L'intégrisme à nos portes

Il est temps de formuler, d'adopter et d'imposer avec courage une Charte québécoise de la laïcité

Accommodements raisonnables



Qu'ils soient chrétiens, juifs, musulmans, hindouistes ou sikhs, les intégrismes religieux montent aujourd'hui en puissance partout sur la planète. Peu de sociétés échappent désormais aux méfaits de ces nouveaux fascistes pour qui l'autre, l'étranger, l'incroyant, l'impur, doit se plier aux préceptes rigoureux de leur foi ou périr. En ce début du XXIe siècle, on ne compte plus les victimes de ces totalitarismes. Pas une journée qui n'apporte son lot irrationnel de replis communautaires, d'actes d'intolérance et d'exactions, de tortures, d'attentats, de bombardements et d'assassinats perpétrés au nom de ce panthéon de divinités.
Loin d'être à l'abri de ces "malheurs du monde", le Québec est de plus en plus aux prises avec cette triste réalité. En particulier dans la métropole, plus une semaine ne se passe sans que se manifestent - sous le couvert d'une pseudo philosophie dite "d'accommodements raisonnables" qui camoufle sous les bons sentiments notre lâche absence de volonté collective à imposer nos valeurs démocratiques - les inquiétants dérapages des intégristes de tous acabits: les uns soustraient leurs enfants à la Loi sur l'instruction publique pour les endoctriner dans des écoles sectaires, les autres réclament de porter leurs symboles et leurs costumes religieux à l'école, de disposer de locaux réservés à leurs prières, de recevoir une éducation "créationniste"; les uns refusent d'être en contact avec des femmes policières, les autres interdisent aux hommes médecins de soigner "leurs" épouses; les uns veulent instaurer des tribunaux religieux, les autres refusent de porter des casques de sécurité qui les obligent à enlever leur turban sur les chantiers; les uns exigent le "givrage" des vitres d'un YMCA pour soustraire leurs adeptes à la tentation de regarder des femmes en "tenue légère", les autres s'opposent à la présence des hommes dans les cours prénataux et revendiquent des horaires séparés pour les hommes et les femmes dans les gymnases et les piscines; les uns lancent des cocktails Molotov sur des synagogues, les autres accusent d'antisémitisme quiconque ose critiquer les politiques de l'État d'Israël...
Que réclamera-t-on demain? Un règlement municipal vestimentaire pour ménager les susceptibilités religieuses? Des systèmes d'éducation, de santé et de justice séparés par croyances? Des wagons de métro, des salles de cinéma, des installations sportives pour les femmes musulmanes, d'autres pour les juifs hassidiques? En somme, l'instauration d'un véritable apartheid religieux au Québec?!
La très vaste majorité des femmes et des hommes au Québec, qu'ils soient croyants ou incroyants et peu importe leur confessionnalité, ne désire pas, j'en ai la conviction, devenir les otages de ces intégrismes et s'enfoncer plus avant dans cette spirale fondamentaliste qui ne peut que mener notre société à des tensions de plus en plus vives, à des conflits de plus en plus brutaux, voire à une guerre de religions larvée ou déclarée. Et cette très vaste majorité souhaite désormais, j'en suis persuadé, mettre un frein aux compromissions actuelles des pouvoirs publics et des tribunaux face aux valeurs intrinsèques de notre nation que sont, notamment, l'égalité de tous face à la loi, l'égalité entre les femmes et les hommes, la liberté d'opinion, d'expression et de critique.
Or, ces valeurs ne peuvent se vivre pleinement et paisiblement, y compris et peut-être plus encore la liberté de croyance religieuse, que dans le cadre clair et accepté de tous les citoyens de la laïcité de l'État, de ses institutions et de la société en général: en particulier, bien sûr, à l'école qui est la seule institution collective en mesure de développer une culture publique commune fondée sur des valeurs démocratiques, mais aussi à l'hôpital, mais aussi au tribunal...
Il y trente ans, déchiré par des conflits linguistiques qui menaçaient de rompre la paix sociale, le Québec se dotait d'une Charte de la langue française qui a déterminé le bien commun en cette matière. Il est temps aujourd'hui, je dirais même urgent, de formuler, d'adopter et d'imposer avec courage une Charte québécoise de la laïcité.
PIERRE GRAVELINE

L'auteur est l'ancien éditeur du Groupe Ville-Marie Littérature.


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