Cela sent 1976!» Quand André Boisclair a lancé cette référence à l'élection mythique du PQ, hier matin à Joliette, plusieurs ont cru que le chef péquiste exagérait. Mais à la fin de son discours, alors que les notes hard rock du jingle de la campagne -- «Reconstruisons!» -- s'estompaient, l'assistance se mit à chanter «Mon cher André, c'est à ton tour» spontanément. Fin d'après-midi, à Arthabaska, des militants, dont l'un tient un drapeau du Québec, doivent écouter le discours de leur chef à l'extérieur du local électoral puisque ce dernier est plein. Dans Fabre, d'autres avaient ressorti des balais, comme en 1976.
André Boisclair répète depuis des semaines que le vent souffle pour lui, qu'il formera un gouvernement majoritaire. Jusqu'au débat, peu y croyaient. Mais ces derniers jours, un organisateur se risque: «C'est comme si la réalité rattrapait tranquillement le discours d'André.» Hier, «même [le chroniqueur] Alain Dubuc, de La Presse, reconnaissait qu'on a fait une bonne campagne», ajoute-t-il.
Majoritaire, le PQ, le 26 mars? André Boisclair répète inlassablement que c'est son seul et unique scénario, mais il serait surprenant qu'il le réalise. Sur son site, le chercheur Greg Morrow affichait hier sa dernière projection, effectuée à partir d'une moyenne pondérée des cinq dernières enquêtes d'opinion. Résultat: le Parti québécois obtiendrait 51 sièges contre 49 pour le PLQ et 25 pour l'Action démocratique du Québec. Quand, en début de parcours (le 24 février), le même chercheur avait projeté 51 sièges au PQ, plusieurs y avaient vu une sorte d'aberration.
Départ pénible
Et cela nous rappelle d'où André Boisclair est parti: accablé par de mauvais sondages (lui donnant 32 % des voix), affaibli par des guerres intestines, torpillé par des péquistes de la première heure. Bernard Landry, au premier chef, mais aussi Yves Michaud. Son air de bête traquée le soir de l'assemblée d'investiture de Pierre Curzi dans Borduas. Reconnu comme un grand orgueilleux hautain, le voilà qu'il faisait son mea-culpa: «J'entends bien le message. Je peux faire mieux. Je vais mettre mes culottes.»
Quand il arrive dans le hall du parlement le 21 février, jour du déclenchement des élections, le chef affiche un air très déterminé, même s'il n'a pas réussi à réunir l'équipe de rêve promise. L'organisateur en chef Nicolas Girard a beau répéter à tout vent que le PQ n'a «jamais eu un niveau de préparation aussi élevé», plusieurs sont sceptiques. M. Boisclair, souligne-t-il, a passé «un an à l'extérieur de l'Assemblée nationale pour faire la tournée de plusieurs régions afin de préparer l'organisation, et cela donne des résultats».
Après la tourmente de fin janvier, l'homme a su bricoler une unité toute électorale dans son parti. Les membres de l'équipe parlementaire, concluant qu'il serait suicidaire de se lancer dans une course à la direction, serrent les coudes. Le 23 février, le club de gauche SPQ-libre, dont le président Marc Laviolette est candidat dans Soulanges, se rallie à la plateforme, rebaptisée «feuille de route» dans la langue de Boisclair.
André Boisclair compte secrètement sur les étudiants, à qui il a promis le gel des droits de scolarité pour embêter son adversaire. Les premiers jours de campagne semblèrent difficiles et tumultueux, vus de l'extérieur. «Mais de l'intérieur, ça roulait», raconte un journaliste qui a suivi André Boisclair jusqu'au débat des chef du 13 mars. Les annonces sur l'éducation, les éoliennes, se suivent à un rythme régulier. Il fait mouche en rappelant à Jean Charest, pour qui la «première priorité» est toujours la santé, que «le Québec n'est pas qu'un hôpital».
La campagne a carrément l'air de déraper quand l'animateur de radio Pierre Champagne qualifie le Parti québécois de «club de tapettes». Mais le chef péquiste a alors une réponse percutante et reste, selon l'expression d'Alain Juppé, «droit dans ses bottes»: il explique que ce sont les Québécois, épris de liberté et d'égalité, qui répondront à ses propos le 26 mars. Les deux chefs adversaires se portent alors à la défense du chef péquiste, condamnant l'animateur de radio saguenéen.
Il répète inlassablement qu'il ne se laissera pas «distraire» et qu'il gardera les yeux rivés sur son «plan de campagne». Un soir toutefois, il cède à un moment d'émotion. Sa gorge se noue pendant 48 secondes. Le politicien, présenté comme une sorte de robot par les caricaturistes, aura montré un côté «humain» que peu ont jugé inauthentique.
Jean Charest lui facilite la vie en semblant retourner à de vieilles tactiques de peur des années 70: perte des pensions de vieillesse. Ce qui place le chef péquiste dans la situation facile, pour un chef souverainiste, de s'indigner et de condamner le «chantage». Et Jean Charest ne s'arrête pas là: il commet son lapsus sur la partition et refuse de s'engager clairement, quoi qu'il advienne, à défendre le territoire québécois. En termes de baseball, on appelle ça une balle à circuit pour un souverainiste.
Débat
Le vrai point tournant pour lui est le débat des chefs. Dans le jeu des attentes, il est avantagé: celles-ci ne sont pas très élevées à son égard. Mais il arrive préparé, insistant, prêt à l'attaque. Aux yeux du grand public, il ne l'emporte pas, mais il «tire son épingle du jeu». Et cela a l'effet escompté sur ses militants et sa base. Lui-même a «reconstruit» son «estime de soi», comme le disent les psychologues.
Dès le lendemain du débat, André Boisclair sent qu'il peut au moins sauver les meubles et peut-être même espérer mieux. Il se met tout de suite «en mode blitz», comme on dit dans son entourage. Il augmente le nombre de ses critiques à l'égard de l'Action démocratique et de Mario Dumont, l'homme du «one man show», expression qu'André Boisclair vole aux libéraux.
Tout et son contraire
Les tendances observées dans l'opinion peu avant le débat se confirment rapidement: les élections sont bel et bien une course à trois. André Boisclair adopte très rapidement le discours du rassemblement. Il demande aux pacifistes, altermondialistes, féministes, progressistes et bien sûr souverainistes de se joindre à son parti. Tous les pourcentages de vote comptent, même ceux de Québec solidaire.
Tout en conservant son discours «progressiste», André Boisclair continue à promettre de «soulager le capital». Lorsque Stephen Harper annonce qu'il fera tomber sa manne sur le Québec, il refuse de prendre d'autres engagements et promet un «vrai déficit zéro» et vante les vertus de Lucien Bouchard. Sur le plan des finances publiques, il a les accents des fiscal conservatives américains. Quand, la même journée, Françoise David dit de lui qu'il n'est pas un «progressiste» et que Mario Dumont le traite de gau-gauche, il s'emballe et saute sur l'occasion: le Parti québécois est «à la bonne place», déclare-t-il, parce qu'il possède la «meilleure synthèse». Le voilà qu'il incarne le centre, lieu convoité entre tous par tout politicien occidental.
Et il en remet à gauche. Jeudi, il pige un slogan au Forum social mondial, mecque des altermondialistes: «Je crois qu'un autre monde est possible.» Mais hier, en Mauricie, il parle soudainement, comme l'ancien premier ministre ontarien Mike Harris, de «révolution du bon sens». Lui qui avait défendu la joueuse de soccer musulmane et son hijab, il saisit le cas des électrices portant la burka ou le nikab pour marquer quelques points dans le dossier des «accommodements raisonnables». Il parle aussi de souveraineté, partout. Et reprend pour ce faire le slogan de Jacques Parizeau, «l'autre façon de gouverner». Lors d'un autre discours, il promet un «bon gouvernement», comme en 1976.
La surprise de 1976 peut-elle se rééditer? «Je ne suis pas René Lévesque», a déjà reconnu André Boisclair... Réussira-t-il seulement à atteindre le score du PQ de 33 % de 2003? Tel est le seuil pour lui. Mais qu'on évoque 1976, c'est déjà une victoire, pour un chef qui était parti de loin.
Coude à coude... à coude
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