Séisme bitumineux

Chronique de Patrice Boileau


Il n’y a pas que la terre d’Haïti qui tremble par les temps qui courent. Le sol bitumineux de l’Alberta a également frémi, le 4 janvier dernier. Deux députés du gouvernement de Ed Stelmach ont en effet quitté le Parti conservateur pour joindre les rangs d’une autre formation politique encore plus à droite : le Wildrose Alliance party.
Les élus démissionnaires reprochent à leur ancien chef tory sa position trop molle envers Ottawa : le premier ministre de l’Alberta devrait montrer davantage les dents, afin d’abaisser les redevances qu’il verse au gouvernement fédéral, grâce à sa production pétrolière. De plus, ils critiquent la timidité d’Edmonton face au reste du Canada : la capitale albertaine doit « énergiquement » proclamer son droit absolu d’exploiter son combustible fossile, comme elle l’entend.
Manifestement, le sommet de Copenhague qui s’est tenu avant la période des fêtes, a soulevé l’ire de nombreux Albertains, dont Stephen Harper. Certes, le premier ministre du Canada n’avouera jamais publiquement avoir été profondément agacé par les quolibets dont il a été la cible, lors de la conférence sur les changements climatiques. Il a d’ailleurs pu trouver réconfort dans la politique environnementale américaine de Barack Obama. Néanmoins, le chef de l’État canadian conserve une vive rancune envers les chefs provinciaux qui étaient présents au même événement.
Loin de moi l’idée d’éprouver un nouvel intérêt pour la politique canadian, en spéculant sur l’avenir de l’Alberta au sein de la fédération. Comme plusieurs Québécois, je me questionne cependant sur la pertinence de Jean Charest de maintenir la pression environnementale sur ses amis du Canada anglais. Sa décision de houspiller à nouveau la stratégie verte de Stephen Harper, à Rivière-du-Loup la semaine dernière, me laisse songeur.
Certes, le chef du Parti libéral du Québec s’abaisse bêtement à de l’électoralisme, en écorchant sans retenue son homologue fédéral sur la question environnementale. Jean Charest sait pertinemment qu’il marque des points dans l’opinion publique québécoise en agissant de la sorte. Depuis quelques temps, les gens qu’il représente se sont en effet découvert un nouveau cheval de bataille qu’ils se font un devoir de défendre bec et ongles, afin d’épater la galerie internationale. Servir leurs intérêts ne peut qu’être politiquement rentable.
Cette tactique à courte vue, une autre puisque le chef de l’Assemblée nationale est incapable de planifier à long terme, risque de lui nuire. Plusieurs observateurs de la scène politique pensent en effet que l’attitude belliqueuse de Jean Charest entraînera un raidissement des relations entre l’Alberta et le gouvernement fédéral. Certains entrevoient même le départ prochain de cette province! Une catastrophe pour des fédéralistes québécois de la trempe d’André Pratte! Ces extrémistes, absolument convaincus que le Québec n’est rien sans la charité du système fédéral canadian, sont totalement sidérés de l’attitude de leur premier ministre à Québec. Comment ose-t-il mordre la main qui le nourrit! Selon eux, les Québécois ne pourraient plus se payer tous les généreux programmes sociaux qu’ils ont adoptés depuis la Révolution tranquille, sans les paiements de péréquation versés par Ottawa.
Je n’ai pas l’intention de me lancer dans cet éternel débat qui concerne ces calculs ésotériques afin de déterminer si le Québec obtient sa juste part de subsides fédéraux, en retour des milliards qu’il verse annuellement à Ottawa. Non plus le désir d’entreprendre la genèse des sommes versées par le gouvernement fédéral pour mousser le développement économique du Québec, par rapport à son voisin ontarien, en prenant soin d’identifier les secteurs industriels qui ont hérité de ces sommes. Il y a autant d’opinions diverses que de dollars en jeu!
On est toutefois en droit de se demander comment le Canada a pu accepter d’injecter autant d’argent « à perte », dans un Québec indigent, comme le prétendent les fédéralistes! Tous ces milliards auraient été « généreusement versés » au nom d’un mécénat canadian? Le Canada anglais accepterait donc d’inonder financièrement la « réserve francophone » sans but lucratif?! Ben voyons! Qu’attend-il alors pour faire de même à l’égard du peuple haïtien qui souffre atrocement?
La vérité est que le Québec participe pleinement à l’effort économique canadian. S’il ne le fait pas davantage, c’est parce qu’il ne dispose pas de combustible fossile dans son sous-sol et qu’il a été victime des choix politiques d’Ottawa qui ont déterminé ses stratégies de développement. Il l’a d’ailleurs encore été, lorsque la présente récession a frappé, à l’automne 2008. On n’endure pas la présence du Québec dans la fédération canadian : il n’est pas un boulet financier. Ses millions d’habitants constituent un marché indispensable pour son voisin ontarien et sa production énergétique l’est tout autant, pour son voisin américain. Mais, surtout, la position géographique enviable du Québec, avec cette ouverture magistrale sur l’Atlantique, rend indispensable son appartenance au Canada. Perdre cet atout fondamental serait catastrophique pour le gouvernement fédéral.
Jean Charest rêve encore de devenir l’épicentre de la fédération canadian. Il fait le matamore face à Stephen Harper afin d’essayer de convaincre qu’il pourrait faire mieux, si on lui confiait les rennes du gouvernement fédéral. Le chef du PLQ ne berne cependant personne lorsqu’il affirme vouloir défendre uniquement les intérêts du Québec. S’il le souhaite véritablement; il aurait tôt fait de s’apercevoir que son vœu ne peut se réaliser que hors du Canada. L’homme agit inéluctablement pour favoriser ses propres intérêts. Le malheureux risque cependant de favoriser l’apparition de failles dans l’ouest de « son pays », par les ondes de chocs qu’il crée.
Patrice Boileau


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