Quand les membres du Parti québécois ont élu André Boisclair à la tête de leur parti le 15 novembre 2005, le préférant à Pauline Marois qui était pourtant nettement plus expérimentée et mieux outillée pour assumer cette responsabilité, une motivation dominante les guidait: on leur avait tellement répété que le rêve de l'indépendance politique du Québec risquait de mourir avec la première génération qui l'avait porté, qu'ils souhaitaient à tout prix transmettre le flambeau à la jeune génération qu'il prétendait incarner. Ce qu'ils firent en majorité, faisant fi des inquiétudes que certaines voix plus lucides exprimaient quant à l'immaturité et au manque de jugement du personnage. Peu d'entre eux se doutaient alors qu'en moins de deux ans, cet homme conduirait le PQ à la pire défaite électorale de son histoire et le plongerait dans une crise interne qui menace aujourd'hui son existence même.
André Boisclair a beau décliner toutes responsabilités dans la débâcle de son parti le 26 mars dernier et proclamer avec un aveuglement et une arrogance aussi risibles que pitoyables qu'il a mené «une excellente campagne», les résultats le contredisent clairement. C'est lui et lui seul qui a dirigé cette campagne et perdu ces élections. Qui plus est, il les avait perdues avant même qu'elles ne soient déclenchées.
Il les avait perdues dès le lendemain de son élection à la tête du parti quand, rejetant avec mépris les volontés démocratiques exprimées par les militantes et les militants du PQ lors du congrès de 2005 qu'il avait pourtant juré de respecter pendant la course au leadership, il décida, prétextant le manque de temps, de ne pas mettre en oeuvre les éléments du programme qui devaient précéder la campagne électorale.
Quels étaient ces éléments? Créer de concert avec le Bloc québécois une grande coalition de toutes les forces souverainistes, mener une campagne sans précédent de promotion de la souveraineté, élaborer et proposer un projet de constitution initiale et des politiques nationales d'un Québec souverain. En l'absence de telles actions préparatoires, la proposition de tenir un référendum sur la souveraineté le plus tôt possible après l'élection d'une majorité péquiste n'avait plus de sens. Elle devenait non seulement inatteignable mais irresponsable. Or, après avoir, par son inaction, rendu caduc cet objectif que mêmes les membres du PQ ne jugeaient plus réaliste, André Boisclair n'en continua pas moins de le proposer, comme une incantation creuse, jusqu'au dernier jour de la campagne.
Il les avait perdues en gaspillant l'essentiel de son temps et de son énergie à asseoir son pouvoir personnel sur le parti et la députation, en éloignant les éléments les plus valables des postes de responsabilité, en s'entourant d'une garde rapprochée complaisante, en évoquant avec un ridicule consommé une improbable «équipe de rêve», en indisposant ses alliés syndicaux par des déclarations aussi fausses qu'intempestives, en écartant du revers de la main les travaux du comité de la plate-forme électorale pour imposer une «feuille de route» provincialiste qui ne répondait même pas aux attentes les plus évidentes de l'électorat, en modifiant par opportunisme écologique et sans consultation le magnifique logo du parti dessiné par l'artiste-poète Roland Giguère, en imposant l'irréel slogan «Reconstruisons le Québec» dont on se demande encore à quel cataclysme il faisait référence sinon, diraient les méchantes langues, à son arrivée à la direction du PQ.
Il les avait perdues en n'étant pas à l'écoute des légitimes inquiétudes de la population devant la montée des intégrismes religieux au Québec, en refusant à cette occasion de se faire le champion de nos valeurs les plus profondes, en particulier l'égalité entre les hommes et les femmes, en laissant ainsi le champ libre à Mario Dumont dans le débat sur les accommodements raisonnables.
Il les avait perdues en acceptant de participer à la grotesque parodie de Brokeback Mountain, rappelant ainsi avec éclat à tous ceux qui pouvaient l'avoir oublié son désespérant manque de jugement.
Après un tel parcours, André Boisclair aurait dû avoir la décence de démissionner le soir même des élections. Eh bien non, il s'accroche, il manoeuvre, il gagne du temps, il divise, il vocifère, il plastronne. Aux députés et aux présidents des associations du parti de prendre alors leurs responsabilités, de faire preuve de courage et de lui indiquer la porte de sortie. Non pas à l'automne ou au printemps 2008 mais dès à présent.
Le PQ a-t-il d'autres problèmes? Bien sûr. Doit-il faire un bilan et revoir son programme? Bien entendu. Les éventuels prétendants à sa succession, y compris Gilles Duceppe, doivent-ils d'abord proposer leur vision de l'avenir du Québec et se soumettre à un vote démocratique au sein du parti? C'est évident. Mais il faut d'abord et de toute urgence limiter les dégâts que l'homme qui manque de jugement pourrait encore faire. Avant qu'il ne soit trop tard. Autrement, le Parti Québécois aura vécu.
***
Pierre Graveline, Écrivain et éditeur associé chez Fides, l'auteur s'exprime ici à titre personnel
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé