Des accommodements raisonnables qui incommodent

Accommodements raisonnables

SONDAGE SOM - LA PRESSE - LE SOLEIL
par André Duchesne

Le tumulte de l’accommodement raisonnable aura marqué l’année 2006 au Québec. Les résultats d’un sondage SOM-La Presse-Le Soleil le démontrent sans équivoque : près de six Québécois sur 10 (58,6 %) estiment que la société est trop tolérante en la matière.
Cependant, une bonne majorité (68,1%) d’entre eux considère que l’immigration est un atout pour la société québécoise.
Fait encore plus remarquable, le nombre de répondants estimant que la société québécoise est trop tolérante augmente en fonction du revenu et du niveau de scolarité.
Par contre, l’opinion des jeunes répondants va à contre-courant. Seulement 34,1% des jeunes de 18 à 24 ans estiment la tolérance trop laxiste, par rapport à 65,4% chez les 25-34 ans ou encore à 67,5% chez les 55-64 ans.
«Si c’est le cas, c’est parce qu’ils ont le temps d’arriver à la même opinion que leurs aînés», dit l’analyste de SOM Guy Larocque. Autrement dit, plus on vieillit, plus on a le temps de se forger une opinion où l’on assimile les questions de laïcité.
Même constat avec les autres catégories de répondants.
Si les diplômés universitaires sont plus nombreux à dire que la société est trop tolérante envers les questions d’accommodements raisonnables que les personnes sans diplôme (64,2% contre 55,4%), c’est parce qu’ils saisissent l’importance de la laïcisation des institutions au Québec depuis la Révolution tranquille, explique-t-il.
Cela dit, 2006 aura été une année assurément riche en événements qui ont fait tourner les projecteurs sur les questions d’accommodements raisonnables, souligne M. Larocque, ce qui a eu un impact sur les opinions des gens.
Certains événements majeurs ont soulevé des débats de société. On pense inévitablement au jugement de la Cour suprême dans l’affaire du kirpan qui, favorable à la cause du demandeur, a soulevé les passions.
Plus tôt, en mars, la Commission des droits de la personne du Québec donnait raison à un groupe d’étudiants musulmans qui réclamaient l’aménagement d’un local pour prier à l’École de technologie supérieure. Il y a eu aussi les fameuses vitres givrées d’un YMCA du quartier Mile End pour soustraire les femmes s’entraînant en short de la vue des jeunes d’une communauté juive hassidique.
Débordement d’émotivité
De questions d’ordre général comme les trois énumérées ci-dessus, on a déboulé vers des cas plus isolés. Un juif hassidique qui passe avant tout le monde dans un CLSC, une cafétéria aux aliments casher, etc.
Selon l’avocat Julius Grey, l’année qui se termine aura été teintée d’un peu d’émotivité qui s’est alimentée à la controverse sur le kirpan. «La question de l’accommodement est pourtant limitée par le terme raisonnable, qui signifie qu’on ne peut pas permettre n’importe quoi, dit Me Grey, qui a défendu plusieurs causes de ce type. C’est peut-être un échec de communication de la part de certaines personnes qui, comme moi, ont à donner un sens à toutes ces questions.»
Selon Me Grey, le Québec demeure une société ouverte, accueillante et largement tolérante. Il souhaite cependant que la notion d’accommodement raisonnable soit là pour rester, car elle sert les efforts d’intégration lorsqu’elle est bien utilisée. En gros, permettre le port du foulard islamique (notion avec laquelle il est d’accord) permet l’intégration au sein de l’école publique. À l’opposé, si on interdisait le kirpan, cela ne ferait que favoriser la ghettoïsation.
«Mais je ne suis pas d’accord avec le fait de tout permettre, dit Me Grey. Je suis par exemple contre le voile qui isole la vie.»
Notre sondage montre qu’il existe un clivage important entre les répondants de langue maternelle française et les autres en ce qui concerne l’accommodement. Les francophones estiment à 65,9% que la société québécoise est trop tolérante, alors que ce taux tombe à 27% chez les personnes ayant une autre langue que le français comme langue maternelle.
Par ailleurs, 92,2% des répondants disent que le Québec est très ou assez accueillant pour les immigrants.
Plus intéressante est la question portant sur le nombre d’immigrants vivant présentement au Québec. Selon notre sondage, 59,5% des gens croient qu’il y en a juste assez, et 29,3% qu’il y en a trop. Comme le Québec est une terre d’immigration – et qui compte sur cet apport pour combler le déficit de natalité –, comment réagira le Québec dans l’avenir face à un flux important d’immigrants?
Québécois plus réticents
Par ailleurs, les résultats de l’enquête vont dans le même sens qu’un sondage Ekos-La Presse-Toronto Star réalisé en septembre dernier et faisant le constat que les habitants du Québec étaient moins ouverts que ceux du reste du Canada aux signes religieux.
Ainsi, 62% des répondants du Canada anglais se disaient alors contre le port du kirpan, comparativement à 77% des personnes interrogées au Québec. Le fossé s’élargissait lorsqu’on abordait d’autres signes religieux. Ainsi, seulement 25% des résidants du Canada anglais se disaient opposés à ce que le professeur de leur enfant porte le foulard islamique. Au Québec, le taux d’opposants grimpait à 54%.


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