Du budget au rapport Grenier

Gouvernement Charest minoritaire



Il y avait quelque chose d'ironique, lundi, à entendre Jean Charest dire que Mario Dumont doit comprendre le message des dernières élections et, du même souffle, affirmer qu'il ne voit aucune raison de revenir sur sa promesse controversée d'utiliser les transferts de péréquation pour diminuer les impôts.
Aucune raison, vraiment?
Et le résultat des élections, ce n'est pas une raison suffisante pour corriger le tir?
Pourtant, s'il y a une chose que l'on peut conclure après le 26 mars, c'est bien que les Québécois n'ont pas été dupes des promesses désespérées de dernière minute des libéraux.
Qu'est-il donc advenu de la " première priorité " de M. Charest, la santé? N'était-ce pas la principale victime du déséquilibre fiscal? Vous vous souvenez : l'argent est à Ottawa et les besoins dans les provinces. À voir les reportages des derniers jours sur notre système de santé boiteux, on dirait bien pourtant que les problèmes sont loin d'être tous réglés.
Pour justifier son choix, Jean Charest a repris à son compte une vieille marotte de la droite : vous baissez les impôts, les consommateurs dépensent plus, l'économie roule mieux. C'est peut-être vrai en Alberta, qui n'a plus de dette, qui accueille 60 000 nouveaux résidants par année et qui connaît une véritable ruée vers l'or noir; mais au Québec, le premier impact des baisses d'impôts, c'est de priver l'État de fonds dont il a cruellement besoin pour assurer les services publics.
Mario Dumont n'a pas intérêt à jouer les matamores à l'Assemblée nationale, les Québécois n'apprécieraient pas. Mais il a parfaitement raison quand il dit que le mandat de l'opposition officielle, c'est précisément de s'opposer au gouvernement. Surtout devant la pièce maîtresse, le budget.
Parlez-en à Stephen Harper, qui avait appuyé le premier budget du gouvernement minoritaire de Paul Martin, et qui avait mis un an à se remettre des critiques et de l'image de faiblesse qui lui collait à la peau.
L'opposition officielle appuie quand elle est faible, quand elle ne peut se permettre d'aller en élections; mais ce n'est pas le cas de l'ADQ, comme l'a confirmé le plus récent CROP.
M. Charest peut faire la leçon à Mario Dumont, lui dire qu'il doit être humble dans son rôle de chef de l'opposition officielle dans une situation de gouvernement minoritaire, mais il aurait tort de sous-estimer l'expérience parlementaire du chef de l'ADQ. Quand Jean Charest est arrivé à l'Assemblée nationale, en 1998, M. Dumont avait déjà quatre ans de Parlement dans le corps.
Oui, bien sûr, il faut faire fonctionner le Parlement, c'est particulièrement important au cours des premiers mois, question de laisser l'électorat reprendre son souffle. Mais en situation de gouvernement minoritaire, les partis politiques sont en campagne électorale permanente. C'est plus facile quand on a le vent dans les voiles et le seul qui peut prétendre en ce moment être dans cette situation, c'est Mario Dumont.
Jean Charest, de toute évidence, veut jouer les chefs d'État, se présenter comme le chef le plus rassurant en cette période trouble et, en ce sens, son expérience des deux côtés de la Chambre le servira bien. M. Charest veut aussi insister sur l'inexpérience de l'ADQ.
Mais Jean Charest sait qu'il devra s'appuyer sur André Boisclair pour faire adopter son budget, ce qui ne devrait pas être trop difficile vu l'état du Parti québécois. Dans sa position, le PQ ne serait même pas en mesure de faire reculer le gouvernement sur les baisses d'impôts ou sur la hausse des droits de scolarité. C'est ainsi que ça fonctionne : la force d'un gouvernement minoritaire est toujours proportionnelle à la faiblesse de son opposition.
Dans le fond, c'est tout bénéfice pour Mario Dumont : il n'aura pas à porter l'odieux de priver les Québécois de baisses d'impôts et il peut, en même temps, continuer de marteler ses solutions, comme la diminution de la dette. En ce sens, c'est Jean Charest lui-même qui a donné à Mario Dumont le plus judicieux des conseils : ne vous opposez pas bêtement, juste pour vous opposer, vous avez le devoir maintenant de proposer vos solutions de rechange.
M. Dumont ne devrait pas s'en priver. Les résultats de notre CROP lui donneront d'ailleurs toutes les motivations de rester en mode électoral. Ses adversaires sont sous surveillance, voire en sursis; le Parti libéral continue de s'écraser chez les francophones, et l'ADQ récolte encore les fruits de ses succès inespérés du 26 mars.
Les choses ne vont pas très bien pour le PQ, qui perd aussi des plumes, mais la marge de manoeuvre des libéraux se rétrécit dangereusement. Et pourrait se rétrécir encore davantage.
Il y aura le budget, certes un test important pour le gouvernement minoritaire de Jean Charest, mais il ne faut pas oublier que l'on attend aussi à peu près au même moment (vers le 15 mai) le fameux rapport du juge Grenier sur Option Canada.
Quel sera l'impact de ce rapport sur le gouvernement Charest? Difficile à prédire tant que l'on ne connaît pas ses conclusions, mais différentes sources affirment depuis des mois que le camp du NON de 1995, dont Jean Charest était le coprésident, sortira éclaboussé de l'exercice.
Coincé dans un cul-de-sac depuis le 26 mars, André Boisclair pourrait être tenté de se servir du rapport Grenier comme porte de sortie. Il en a bien besoin, tout comme le mouvement souverainiste, et il ne faut jamais sous-estimer l'instinct de survie d'un politicien en péril.
Pourrait-il même être tenté de défaire le gouvernement Charest? Pour le moment, c'est de la politique-fiction. Mais chose certaine, Mario Dumont, lui, ne serait pas contre l'idée de retourner aux urnes plus tôt que plus tard.
Pour joindre notre chroniqueur : vincent.marissal@lapresse.ca


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