Un sondage peu réjouissant

Chronique de Patrice Boileau


Le dévoilement des résultats de la dernière enquête réalisée par la maison de sondage CROP, le 26 mars dernier, a de quoi plonger l’avenir du Québec dans une profonde grisaille. Les difficultés auxquelles fait face la nation québécoise n’alimentent pas en effet l’idée de les solutionner hors de l’actuel cadre politique fédéral.
L’appui au projet souverainiste recueille environ 40 % de la société civile. Certes, ce soutien chez les francophones rallie pratiquement une majorité d’entre eux. Tout juste, néanmoins. Difficile ainsi de convaincre les nouveaux arrivants d’adhérer massivement à notre camp, plutôt qu’à l’autre.
Plusieurs pointent du doigt l’absence de médias puissants qui font la promotion de l’indépendance du Québec. La diffusion du discours souverainiste se fait donc laborieusement, puisque la cible d’un feu nourri orchestré par un adversaire jouissant de moyens outrageusement supérieurs. L’intention du gouvernement fédéral de réduire le financement de la télévision de Radio-Canada, quoiqu’on en dise, n’aidera pas la cause indépendantiste. Quelques émissions de variétés qui y sont plutôt favorables risquent en effet de disparaître. Moins de souverainistes seront invités à exprimer leur opinion par le diffuseur public, afin de répliquer aux fédéralistes, faute de budget. Stephen Harper en sera sûrement inconsolable, tout comme Michael Ignatieff qui s’est bien gardé de promettre d’éliminer les compressions annoncées par le gouvernement conservateur, s’il devait devenir un jour premier ministre!
Ne reste donc que les partis politiques souverainistes, comme principal moyen de propager bruyamment et efficacement les avantages que procurerait un statut national au Québec. Et le dernier coup de sonde de CROP montre bien que les deux principales formations à qui incombe cette tâche, échouent lamentablement. Certes, à Québec, endroit qui entérinera peut-être un jour un verdict favorable de la population, le Parti québécois vogue paisiblement vers le pouvoir. Mais c’est par défaut qu’il s’en approche : le naufrage du gouvernement Charest, englouti par la tempête économique, alourdi par trois mandats au pouvoir, irrite effectivement l’électorat qui regarde ailleurs.
L’article 1 du PQ qui devait être le phare de sa stratégie politique, projette malheureusement un faisceau de lumière que peu de gens aperçoivent. Les péquistes obtiennent 40% des intentions de vote et Québec solidaire 8%. Mais le projet de pays est à 10 points de la majorité absolue. L’Action démocratique de son côté récolte 10% de la confiance populaire. Force est d’admettre qu’un nombre substantiel de nationalistes mous débarquent présentement au Parti québécois, rassurés par la promesse de la chef Pauline Marois de ne patauger qu’à l’intérieur de la marre canadienne, pour « relancer » le Québec…
L’engagement d’employer exclusivement des outils autorisés par la constitution canadienne, risque cependant de déjouer la « manœuvre tranquille » du Parti québécois. Le mandat du gouvernement libéral ne fait que commencer. Beaucoup d’eau va encore couler sous les ponts avant que les électeurs ne soient conviés de nouveau aux urnes. Un nouveau chef et des « recrues vedettes » dénichées ça et là par le PLQ, pourraient brouiller les cartes. Surtout que le parti souverainiste qui rêve présentement du pouvoir aura sans doute évoqué, à l’occasion, son objectif d’indépendance. Assez du moins pour ne pas trop éloigner sa base électorale. Et sans doute trop pour permettre à ses adversaires de semer le doute dans l’esprit de ceux qui les boudent actuellement. Ainsi, le Parti libéral cherchera assurément à convaincre ces derniers que le PQ leur ment. Que celui-ci finira bien par sortir l’hydre référendaire, s’il forme le prochain gouvernement! Pendant ce temps, l’ADQ répètera son traditionnel refrain au sujet des « vieux partis », en les accusant de se chamailler encore sur le même thème. Que ces trois partis sont ennuyants, en effet! De quoi éteindre pour longtemps les forces vives et progressistes du Québec, dont plusieurs boudent déjà les urnes depuis quelques élections.
Il est peu fréquent de voir le PQ obtenir un appui populaire plus fort que celui réservé à son article 1. À force de projeter l’image d’un parti qui doute de son projet national pour finalement décider de le mettre de côté, l’équipe de Pauline Marois en aura convaincu plusieurs de ne plus y croire. En juillet 2005, alors que le gouvernement libéral de Jean Chrarest s’attirait les foudres de l’opinion publique et que le scandale des commandites sévissait, l’option souverainiste culminait à 55% dans les sondages. Et le PQ n’avait même pas de chef : il était alors en pleine course au leadership! Comment expliquer pareil revirement? Le soutien à l’idée de pays est-il vraiment condamné à miser sur l’indignation publique pour persuader de son utilité? N’y a-t-il pas moyen de susciter l’enthousiasme des gens à l’aide d’un discours constructif?
Plusieurs pointent du doigt la maladresse de la chef Pauline Marois, pour expliquer la torpeur qui afflige bon nombre de souverainistes aujourd’hui désabusés. Pourtant, en 2005, le peuple voulait en finir alors que le PQ n’avait même pas nommé de successeur à Bernard Landry! Pas de doute qu’une puissante aide extérieure au Parti québécois pourrait raviver la flamme souverainiste. Encore faudrait-il que le PQ accepte de mettre de l’eau dans son vin et cesse d’imposer ses règles d’accession à l’indépendance politique. Un réflexe malsain qui donne l’impression que le pays à venir sera exclusivement le sien.
Les événements mondiaux qui perturbent présentement la planète représentent d’excellentes occasions de démontrer l’utilité d’avoir véritablement les mains sur le volant : c’est à dire ses mains, et non pas celles du voisin. Car présentement, le Québec est à la remorque de l’État canadian. Il n’est pas l’ombre de lui-même. Plusieurs le cherche dans cette noirceur et ne le trouvent pas. À Montréal, il est pratiquement invisible, à l’image du CHUM qui lui est promis, alors que l’autre se construit, obscurcissant ainsi davantage l’État de langue française si difficile à repérer. Pas étonnant que nos jeunes soient nombreux à décrocher durant leurs études secondaires et que beaucoup d’autres optent carrément pour les cégeps anglophones, convaincus qu’un rattrapage s’impose. Qui veut s’identifier fièrement à la nation québécoise, si ses leaders souverainistes décrochent eux-mêmes?
Patrice Boileau



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