Les visages rouges sous l'oppression libérale

Les jeunes sont dans le « rouge » : c’est tout simple, non ? Où se trouve la violence dans cette image ? Difficile de la cerner, puisqu’il n’y en a pas.

Désobéissance civile - Printemps québécois


« Dans le progrès humain, la part essentielle est à la force vive, qu’on appelle l’homme. L’homme est son propre Prométhée. »
_ Jules Michelet

L’épisode Khadir et la jeunesse militante
La semaine dernière, dans les rues de Québec, Amir Khadir a été arrêté par la SPVQ, en pleine manifestation pacifique contre la hausse des frais de scolarité et la loi 78. Les journalistes, avec un manque flagrant de professionnalisme, se sont montrés sévères à l’égard du député solidaire, qui a dit vouloir « accompagner son peuple ». Le lendemain, ce dernier a affirmé avoir agi comme l’auraient sans doute fait ses modèles : Gandhi et Martin Luther King. Ces propos lui ont attiré les foudres de certains médias, visiblement au service de l’État et, par suite, contre toute forme de désobéissance civile, même pacifique. Or, il semble y avoir eu confusion des termes car plusieurs chroniqueurs ont prétendu qu’il se prenait littéralement pour les deux personnalités nommées ci-haut. Il s’avère toutefois qu’ « avoir pour modèle » et « se prendre pour » ne signifie pas la même chose. Certes, un langage mal utilisé peut être mal compris ; mais un langage clair comme celui de Khadir n’est incompris que par ceux qui ne savent pas écouter. Certains journalistes auraient ainsi intérêt à tendre plus généreusement l’oreille.
Quant à Yalda Machouf-Khadir, la fille du député, son arrestation cadrait si bien avec le coup d’envoi du Grand Prix du Canada qu’il est à se demander s’il ne s’agissait pas d’une mise en scène du gouvernement libéral, reconnu pour exceller dans ce domaine. Étant donné l’hypocrisie dont il fait montre depuis si longtemps, rien n’est impossible, y compris une arrestation programmée à des fins dissuasives envers ceux qui prévoyaient clamer leur colère durant l’événement de Formule 1. De toute évidence, considérant l’affiche qui apparaissait derrière Yalda, où l’on pouvait lire « Quand l’injustice devient loi, la résistance est un devoir », la jeune fille a fait preuve de fidélité à l’endroit du militantisme familial. Peut-être a-t-elle effectivement commis des erreurs, vu le saccage qu’on lui a attribué, ce qui lui vaudra bien sûr des représailles. Mais par essence, la lutte au nom de la justice et de l’équité est toujours honorable, à plus forte raison lorsqu’il s’agit de l’initiative d’une jeunesse de plus en plus politisée. Nul doute que l’ensemble des manifestants a compati avec la jeune militante, à l’encontre de l’oppression libérale qui brime l’effort des citoyens en colère ; cette même oppression qui révèle une peur des libéraux vis-à-vis des étudiants. En effet, le gouvernement a refusé le vote électoral dans les établissements d’enseignement, malgré la suggestion du Directeur général des élections du Québec. Il va sans dire que le mépris de Charest n’a qu’un seul message à transmettre à la jeunesse québécoise : retournez sur les bancs d’école et tenez-vous tranquille, sinon on frappe !…
Nouvelle mise à nu au cœur des festivités
Plus tard en soirée, c’est dans une atmosphère de crise que le Grand Prix a débuté. Des manifestations anticapitalistes, contre le machisme, le sexisme et la pollution automobile ont sévi dans l’ancien quartier ouvrier de Griffintown, d’où ils ont vite été chassés. Ainsi dénonçait-on le système néolibéral, l’exploitation du corps féminin et l’absence de souci face à l’environnement. En parallèle avait lieu une énième manufestation avec un message précis de la part des manufestants : « Nous sommes moins indécents que les organisateurs du Grand Prix ! » Car l’hypocrisie n’est pas seulement le propre du gouvernement libéral ; les têtes dirigeantes du Grand Prix dévoileraient bien des scandales si elles se mettaient à nu. Du reste, le climat s’est corsé durant le week-end, la SPVM ayant fait quelques dizaines d’arrestations « préventives » – du profilage aux yeux de plusieurs. Dans le métro de Montréal et sur l’île Saint-Hélène, le carré rouge semblait peu toléré, tout comme les vêtements noirs et les sacs à dos trop chargés. Ainsi, une oppression suffocante régnait : les policiers ont procédé à des fouilles souvent injustifiées, et ils ont arrêté plusieurs innocents dont le seul crime aura été de se trouver là, au mauvais moment. Encore une fois, les autorités ont tenté d’étouffer les manifestants et la liberté d’expression chère aux Québécois. Quoique c’est leur présence corporelle qui paraissait déranger, aussi insolite que cela puisse paraître ; les jeunes militants sont devenus indésirables au regard des policiers, qui démontrent bien peu de patience à leur égard.
Quant aux Francofolies, les spectacles s’y sont déroulés – et s’y déroulent toujours – dans la joie et l’enthousiasme, contredisant les craintes des organisateurs de festivals. Est-ce à dire que, malgré la paranoïa libérale qui se transmet comme un mauvais virus, les manifestants n’avaient pas prévu le moindre acte terroriste ? C’est bien le cas, sans grande surprise. Alors, pourquoi la ministre de la Culture a-t-elle affirmé que le carré rouge signifiait « violence » et « intimidation » ? Non seulement a-t-elle craché ces absurdités, mais elle l’a fait en réponse au conteur Fred Pellerin, après qu’il ait refusé d’être fait chevalier de l’Ordre national du Québec, compte tenu de la crise sociale actuelle. Il porte effectivement le carré rouge depuis un certain temps, ce qui, selon Christine St-Pierre, l’associe automatiquement à la violence – lui, qui paraît si serein, avec son sourire et son charisme naturel !… La ministre, d’abord têtue, a fini par présenter ses excuses à la communauté des artistes. Il demeure qu’elle a tordu le symbolisme du carré rouge à des fins politiques, ce qui est par trop malhonnête. Pour cette raison, une mise au clair s’impose.
Le symbole de l’étouffement
Le carré rouge est l’emblème de la mobilisation étudiante, popularisé dans le cadre de la grève de 2005. Ce n’est ni un symbole communiste – suivant l’idée saugrenue d’un policier qui s’adressait à l’auteur de ce texte, lors de son arrestation en avril dernier – ni un symbole d’intimidation. Il s’agit bien plutôt du symbole de l’endettement étudiant. Rien de plus, rien de moins. Le poids de l’endettement est lourd à porter, et la colère devient vite harassante à force de mépris de la part de nos dirigeants. Plusieurs individus sont d’ailleurs sur le bord des larmes en constatant la situation actuelle, que ce soit dans les rues de Montréal ou derrière leur écran, via l’actualité et les médias sociaux. Il n’est pas besoin d’aller manifester pour se sentir suffoquer : partout, l’atmosphère sociale est étouffante. Ainsi, la ministre St-Pierre aurait intérêt à se cultiver un peu plus afin d’éviter de nouveaux propos mensongers qui ne font que biaiser l’image de gens pacifiques.
Les jeunes sont dans le « rouge » : c’est tout simple, non ? Où se trouve la violence dans cette image ? Difficile de la cerner, puisqu’il n’y en a pas.
Certes, en ces temps orageux, une grande part de la société est rouge, à la fois d’endettement et de colère ; mais rouge de violence, jamais ! D’autant que les déformations verbales des libéraux envers les manifestants n’aident aucun des camps. Tout ce qui affecte la population québécoise, ne serait-ce qu’en partie, finit par avoir des répercussions sur l’ensemble du Québec. C’est vrai dans toute société, en tous lieux et à toute époque. Il va sans dire que les libéraux s’empoisonnent eux-mêmes en crachant leur venin ! Leur récente défaite dans Argenteuil en est une preuve incontestable. « Tout influe sur tout », écrivait l’historien Jules Michelet il y a deux siècles. C’est vrai aussi d’un point de vue positif : le revers constructif de la lutte étudiante influencera la société québécoise dans son entièreté. Le processus est même déjà en cours, puisque la jeunesse d’aujourd’hui travaille sur elle-même et sur la culture qui lui appartient, de sorte qu’une société plus fraiche et plus humaine finira par voir le jour. De plus, le carré rouge marquera à coup sûr l’histoire du Québec en tant qu’effigie du ras-le-bol collectif face à l’idéologie néolibérale du gouvernement Charest. Si certains événements plus violents risquent bel et bien d’être rapportés – notamment l’épisode de Victoriaville, qui a fait plusieurs blessés –, le pacifisme des manifestants ne sera guère oublié. C’est au nom de l’éducation qu’ils luttent ; et ils savent bien que plus nous connaissons le monde dans lequel nous vivons, plus nous l’aimons avec un intérêt croissant.
Les libéraux ont donc tort de déformer le symbolisme du carré rouge et les faits concernant la crise sociale actuelle. Ce faisant, ils empêchent les citoyens d’être fiers d’eux-mêmes et de leurs concitoyens. Considérant le mépris et le cynisme qui sont leur apanage, ils révèlent leur orgueil blessé, ce qui est loin d’être un gage de fierté envers eux-mêmes. Sans oublier leur fuite évidente de la réalité au nom de l’économie… Les manifestants, eux, ont choisi le nous, c’est-à-dire leurs semblables et le monde dans lequel ils évoluent. Ainsi sont-ils tout sauf des individus violents et destructeurs, comme les libéraux tentent de les dépeindre. Comment pourrait-il en être autrement, puisque le mouvement étudiant vise un Québec plus juste, plus instruit et plus créatif ?
Texte paru sur Politicoglobe : http://www.politicoglobe.com/2012/06/les-visages-rouges-sous-loppression-liberale/


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3 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    14 juin 2012

    «...mais un langage clair comme celui de Khadir n’est incompris que par ceux qui ne savent pas écouter.».
    Oui, enfin, il y a cela. Mais n'oublions pas le fait que ces journalistes, d'après leur réactions, du genre «franchement!», entre autres, incarnent des exemples vivants de cette façon de penser qui fait toujours des ravages, au Québec...
    Vous savez, cette idée que nous ne sommes pas faits pour la grandeur; que nous sommes nés pour un petit pain; que si nous protestons un peu trop fort, nous sommes de méchants garnements; que les «Anglâs» sont plus intelligents et plus doués pour les affaires que nous, etc, etc...
    Vous voyez, pour ceux qui ont un tel système cognitif, disons, monsieur Khadir ne pouvait simplement pas invoquer de grands personnages historiques tels que Ghandi; ça ne cadrait pas, dans leur petite, petite, manière de penser pré-programmée. Un citoyen québécois faisant preuve de grandeur, et s'inspirant de grands personnages? Ben voyons donc, ça se peut pas!
    Je pense que la plus grosse barrière sur le chemin de l'indépendance, pour nous, Québécois, ce n'est pas Ottawa. Ce n'est pas «l'états-Desmarais»...
    Non, soyons-en conscients; cette barrière, elle est MENTALE!

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2012

    Les libéraux, porteur actuel du néo-libéralisme au Québec font de la projection de violence sur le dos du peuple, de la rue, et de ses étudiants. Ce qui fait violence, réellement, de leur perspective, c’est que le néo-libéralisme est menacé ! Les murs de leur temple chambranles ! Vont-ils s’écrouler bientôt ? Le principe du néo-libéralisme est d’exploiter le peuple, d’en faire des esclaves, endettés, pauvres, soumis, endormis, désinformés, programmés et silencieux, afin de s’enrichir. Or, le peuple s’éveille de son sommeil, aux grands désarrois de ces manipulateurs de l’ombre, et cela fait peur ! La nouvelle génération a dit NON ! Merci !, à ces tripoteurs de démocratie et de contrôle par l’endettement des habitants de la planète terre ! Mais qui a peur ? Si ce n’est que ceux qui vivent de cette exploitation ! S’il fallait que cela cesse ??? Alors il ne faut pas se surprendre d’entendre tout partout ceux qui bénéficient actuellement de ce pseudo-pouvoir illusoire sur autrui, sur ce système économique mondial, élever la voix, le ton, se débattre dans l’eau bouillante, utiliser tous les moyens et stratagèmes à leur disposition pour salir, dénaturer, voir détruire tous ceux qui se mettront sur leur chemin, et tous les coups sont et seront permis, pour ces egos, de leur point de vue ! Les vrais carrés rouges sont simplement ceux qui s’opposent à leur vision égocentrique de l’économie. L’intensité et la force des mesures adoptées seront, pour pallier à cette attaque du peuple, c’est comme ça qu’ils le conçoivent, que l’expression de leur très grande peur de perdre ce qu’ils ont pris au peuple par la ruse et le mensonge, ce qu’ils appellent leur droit acquis.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 juin 2012

    Monsieur Hébert,
    l'endettement des étudiants, c'est ce à quoi tiennent le plus les élites financières et d'affaires qui tirent les ficelles du gouvernement libéral. C'est une question d'idéologie. Notre société se doit d'être "affairiste" et non "humaniste".
    Le PQ et la CAQ tout autant que les libéraux se réclament de la vision "affairiste" de la société. Nous nous trouvons dans un cul-de-sac.
    L'actuelle rouspétance sociale, qui se signale de façon plus marquée au Québec présentement, se retrouve à divers degrés partout en Occident.
    N'eut-été des nébuleux attentats du 11 septembre 2001 qui a tenu un temps les gens en quête de la protection des gouvernements, cette rouspétance se serait manifesté encore plus tôt.
    Ce que je crains, c'est un autre événement qui jetterait de nouveau les citoyens dans les bras des gouvernements. Tous les moyens sont bons pour l'élite pour conserver cette vision "affairiste" de la société.
    Dans une société "humaniste", ça fait longtemps qu'on aurait établi un revenu universel afin que tous puissent vivre décemment et être heureux dans la vie.