Boisclair s'attire un déluge de critiques

Le caucus péquiste d'aujourd'hui s'annonce houleux

PQ - leadership en jeu - la tourmente


Robert Dutrisac, Alec Castonguay, Antoine Robitaille - André Boisclair a soulevé une tempête chez les souverainistes.

Accusé de créer un schisme au sein du mouvement souverainiste, le chef du Parti québécois, André Boisclair, s'est fait sévèrement critiquer pour sa sortie contre le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, et devra s'en expliquer dès aujourd'hui devant ses députés lors d'un caucus qui s'annonce houleux. Mais, d'emblée, certaines figures prédominantes du Parti québécois estiment qu'il ne pourra pas résister bien longtemps à la pression et qu'il ferait mieux de démissionner rapidement pour le bien du parti. L'ancienne ministre péquiste, Louise Beaudoin, juge qu'André Boisclair n'a fait qu'«accélérer sa chute» avec ses démêlés avec Gilles Duceppe.
«M. Boisclair ne se rendra pas au temps des lilas», croit un président d'association péquiste. D'autres prédisent qu'il ne passera pas la semaine à la tête du PQ.
À Ottawa, c'est la réprobation, voire la colère. Les députés bloquistes se sont montrés sévères à l'endroit d'André Boisclair. Le chef bloquiste, Gilles Duceppe, n'a pas caché son irritation devant les journalistes.
«J'ai dit tout ce que j'avais à dire en fin de semaine, je n'ai pas l'intention d'en rajouter», a-t-il lâché sur un ton qui ne souffrait pas la réplique, en faisant irruption dans le foyer de la Chambre des communes après la période de questions hier. Les deux hommes ne se sont pas parlé depuis l'incident et s'il n'en tient qu'à
Gilles Duceppe, l'appel devra venir de Québec. «Écoutez, on avait un rendez-vous [il y a deux semaines]. Il a été annulé, donc je vais attendre. On verra», a-t-il déclaré.
Au lendemain du 26 mars, Louise Beaudoin était sensible à l'argument selon lequel il fallait poser d'abord la question du programme et ensuite la question du chef. Mais elle croit que cet événement contraint tout le monde à se raviser. M. Boisclair n'a «plus aucune autorité morale et intellectuelle pour porter quoi que ce soit», a-t-elle déclaré au Devoir. À ses yeux, M. Boisclair pensait peut-être «stopper sa chute en jouant au bon garçon s'élevant contre le méchant. Mais je crois que ça n'a pas marché du tout».
Le coprésident du Conseil de la souveraineté, Gérald Larose, juge que la question du leadership de M. Boisclair doit être réglée rapidement -- «d'ici quelques semaines» -- et non pas dans un éventuel congrès national du PQ. «Le temps presse parce qu'on observe un dérapage», a-t-il fait valoir hier au Devoir. Le PQ ne peut se retrouver avec «un gouvernail qui n'est pas solidement dans les mains de quelqu'un. Ou il assoit son autorité et les choses rentrent dans l'ordre ou il laisse la main». Selon lui, M. Boisclair a choisi «la mauvaise méthode» avec sa sortie contre le frère d'armes bloquiste: il ne faut pas étendre à l'ensemble de la famille souverainiste le problème, somme toute bien circonscrit, du PQ.
Gérald Larose trouve étrange que le chef péquiste ait en outre accusé Gilles Duceppe de verser dans l'affirmation nationale. «Ça ne fait aucunement écho à absolument rien de ce que je connais de Gilles Duceppe et des écrits du Bloc. Je ne lui connais pas de déviationnisme.»
De son côté, Yves Michaud qualifie la déclaration de M. Boisclair de «puérile, infantile». Elle trahit «le manque de jugement» du chef péquiste, selon lui.
Lors de la Conférence nationale des présidentes et présidents du PQ qui aura lieu le 26 mai, André Boisclair semble tout droit se diriger vers un désaveu: le compromis qu'il a proposé et qui a été approuvé par l'exécutif national du PQ, fixant à septembre 2008 la tenue du Congrès national et le vote de confiance, a du plomb dans l'aile. «Il n'y aura pas de consensus ni dans ma région ni au Québec pour un congrès à l'automne 2008», estime Étienne Vézina, président de l'Association régionale de l'Estrie. Les discussions entre les militants portent désormais sur une échéance au printemps 2008 et même à l'automne 2007.
Dans les associations de comté, certains militants ne montrent guère de retenue. Proche de Jacques Parizeau, Sylvie Brousseau, qui est présidente du PQ dans Montmorency, affirmait hier que tout «ce psychodrame» aurait pu être évité si M. Boisclair s'était rendu à l'évidence le lendemain du scrutin et avait démissionné: «Tous les chefs du PQ qui l'ont précédé se sont retirés avec des scores meilleurs. Ce n'est pas compliqué!» S'exprimant à titre personnel (et non pas au nom de son exécutif), Mme Brousseau croit que la probabilité d'élections provinciales rapides ne doit pas être exclue. «Mario Dumont flotte. Il pourrait très bien nous renvoyer en élection très vite, dès l'automne. Et voudra-t-on alors vraiment refaire une campagne avec M. Boisclair? La réponse est évidente. Et c'est pour ça que ça doit se régler rapidement, cette affaire-là.»
Des bloquistes plus bavards
Plus bavards que leur chef, les députés du Bloc québécois n'ont visiblement pas digéré la gifle que le chef du PQ a adressée à Gilles Duceppe en fin de semaine. Tous les élus contactés par Le Devoir ont affirmé avoir été «surpris» de cette sortie en règle, alors que la plupart des ténors du Bloc n'ont pas hésité à se dire «furieux» et «déçus».
Selon Paul Crête, député de Montmagny-Rivière-du-Loup, «il faut clarifier la situation le plus vite possible». «Le PQ a à décider et à faire son choix», a-t-il dit, refusant de verser dans la «politique fiction» et de faire des prédictions sur la suite des choses. Pour les élus du Bloc, la succession de MM. Boisclair et Duceppe ne se pose pas dans l'immédiat... tant que le chef du PQ est en place.
«Il ne faut pas se le cacher, depuis dix ans, le meilleur porte-parole souverainiste, c'est Gilles Duceppe», a affirmé au Devoir Louis Plamondon, le président du caucus. Il estime que les appels du pied des militants envers le chef bloquiste seraient tout à fait légitimes. «Si jamais il y a un départ d'André Boisclair, que je ne souhaite pas nécessairement, il y aura beaucoup de pression sur Gilles Duceppe», a-t-il ajouté.
Tous les élus bloquistes ont toutefois rejeté les accusations de grenouillage, tout comme les proches de Gilles Duceppe contactés par Le Devoir. Certains ont même soutenu que cette controverse était une mise en scène de la part d'un chef péquiste qui sent «l'eau chaude» et qui a jugé bon de créer un problème pour faire diversion.
De son côté, Serge Ménard, député de Laval qui a déjà été ministre du Parti québécois, a vu dans ces déclarations la marque d'un homme qui «souffre beaucoup». «C'est le genre de choses qu'on dit au téléphone, en privé, soutient-il. Je ne comprends pas. C'est très injuste à l'égard de Gilles Duceppe. [...] Selon moi, c'est un signe que M. Boisclair souffre beaucoup et qu'il est très déprimé. C'est dur une défaite, je l'ai moi-même vécu. Il y a une période de dépression après une défaite politique. On fait alors des erreurs et on perd notre capacité de jugement.» Pour Réal Ménard, député d'Hochelaga, la sortie d'André Boisclair est un «signe de faiblesse» de la part d'un chef qui a «perdu le contrôle».
Les troupes bloquistes n'ont pas du tout apprécié l'accusation voulant que Gilles Duceppe cherche à réanimer le concept d'affirmation nationale de Pierre Marc Johnson. «Les discours les plus souverainistes, c'est Duceppe qui les tient. Au dernier caucus, mercredi, il nous a encore répété de ne pas oublier qu'on était souverainistes avant tout», a affirmé Louis Plamondon.
Marc Lemay, député d'Abitibi-Témiscamingue, ne cachait pas sa colère hier. «Je suis furieux. La violence des propos d'André Boisclair est inadmissible.» Il partage l'avis de plusieurs de ses collègues bloquistes selon qui la sortie de M. Boisclair est «nuisible» au mouvement souverainiste. «On travaille pour la même cause. Ça ne fait pas très sérieux de se tirer dans le pied. Les ennemis, si je puis dire, ce ne sont pas d'autres souverainistes, mais nos adversaires politiques», dit-il.
Selon une source péquiste, André Boisclair et son entourage sont devenus paranoïaques et ont inventé ce «mythe d'une organisation Duceppe». De toute façon, dit cette source, «Duceppe n'a pas besoin d'organisation. [...] Il est partout, Duceppe, il connaît tout le monde. Le jour où il décide de partir d'Ottawa, ça lui prend cinq minutes. Il n'y aurait pas de course à la chefferie.»
Mais des péquistes de longue date commencent à se demander qui aura vraiment envie de reprendre le Parti québécois dans l'état où il est. «Il faut déclarer faillite et repartir ça sur un autre nom», dit l'un d'eux à la blague.
Selon d'autres sources très bien informées, si Gilles Duceppe, malgré tout, n'hésitait pas une minute à faire le saut à Québec, l'ancienne ministre Pauline Marois, elle, ne serait pas pressée d'aboutir à la tête du parti. Encore moins si une course à la direction avait lieu avec les mêmes règles qu'en 2005. «Dans une telle situation, il n'en serait même pas question une minute pour Pauline», a-t-on appris.
Députés hésitants
Les députés péquistes se sont montrés très réticents à commenter la sortie de leur chef. Ancien député bloquiste qui connaît bien Gilles Duceppe, Stéphane Bergeron (Verchères) s'est dit profondément malheureux de l'écartèlement actuel du mouvement souverainiste. Il soutient que «personnellement», il n'a jamais eu connaissance du fait que son ancien chef testait ses appuis afin de changer de parti et de capitale. La sortie de M. Boisclair était-elle fondée sur rien? «Je ne suis pas en mesure de le dire. Je n'ai pas accès aux informations qui ont amené André à faire ça. Il aura l'occasion de nous expliquer cela demain [aujourd'hui]», au caucus, a déclaré M. Bergeron. Camil Bouchard, député de Vachon, disait «ne pas avoir envie d'ajouter à la querelle de famille» et réservait ses commentaire pour le caucus qui, a-t-il dit, «risque d'être très long».
Par ailleurs, hier, c'est en cette journée pour le moins mouvementée qu'une nouvelle attachée de presse entrait au service d'André Boisclair. Il s'agit de Marie Barrette, qui a déjà travaillé dans l'entourage de Jacques Parizeau, de Lucien Bouchard et de Joseph Facal. Mme Barrette disait ne pas avoir parlé à son patron, hier. Elle n'était pas en mesure de dire si M. Boisclair parlerait à la presse aujourd'hui. «On peut supposer que demain [aujourd'hui] il vous parlera», a-t-elle dit, précisant que le chef -- qui a décliné toute demande d'interview hier -- se trouvait «probablement dans son comté» hier.


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