Prière de ne pas inviter André Boisclair et Gilles Duceppe au même party. À la même assemblée publique? Pour appeler, la main sur le cœur, le ralliement de tous les souverainistes devant les caméras? Bien sûr. Mais pas plus.
Dans la campagne d’André Boisclair, le grand rassemblement de cet après-midi vise à mobiliser des troupes déstabilisées avant l’assaut sur le champ de bataille bien incertain de la région de Québec. Plus de 1000 militants sont attendus. Ils viendront aussi voir Lucie Laurier.
Clairement, le jeune chef a réussi au débat télévisé de mardi une performance bien supérieure aux attentes, et sa campagne en a été revigorée. Mais au-delà de ce sursaut d’énergie du chef, les troupes n’ont pas du tout la même assurance sur le terrain.
On en est rendu à payer les scouts dans la circonscription de Vachon pour aller distribuer les brochures de Camille Bouchard. Où sont les bénévoles? Dans Outremont, ceux qui font le pointage du PQ ont une réaction surprenante quand l’électeur répond qu’il ne vote pas péquiste. Candides, ils demandent : « Est-ce que c’est à cause du chef? »
Les péquistes sont bien mêlés. Parlez-en à Bernard Landry. Comme bien d’autres vétérans du PQ, l’ancien chef a souri quand il a vu, à la télé, l’ouvrier d’ABB, Richard Lévesque, enguirlander le premier ministre Charest, qui visitait son usine jeudi. Élu trois fois dans Verchères, Bernard Landry connaissait bien ce souverainiste de longue date. Puis, après avoir haussé le volume, il a vu que le ras-le-bol de ce fidèle soldat l’avait entraîné vers des chemins de traverse : Richard Lévesque est désormais adéquiste!
« Cela ne m’a pas du tout surpris qu’il soit exigeant vis-à-vis de Jean Charest, a expliqué M. Landry hier, mais j’ai été étonné et déçu de sa décision d’aller à l’ADQ. J’ai toujours pensé que c’était un péquiste dans l’âme. J’espère qu’il s’agit d’une infidélité… passagère. »
Si les péquistes sont infidèles dans une circonscription comme Verchères, imaginez ce qui se passe à Québec actuellement!
Ce grand ralliement devait à l’origine sonner l’heure de la réconciliation entre les générations de souverainistes. Elle a déjà débuté. Quatre anciens ministre péquistes, des militants de la première heure comme Jacques Léonard et Marc-André Bédard, ont appuyé André Boisclair dans une lettre ouverte cette semaine.
Cet appel des vétérans n’est pas un hasard. Dans ses discours, M. Boisclair demande à ses supporters d’aller convaincre « leurs grands-pères », les boomers qui écoutaient les Beatles – les sondages internes du PQ montrent que l’appui à André Boisclair tombe en vrille chez les 40 ans et plus.
Pauline Marois ne pouvait être là cet après-midi. À un moment, elle figurait pourtant dans les scénarios de l’organisateur Louis-Philippe Bourgeois. Elle prenait la parole avec Gilles Duceppe pour préparer l’arrivée sur scène d’André Boisclair.
Elle appuiera peut être la campagne péquiste plus tard… mais personne ne sera convaincu de sa loyauté à André Boisclair. Bernard Landry, lui, était fin prêt à monter sur la scène hier. Mais on le garde en réserve pour un autre rassemblement.
Le débat a bien sûr donné des ailes à André Boisclair. Mais il lui a délié la langue.
Cinq étudiants du cégep Montmorency demandent que Gilles Duceppe passe à la barre du PQ ? C’était « avant le débat », explique Boisclair. Pas de fausse modestie… à vrai dire, pas de modestie du tout.
Dans les rangs péquistes, on s’était tu jusqu’ici, mais on trouve que ces manques de flair sont bien fréquents.
Gilles Duceppe n’a pas apprécié, semble-t-il. C’était pire vendredi : selon M. Boisclair, un gouvernement péquiste, même minoritaire, tiendrait tout de même un référendum au cours de son mandat. C’était là l’occasion rêvée d’élargir le corridor qui l’amène actuellement au pied du mur, de se dédouaner un peu de l’hypothèque qui repousse les électeurs!
Ce n’est pas un hasard si l’on entend subitement parler d’un faux pas qui a aussi été source d’irritation : aux funérailles de la mère de Lucien Bouchard, André Boisclair a transmis ses condoléances à l’ancien premier ministre à la sortie de l’église, puis a consenti tout de suite à un point de presse imprévu. Bouchard était furieux, et tous ses amis l’ont bien compris. Il faut dire que la conversation dans la petite salle à côté de l’église, quelques minutes avant l’arrivée du chef péquiste, n’était pas des plus… charitables.
Dans les prochaines heures, André Boisclair et Gilles Duceppe devront se parler sérieusement. Quelle sera la réaction des souverainistes au budget Harper, lundi?
Duceppe n’a pas de marge de manœuvre – il va voter en faveur parce que son parti n’a rien à gagner dans des élections ce printemps. De son côté, André Boisclair devra jouer de nuances : il ne peut dénigrer un budget approuvé par le Bloc ni se satisfaire d’annonces qui donnent du carburant aux libéraux.
Une semaine plus tard, ils se parleront de nouveau... plus sérieusement encore. Un peu de futurologie ? Si le chef péquiste devait ramener moins de sièges que Bernard Landry en 2003, ou se contenter de moins de 33 % des suffrages (le score de son prédécesseur), la pression sur lui serait subitement forte, très forte.
Dans les 48 heures, certains députés péquistes, déjà identifiés, mettraient publiquement en doute l’ascendant de leur chef. Puis ce serait à Gilles Duceppe de se dire d’abord prêt à réfléchir… puis très intéressé.
Tout se fera très vite. Car le chef bloquiste est conscient que Stephen Harper ne tardera pas à se lancer, lui aussi, en campagne électorale. Et il sait encore davantage qu’il n’a rien de bon à espérer d’une campagne auprès d’électeurs qui se sont vite entichés de l’Action démocratique.
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