports professionnels. Il est bien fini le temps où le sentiment d’appartenance nourrissait la fierté des joueurs. Aujourd’hui, certaines vedettes se permettent même de renier leur propre signature afin d’exiger davantage, alors que leur contrat n’est même pas expiré! On est loin de l’époque du Colisée de Québec où aucune traduction ne se faisait entendre dans l’amphithéâtre durant les joutes! Une pure jouissance pour mes oreilles; un soufflet magistral au monde anglophone qui caractérise encore ce sport.

Ma conjointe travaille depuis longtemps dans le milieu qui fait tant scandale depuis deux mois, celui-là même où s’active un ballet d’enveloppes brunes. Moult largesses y paradent entre principaux intéressés, comme nous le savons tous. Les billets de hockey appartiennent évidemment au lot de présents qui permettent de maintenir ces bons rapports. Ainsi, semblerait qu’on aurait eu droit « à la totale », en acceptant le cadeau! L’interlocuteur, qui n’est apparemment qu’un « pion » comme ma conjointe, aurait été estomaqué d’apprendre mon peu d’intérêt à mettre la main sur les précieux tickets.

Je dois avouer ressentir une profonde nausée, lorsqu’il est question de ce qui trône au centre des préoccupations de mes compatriotes. Trop d’argent gravite autour de types qui, manifestement, n’en méritent pas autant. Tellement d’argent que les temples qui les accueillent ont été réaménagés de manière à y ajouter des loges corporatives à haut prix. Loges que les entreprises peuvent ensuite déclarer dans leur rapport d’impôt de manière à s’en faire rembourser une bonne partie. C’est donc vous et moi qui finançons la fête. Que se passe-t-il à l’intérieur de ces pièces, durant la joute? Assurément des négociations de contrats pas toujours propres. Et ces billets que des entrepreneurs dispersent aux quatre vents, année après année? Pensez qu’ils les ont tous obtenus honnêtement? Croyez qu’ils ne font pas aussi l’objet d’une demande de crédit d’impôt? Combien de supporteurs du club finalement payent réellement leur place? Des personnes qui souvent ont économisé durement la somme pour s’asseoir aux côtés d’autres qui participent à un système qui force toute la population à engraisser un petit groupe de privilégiés… Et dire qu’un ancien propriétaire du club de hockey de Montréal sommait récemment la ville de l’exempter de sa contribution de taxe municipale!?!?

Je ne sais pas si je retournerai dans ce temple qui incarne à mes yeux le haut lieu de l’évasion fiscale, sinon davantage. Le centenaire du Canadien qui vient d’y être célébré représente plutôt pour moi celui qui fait l’éloge de la magouille. Un siècle finalement de corruption où le tout s’organise sous nos yeux, dans cet endroit paradoxalement chéri par une population béate. Certes au début, il ne s’y passait rien de semblable à ce qui s’y trame aujourd’hui. Devons-nous cependant demeurer penauds et laisser l’abcès grossir encore?

J’ai l’impression de faire scandale avec ce propos. Un peu comme si je m’étais levé devant tout le monde en 1985 pour célébrer la victoire des Russes 8 à 1, contre « Équipe Canada ». Je ne peux néanmoins fermer les yeux sur ce qui contribue à empoisonner les finances publiques québécoises et notre confiance envers nos institutions politiques. Alors que nous nous dirigeons vers une grave crise budgétaire à Québec, le gouvernement mafieux qui y sévit, protège un système corrompu. Et c’est nous, les petits, qui en feront encore les frais.

Patrice Boileau


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