Duceppe le sauveur ?

M. Duceppe est sans doute un choix logique parce qu'il est expérimenté et très connu. Bref, c'est une solution de rechange « clés en main «. Mais sans rien vouloir lui enlever, il n'a pas le calibre, le charisme et l'instinct des plus grands chefs péquistes.

PQ - leadership en jeu - la tourmente

L'immense majorité d'entre nous ne se souvient probablement pas de ce qu'elle faisait précisément il y a 10 ans, mais Gilles Duceppe, lui, en a certainement un vif souvenir.
Mai 1997, Gilles Duceppe, fraîchement élu à la tête du Bloc québécois, tentait péniblement de survivre à sa première campagne électorale, écrasé par l'ombre de Lucien Bouchard et par un fameux bonnet. Son autobus de campagne se perdait dans des rangs de campagne, ses alliés syndicaux le larguaient et ses adversaires disaient ouvertement que ses jours à la direction du Bloc étaient comptés.
À l'époque, personne n'aurait avancé sérieusement que M. Duceppe deviendrait un jour la bouée de sauvetage du Parti québécois et du mouvement souverainiste.
Une décennie plus tard, le bonhomme a bien changé, il s'est bonifié, comme un bon vin. Le jeune grand-papa dégage même une certaine sérénité. Le chef politique a appris, il est plus sûr de lui et il n'a plus l'air d'une proie traquée.
Mais est-ce pour autant le sauveur dont bien des péquistes rêvent ces jours-ci?
Peut-être pas. De tous les candidats dont les noms circulent pour remplacer André Boisclair, M. Duceppe est sans doute un choix logique parce qu'il est expérimenté et très connu. Bref, c'est une solution de rechange « clés en main «. Mais sans rien vouloir lui enlever, il n'a pas le calibre, le charisme et l'instinct des plus grands chefs péquistes.
La cote de M. Duceppe était plus haute il y a deux ans, quand il a décidé de ne pas sauter dans la course à la succession de Bernard Landry. Depuis, le chef du Bloc a connu quelques ratés à Ottawa, notamment dans le dossier de la reconnaissance de la nation québécoise et dans celui de l'Afghanistan. Depuis l'élection de janvier 2006, Gilles Duceppe paraissait las, au point où certains de ses députés avançaient en privé qu'il préparait sa sortie de la vie publique. En fait, on ne l'a pas vu aussi allumé que depuis que son nom s'est remis à circuler pour remplacer André Boisclair.
Mais «sauveur», c'est beaucoup dire. D'ailleurs, le concept même du sauveur devrait faire hésiter les péquistes parce que les dernières expériences de messie politique, de Jean Charest, de Paul Martin ou de Stockwell Day, notamment, n'ont pas été très concluantes.
En plus, le Parti québécois et le Bloc québécois, même s'ils appartiennent à la même famille politique, sont deux bêtes fort différentes. Gilles Duceppe est au Bloc, à Ottawa, depuis 17 ans. Il connaît, bien sûr, le PQ et ses instances, mais il n'est pas imprégné de sa culture particulière et y a toujours été considéré comme un outsider. Comme Lucien Bouchard, mais celui-ci, répétons-le, avait une prestance et une force de caractère autrement plus impressionnantes que celles de M. Duceppe.
Le PQ est un parti turbulent et émotif alors que le Bloc est plutôt pépère. Lucien Bouchard avait imposé une discipline de fer à son caucus quand il était chef du Bloc, une discipline qui tient toujours, ce qui facilite la vie de M. Duceppe. La bride est plus «slack» au PQ.
Autre différence : le Bloc a toujours été et sera toujours un parti d'opposition. Gilles Duceppe n'a jamais été au pouvoir, il n'a jamais été ministre. Et, ce qui n'est pas un détail, il ne connaît pas la machine gouvernementale à Québec.
En plus, M. Duceppe est gravement asthmatique et sa santé lui joue des tours, parfois, quand ça se met à trop chauffer. Or on sait que les péquistes ont une fâcheuse tendance à faire pomper de l'air à leur chef.
Minute, minute, dites-vous, André Boisclair est encore là, pourquoi un long papier sur son plus probable successeur? Parce qu'il vit, plus que jamais, sur du temps emprunté. Dans tous les scénarios, il ne sera plus là en septembre. Sa sortie du week-end était surprenante, mais ce qui l'est encore davantage, c'est qu'il est monté au front seul, comme un général abandonné par son armée. Personne, encore une fois, ne s'est porté à sa défense.
M. Boisclair a visé Gilles Duceppe, mais il s'est tiré dans le pied. En s'accrochant, il ne fera qu'étirer un supplice dont l'inévitable conclusion est connue de tous. Et il ne fera qu'affaiblir encore un peu chaque jour son parti. Reste pour lui à trouver une porte de sortie honorable.
Le mieux serait probablement d'annoncer rapidement qu'il quittera ses fonctions à la fin de la session qui débute aujourd'hui, ce qui calmerait le jeu, donnerait le temps au PQ de se ressaisir et permettrait aux aspirants de s'organiser. Au passage, il embêterait aussi Gilles Duceppe, qui préférerait sans aucun doute un couronnement.
Les péquistes, on les comprend, voudraient faire l'économie (au propre comme au figuré) d'une nouvelle course à la direction, mais leur parti aurait pourtant bien besoin d'un bon brassage d'idées. Quand on entend des vieux militants dire qu'André Boisclair n'est pas le chef qui conduira le Québec à la souveraineté, on mesure le gouffre qui les sépare de la réalité. Avant de rêver de souveraineté, les péquistes devraient se préoccuper de priorités plus urgentes, comme celle de survivre, par exemple. Le bateau est en train de couler et il s'en trouve encore sur le pont pour attendre que Moïse sépare les eaux vers la Terre promise.
Cette situation fait mal au PQ et au mouvement souverainiste, c'est l'évidence, mais dans le nouveau contexte de gouvernement minoritaire, cela fausse aussi le jeu démocratique parce que le PQ, quoique troisième parti à l'Assemblée nationale, détient la balance du pouvoir.
Sonné, désuni, désorganisé et mené par un chef en sursis, le caucus du PQ ne peut honorer ce mandat devant le gouvernement Charest, qui le sait fort bien.
À 24 heures de l'ouverture de la session, les libéraux ont pris les devants hier, en annulant la privatisation d'une partie du parc du Mont-Orford. Une excellente décision, qui, en plus de dégager le gouvernement de ce bourbier, a l'avantage de couper l'herbe sous le pied de l'ADQ.
Reste à voir si Jean Charest reculera aussi sur sa promesse de baisser les impôts. Chose certaine, ce n'est pas le PQ qui aura les moyens de lui imposer un virage.


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