Des idées en l'ère

Des qualités et défauts du printemps érable

Désobéissance civile - Printemps québécois


«Printemps érable»: le slogan résume bien le malentendu à la source de la période agitée que nous traversons. Il a des qualités, ce slogan. Habile comme un mot d'esprit, vif comme cette «jeunesse que l'on n'attendait pas», il traduit une volonté de changement bien réel.
Les ras-le-bol suscitent des printemps (comme à Prague ou dans les pays arabes), c'est inévitable et bien connu; même si les «printemps» en question peuvent être très différents.
Celui que vit le Québec est ancré d'abord dans l'impression que nous avons «tout ce qu'il faut», ici, en ressources, en talents, pour prospérer, pour progresser. Mais nous n'y arrivons pas. L'autre ancrage de ce ras-le-bol est cette gangrène que nous découvrons alors qu'on nous a chanté pendant des décennies les vertus du «modèle-québécois-de-financement-des-partis-politiques-inventé-par-René-Lévesque». On pointera aussi l'usure du gouvernement en place. Son caractère déconnecté, comme l'ont montré hier les blagues de Jean Charest, qui a eu l'air d'un premier ministre «juste pour rire».
Mais n'oublions pas que ce printemps suit un hiver de 30 ans où les grands projets du Québec — peut-être étaient-ce des utopies — ont tour à tour échoué. La Constitution de 1982 a enfoncé un premier clou dans le cercueil du «fédéralisme renouvelé», voie préférée d'une majorité de Québécois. Meech et Charlottetown ont complété la mise à mort. Le projet de souveraineté du Québec aussi, en parallèle, se voyait plombé de défaites en 1980 et en 1995.
Par la suite, il parut urgent de laisser les dossiers «constitutionnels» de côté, de se concentrer sur les finances publiques mises à mal par 30 ans de constructions souvent concurrentes de deux États coûteux, l'un à Québec, l'autre à Ottawa. Un projet s'imposa tranquillement, dans la capitale nationale comme fédérale, pendant les années 1990: celui du déficit zéro. L'objectif avait moins de panache que le fédéralisme renouvelé ou le souverainisme. Et a déclenché un débat gauche-droite qui dégénère actuellement en un affrontement souvent stérile. Reste qu'après une décennie sans déficit, on se retrouve pourtant aux prises avec une dette astronomique. Autre échec...
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Et nous voilà au «printemps érable». Il n'a pas que des qualités, ce slogan. On dira que je chipote, mais, une fois de plus, nous nous comportons en purs «périphériques», baptisant ce qui nous arrive en référence à des événements étrangers. Ça devient un réflexe. Dans le passé, nous avons emprunté «la Grande Noirceur» à l'histoire européenne, la «nuit des longs couteaux» à celle du nazisme et la «paix des braves» au conflit au Proche-Orient. Il semblerait que notre histoire soit trop petite, trop périphérique, pour susciter ses appellations propres (à part pour certaines belles exceptions, telle la «revanche des berceaux»).
«Printemps érable» a aussi le défaut de transformer, dans plusieurs esprits, une bataille contre une décision gouvernementale — certes contestable — en lutte sans merci contre une effroyable tyrannie. «N'est pas héros qui veut; ni le courage, ni le don ne suffisent, il faut qu'il y ait des hydres et des dragons», écrivait Jean-Paul Sartre dans Les mots. Dans nombre de discours de grévistes, Jean Charest et son gouvernement prennent l'allure d'hydres, de dragons. «Charest = Moubarak et voilà pourquoi on doit se faire un printemps»: tel est le sous-texte de nombre d'interventions entendues dans ce printemps érable.
Un romantisme révolutionnaire, encouragé par des baby-boomers se projetant dans les «jeunes-qui-prennent-la-rue-comme-nous», a le défaut de transformer l'adversaire en ennemi. Dans une manif, dans la rue, le monde est facilement lisible. D'un côté, moi qui manifeste pour les bonnes raisons. De l'autre, le pouvoir, le terrible pouvoir, incarné dans un policier casqué, masqué, qui lance des gaz.
Cette griserie des manifs, il faut s'en méfier. Elle a la capacité de suspendre l'activité d'une ville, d'un pays. Critique de Mai 68, Alain Finkielkraut a déjà exprimé cette nostalgie pour ce moment où «l'ennui cessait miraculeusement d'être le prix à payer par chaque existence pour la bonne marche des choses. Il n'y avait plus rien de quotidien dans la vie quotidienne». Mais après la manif, après le printemps? Si on y a trop cru, trop investi; si on pense que c'est «dans le festival de la parole agissante» (Pierre Nora) que se règlent les choses, on se prépare un retour sur terre, un post-partum terrible.
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Si l'on veut réussir ce printemps, il me semble qu'il faudra bien un jour passer de la rue aux urnes; puis des urnes à des décisions politiques débattues, réfléchies. La rue a assurément un aspect démocratique. Mais elle simplifie les enjeux, prétend détenir la vérité. Est immodeste. Or, selon la formule d'Albert Camus, «la démocratie, c'est l'exercice de la modestie. Le démocrate est modeste, il avoue une certaine part d'ignorance, il reconnaît le caractère en partie aventureux de son effort et que tout ne lui est pas donné et, à partir de cet aveu, il reconnaît qu'il a besoin de consulter les autres pour compléter ce qu'il sait».


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