La reconfiguration du paysage politique québécois

Tribune libre

Ce qui est contraire est utile et c’est de ce qui est en lutte que naît la plus belle harmonie ; tout se fait par discorde.
- Héraclite d’Éphèse
Moment historique de la politique québécoise
Le 4 septembre dernier, la démocratie québécoise a jeté son dévolu sur le Parti québécois comme nouveau gouvernement au pouvoir. Au grand soulagement des fédéralistes, il s’agit d’un gouvernement minoritaire du fait que seulement 54 députés péquistes ont été élus, ce qui reléguera en arrière-plan les conflits constitutionnels ainsi que la possibilité d’un référendum imminent. Ainsi, malgré les propos sur la souveraineté du Québec mis de l’avant durant la campagne électorale, le moment de la séparation n’est, semble-t-il, toujours pas « opportun » en raison de la tournure des événements. Le projet demeure néanmoins dans l’esprit de nombreux Québécois, bien que dans une optique à long terme. Ainsi faut-il continuer d’y réfléchir et, surtout, d’en parler vertement.
Quoiqu’il en soit, le Québec a élu pour la première fois de son histoire une femme au titre de première ministre. Félicitations à Pauline Marois, dont le nom sera retenu dans l’esprit historique de la nation québécoise. Sans doute est-elle déçue du statut minoritaire de son gouvernement ; elle n’en a pas moins une lourde responsabilité à porter en tant que chef d’État. Plusieurs déclareront que la division du vote – avec Québec solidaire et Option nationale – s’est avérée nuisible au Parti québécois. Or, nous sommes en démocratie, et dans les mots de Marois, « le temps du bipartisme est révolu ». Dure fatalité ? Au contraire : cela démontre une réelle volonté de la plupart des citoyens de s’engager d’une manière ou d’une autre en politique. Tout change, se restructure – et le devenir du paysage politique québécois est signe de bonne santé. Il n’y a qu’à espérer que les souverainistes et autres progressistes aient suffisamment de maturité, de communication et de clarté afin de bien s’entendre sur les idées et les thèmes susceptibles de faire prospérer le Québec. Autrement, la nation québécoise risquerait de sombrer dans un statut quo indésirable au sein d’une société assoiffée d’un renouveau politique.
Vers la création d’un nouveau gouvernement
Les Québécois avaient bien besoin d’entrer dans un nouveau cycle politique. À la suite du printemps québécois – désormais historique mais dont les fruits n’ont pas encore fini d’éclore – et de la crise sociale que les libéraux se sont montrés incapables de gérer, il fallait qu’un nouveau gouvernement s’empare des rênes de l’État québécois. Voilà que, dès le lendemain du jour de scrutin, Pauline Marois assure les associations étudiantes que son premier geste sera d’annuler la hausse des droits de scolarité, de même que d’abroger la loi 12, anciennement la loi 78. Bien qu’elle puisse procéder par décret, elle préfère soumettre ces entreprises aux parlementaires, contrairement à ce qu’ont mentionné certaines associations étudiantes. Marois s’affirme convaincue que les partis d’opposition l’appuieront. Mais rien n’est moins sûr. Non seulement le sujet de la cause étudiante a-t-il été écarté de la campagne électorale, mais il est connu que libéraux et caquistes appuient sans vergogne la hausse, tout comme la loi spéciale. Les étudiants gagneraient donc à ne pas crier tout de suite victoire, au risque de buter contre une amère déception. Ils devraient plutôt garder à l’œil les politiques péquistes.
La première ministre entend pour le moins renforcer la loi 101 – intention malaisée avec un gouvernement minoritaire. Elle déposera malgré tout un projet de loi cet automne en vue d’éviter que les francophones et les allophones aillent étudier dans les cégeps anglais, projet un peu drastique, il est vrai ; d’autant que l’application de la Charte de la langue française serait étendue aux entreprises comptant entre 11 et 49 employés. Est-ce à dire que l’opposition refusera la quasi-entièreté de ce projet de renforcement de la loi 101 ? La diffusion des idées risque donc d’être le seul réel avantage de cette entreprise.
Marois devra pour l’heure se préparer à la formation de son conseil des ministres. Les citoyens attentifs et curieux auront entretemps le loisir d’imaginer qui détiendra le pouvoir des différents ministères. Du reste, l’assermentation des députés aura lieu le 17 septembre prochain, alors que le conseil des ministres sera dévoilé le lendemain ou le surlendemain. Un discours inaugural sera prononcé en octobre. Après quoi un énoncé économique fera le point sur les finances publiques actuelles en novembre. Qui est prêt à parier qu’il s’agira d’un désastre insoupçonné ?
Un renouveau par trop funeste
Le cas Richard Henry Bain a malheureusement terni la soirée électorale alors qu’il a tenté de s’introduire au Métropolis pour s’en prendre à Pauline Marois. Muni d’une arme longue, il a fait feu sur un technicien de 48 ans, qui a tenté de le stopper dans son élan meurtrier. Pendant son arrestation, le forcené s’est mis à proférer des insultes en français et en anglais. « Les Anglais se réveillent, les Anglais se réveillent », disait-il sans relâche. Il s’agit certes d’un événement isolé et fort déplorable, mais toute action exercée sous l’instance de la folie a généralement une visée, de sorte qu’après une telle tragédie, il serait approprié de réfléchir à la situation de la langue au Québec. Bien des débats et des idées ont été soulevés depuis lors, ce qui est déjà en quelque sorte positif.
En parallèle, il est indispensable d’entamer une réflexion sur les penchants morbides et destructeurs de l’être humain contemporain, au risque d’une négligence qui pourrait un jour coûter cher à d’autres individus. Après les récentes fusillades aux États-Unis – notamment celle qui a eu lieu pendant la projection de The Dark Knight Rises –, qu’un cas semblable se produise à Montréal, en plein jour de scrutin, doit susciter plus de questionnements que de haine. Ainsi serait-il sensé de profiter de l’éveil du printemps québécois et de la reconfiguration du paysage politique pour analyser le malaise à l’intérieur duquel baigne une grande part de la société québécoise, tant par rapport à son passé qu’à son présent. Il y a tout à y gagner.
Souvenir d’un premier ministre sortant
Le revers positif de cette reconfiguration du paysage politique est le départ de Jean Charest et, du même coup, de son image du politicien à la fois habile et méprisant. Alors qu’il a déjà donné sa démission depuis quelques jours, il quittera définitivement la vie politique dès lors que Marois aura formé son gouvernement. « Pendant plus de neuf ans, j’ai brûlé d’un feu constant », a-t-il prononcé lors de l’annonce de son départ, visiblement ému de quitter la vie politique. Peut-être aurait-il dû accorder plus d’importance à la « rue », qui a aussi « brûlé » d’une « rage constante » le printemps dernier et que, au lieu de l’écouter en bon chef d’État, l’on a tenté d’éteindre à coups de bouclier et de matraque.
Ainsi donc, après neuf ans au pouvoir et de nombreux dossiers déplorables tels que la collusion, la corruption et les gaz de schiste, il était dans l’ordre des choses de voir les libéraux relégués en arrière-plan de la scène politique. C’est toutefois relatif, étant donné l’avance considérable qu’ils ont eu lors du dernier scrutin, sans compter le grand nombre de députés libéraux qui ont gagné dans leurs circonscriptions respectives. Il demeure que plusieurs Québécois en avaient marre du gouvernement au pouvoir – et l’on peut pour cela remercier Charest, le taux de participation au scrutin s’étant avéré un record inégalé. Près de 75% des citoyens québécois se sont rendus aux urnes – ce qui n’est pas rien !
Du reste, à présent que notre gouvernement est péquiste, pouvons-nous dire que, suivant les paroles de Charest durant la campagne électorale, nous vivons dans un chaos fourmillant de citoyens révoltés ? Jusqu’ici, nous constatons le contraire : tout s’est apaisé par rapport au mouvement étudiant, qui est sinon chose du passé, du moins en retrait pour un temps. Et puis, si certains libéraux croient que dans 20 ans, l’héritage du gouvernement Charest sera de la stature de celui d’un Jean Lesage, nul doute que plusieurs y verront plutôt un second Duplessis. La crise étudiante, les gaz fumigènes et toute la corruption qui a entaché le Parti libéral, les Québécois ne l’oublieront pas de sitôt…
Texte paru sur Politicoglobe : http://www.politicoglobe.com/2012/09/la-reconfiguration-du-paysage-politique-quebecois/


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    16 septembre 2012

    Tout s'est apaisé par rapport au mouvement étudiant, c'est vrai. Les étudiants croient au PQ.
    Le PQ est pourtant un parti du système au même titre que le PLQ, c'est à dire un parti qui croit à la primauté de l'économie sur l'être humain et ses besoins.
    Si ce parti n'augmente pas les frais de scolarité, il va trouver un autre façon d'appauvrir la classe ouvrière comme il l'a fait dans le passé lorsqu'il prônait le déficit zéro.
    Bref, c'est la paix du système qui s'est réinstallée.
    Les grands perdants sont toujours les plus démunis de la société qui ne voient jamais d'amélioration à leurs conditions de vie, par exemple les assistés sociaux à 589$ par mois qui jamais ne verront d'amélioration à leur situation sous un gouvernement péquiste. Des milliers de vies vont continuer à être brisées. La société du "mérite" va continuer son bonhomme de chemin car le système est de nature strictement utilitaire, entendons utilité de l'être humain pour les puissances d'argent, seule valeur que l'humain peut avoir pour le système.
    À quand le revenu de citoyenneté universel afin que tous puissent vivre décemment et heureux au Québec?