Cela faisait vingt ans qu'un chef du PQ n'avait fait une sortie aussi brutale contre un rival qu'il soupçonnait de s'employer en sous-main à le détrôner.
Au début d'octobre 1987, excédé des déclarations que Jacques Parizeau faisait périodiquement sur l'abîme vers lequel il entraînait le PQ, Pierre Marc Johnson avait fini par exploser, qualifiant les propos de son ancien collègue des Finances d'«éructations politiques d'un gérant d'estrade».
Cette sortie intempestive avait encore aggravé la crise qui ébranlait le PQ. Un mois plus tard, M. Johnson remettait sa démission, au grand désarroi de M. Parizeau, qui n'était pas si pressé de prendre sa place.
Les événements risquent également de se précipiter dans le cas d'André Boisclair. Il a raison de dire que les ambitions de Gilles Duceppe constituent un «secret de Polichinelle» et il a sans doute des motifs de croire que certains de ses propres députés ne demandent qu'à lui mettre le pied à l'étrier, mais lui déclarer ouvertement la guerre ressemblait dangereusement à une opération suicide. Quoi que l'on en dise, l'attaque n'est pas toujours la meilleure défense.
Le chef du PQ sait depuis toujours qu'en cas de défaite, le principale menace pour son leadership viendrait d'Ottawa. Le chef du Bloc québécois et son entourage ont toujours regretté d'avoir dû passer un tour quand Bernard Landry a démissionné, en juin 2005.
Au lendemain des élections du 26 mars, M. Boisclair pouvait espérer que le scénario de 2005 se répéterait. Stephen Harper voudrait profiter de la percée fulgurante de l'ADQ pour venir chercher au Québec les sièges qui lui permettrait de former un gouvernement majoritaire. Et si le Bloc prenait une raclée, qui voudrait encore de M. Duceppe au PQ?
Malgré son souhait non dissimulé de voir M. Duceppe quitter Ottawa pour tenter sa chance au PQ, M. Harper n'aurait certainement pas hésité à déclencher des élections si cette majorité lui avait semblé à portée de main, mais le pari était trop risqué. Il lui donnera maintenant tout le loisir de partir sans donner l'impression d'abandonner le navire.
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Jusqu'à présent, le débat au caucus péquiste et dans les instances du PQ avait porté essentiellement sur le moment auquel il convenait de se prononcer sur le leadership de M. Boisclair. La question de savoir par qui le remplacer était demeurée en suspens.
Comme l'avait fait son prédécesseur après la défaite d'avril, le chef péquiste a d'abord cherché à gagner du temps, mais il est très vite apparu que l'échéance de 2009 prévue par les statuts du parti était beaucoup trop lointaine aux yeux des militants. Dans l'humeur où ils se trouvent, M. Boisclair pourrait devoir se soumettre à un vote de confiance dès le printemps 2008 ou même à l'automne 2007.
Si l'on écarte l'hypothèse toujours plausible d'un geste irréfléchi, imputable à la pression qu'il subit, le chef du PQ pourrait avoir calculé qu'il avait avantage à personnaliser. M. Duceppe a sans doute ses partisans, mais il est loin de faire l'unanimité au PQ, y compris au caucus des députés. Certains craignent au plus haut point de le voir débarquer à Québec avec sa garde rapprochée pour imposer à Québec la discipline de fer qui caractérise le Bloc à Ottawa.
Tout en reconnaissant la qualité du travail que M. Duceppe a accompli à la Chambre des communes, d'autres estiment qu'il n'a pas l'envergure que l'on attend d'un chef du PQ à un moment aussi crucial de son histoire. Sans parler de la perspective de confier les destinées du Bloc à Pierre Paquette, qu'il a désigné comme dauphin.
Une course au leadership à brève échéance se transformerait presque à coup sûr en plébiscite du chef bloquiste, tandis qu'en accordant un sursis à M. Boisclair, les militants péquistes laisseraient à d'autres candidatures possibles le temps d'éclore.
Hier, Pauline Marois a éclaté de rire quand on lui a demandé si elle serait tentée. «Pensez-vous que ce serait un bon moment pour revenir?» Les raisons familiales qui avaient amené François Legault à se désister en 2005 demeurent. Pierre Curzi et Bernard Drainville doivent commencer à comprendre dans quelle galère ils se sont embarqués. Même Bernard Landry n'oserait sans doute pas contester son ancien poste à Gilles Duceppe. C'est dire!
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Le problème est que si rien n'est fait, l'atmosphère va devenir rapidement irrespirable au sein du mouvement souverainiste. Maintenant que les hostilités ont été déclenchées, il est très difficile d'imaginer que la paix puisse être rétablie. Entre les deux chefs, il ne peut plus exister de rapport de confiance, si tant est que cela ait déjà été le cas.
Même si M. Boisclair réussissait par miracle à sauver sa tête, la collaboration avec M. Duceppe est irrémédiablement compromise. Pour le bien du mouvement souverainiste, un des deux hommes devra partir un jour, et il n'est pas difficile de prévoir lequel.
Qui plus est, M. Boisclair a choisi de déclencher les hostilités à la toute veille de la reprise des travaux de l'Assemblée nationale. On peut facilement imaginer dans quel état d'esprit les députés péquistes vont l'aborder.
Si le chef du PQ compte sur la session parlementaire pour se réhabiliter à leurs yeux, il risque d'être cruellement déçu. À compter d'aujourd'hui, ils vont pouvoir mesurer de façon très concrète la portée du désastre auquel leur chef les a menés le 26 mars.
En 1987, quand des députés péquistes se sont levés pour exiger la démission de Pierre Marc Johnson, son sort était scellé. Ce soir, M. Boisclair présidera sans doute la plus importante réunion du caucus depuis qu'il est chef.
mdavid@ledevoir.com
Opération suicide
Le problème est que si rien n'est fait, l'atmosphère va devenir rapidement irrespirable au sein du mouvement souverainiste.
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