Ouest-France - par Marie-Morgane LE MOËL.
À Montréal, une synagogue a obtenu qu'une salle de sport givre ses vitres, par souci de discrétion. La mesure divise la société québécoise.
MONTREAL (correspondance). - C'est un centre sportif comme il en existe des dizaines à Montréal. Il propose des cours d'aérobics et de fitness. Au 2e étage, des femmes en short s'exercent au yoga derrière des fenêtres désormais noircies. Voilà quelques semaines, la synagogue voisine, qui fait aussi office d'école pour jeunes juifs hassidiques, a obtenu que les vitres soient remplacées par des carreaux teintés. De la cour de leur école, les jeunes auraient pu voir les jambes des femmes, vision jugée provocante par cette très fervente communauté. Elle a obtenu gain de cause. Mais elle n'avait pas prévu la levée de boucliers qui a suivi.
Très vite, les membres du centre sportif se sont indignés. « On nous lance le message qu'on représente la tentation et qu'il faut donc se cacher », tempête René Lavaillante, l'instigatrice d'une pétition contre les fenêtres opaques. « On ne fait pas du porno, on n'est pas nues », réagit une autre utilisatrice. Rapidement, la nouvelle a provoqué réactions en chaîne et tribunes à la une des journaux. Usagers, politologues ont pris part au débat. Même des membres éminents de la communauté juive montréalaise se sont prononcés contre la décision du centre sportif.
Voile islamique et poignard sikh
Si l'affaire émeut tant, c'est qu'elle remet sur la sellette une notion essentielle au Canada, celle de «l'accommodement raisonnable». Le droit de libre expression, en particulier celui d'expression religieuse, est sacré ici. « On ne peut y toucher, sauf pour des raisons très graves », explique Pierre Anctil, un universitaire. Chaque institution a dès lors obligation de trouver, au cas par cas, des arrangements « raisonnables » pour le garantir. Ainsi, au nom de ce principe, les filles peuvent porter le voile islamique à l'école depuis des années. « Si elles devaient aller dans une école privée à cause de leur voile, il s'agirait d'une atteinte discriminatoire», explique Pierre Bosset, de la Commission des droits de la personne du Québec. De la même façon, des policiers sikhs ont été autorisés à porter le turban à la place de la casquette réglementaire.
Ces concessions ont toujours été bien acceptées dans un pays traditionnellement très ouvert à l'immigration. Mais il semble qu'une étape de trop a été franchie en mars, lorsque la Cour suprême, plus haute instance judiciaire canadienne, a autorisé un enfant à porter le kirpan, un poignard religieux sikh, à l'école. Tolérance exemplaire ou porte ouverte à tous les extrémismes? Le grand souci, c'est qu'aucun texte juridique n'indique jusqu'où aller pour accommoder les groupes religieux. Un projet de tribunal islamique, parallèle au système de droit commun, a failli voir le jour dans la province de l'Ontario, avant d'être abandonné...
Désormais, il ne se passe pas une semaine sans qu'un cas problématique ne soit rendu public. Il y a quelques jours, c'est le journal interne de la police québécoise qui recommandait aux policières de rester en retrait lors d'opérations auprès de juifs hassidiques. « Il ne faudrait pas que l'accommodement raisonnable devienne un passeport pour limiter la liberté d'autrui», commente Clairandrée Cauchy, en charge de la question au Devoir, un grand quotidien d'opinions. La Commission des droits de la personne du Québec s'apprête d'ailleurs à engager le débat pour tenter de dégager des balises claires.
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