« Il est parfois divin d’être démoniaque. »
_ Paul Carvel
Après avoir diffusé dans les médias une publicité lumineuse où Jean Charest apparaît blanc comme neige, tel un ange de bonté veillant sur son peuple, il aurait été dommage que le gouvernement libéral ne fasse pas l’inverse la semaine suivante. L’envers va de pair avec l’endroit, tout comme la chaleur présuppose le froid, et la douleur le plaisir. Sur ce point, les libéraux ont été on ne peut plus conséquents avec la logique du monde. Ils ont bien compris qu’avec le blanc vient le noir, avec l’ange le démon. Or, puisque nous savons qui incarne le premier, vu la publicité de la semaine dernière, il est à se demander qui est le second, mis en vedette dans une toute nouvelle vidéo. Ou plutôt : qui est-elle ? Car, en fait, il s’agit non pas d’un démon mais d’une démone. Et ce n’est nulle autre que Pauline Marois.
De fait, la seconde publicité du gouvernement libéral, encore une fois à saveur préélectorale – Dieu merci !… – montre la chef du Parti Québécois en train de cogner gauchement des couvercles métalliques entre eux dans une manifestation de casseroles. Selon Charest, « ces images parlent d’elles-mêmes ». Que peut-il bien vouloir dire par là ? La chef péquiste festoie avec le peuple, sourire au visage, visiblement de bonne humeur, s’opposant ainsi à l’une des pires abominations de l’histoire du Québec, à savoir la loi 78. Toutefois, ce n’est pas l’interprétation que semble donner le Premier Ministre de cette scène essentiellement joyeuse. L’atmosphère de la vidéo, modifiée par quelques effets de cinématographe, suggère tout autre chose : l’arrière-plan est flou, de sorte que l’on discerne seulement la politicienne parmi une foule brumeuse. En outre, la publicité est en noir et blanc, et par conséquent d’un teint sombre, presque glauque. Sans compter le ralenti de la vidéo, permettant aux récepteurs de voir en détail la maladresse de Marois, qui, à un moment, cesse de cogner les couvercles pour les observer d’un air hésitant, avant de les frapper de plus belle…
Comment ne pas frissonner d’angoisse face à une telle mise en scène, qui s’apparente à un drame horrifiant ? Cette publicité génère de l’inconfort, voire de la peur tant nous semblons plongés dans les ténèbres en la visualisant. Par ailleurs, le contenu visuel est pathétique dans les deux sens du terme : c’est à la fois bouleversant pour les récepteurs et lamentable de la part des libéraux, qui préfère s’acharner sur autrui plutôt que de proposer une vision d’avenir. Une telle initiative rend bien compte de leur idéologie : qu’importe la politique ? Qu’importe les idées et les débats de fond, puisqu’il n’y a qu’à montrer à la population les gestes anodins de nos adversaires pour décider de l’avenir du Québec, le tout par le biais de publicités aux coûts faramineux ?
Non seulement cette publicité négative est-elle de mauvais goût, mais elle s’attaque implicitement à tous ceux qui ont pris part aux manifestations, sans oublier ceux qui portent fièrement le carré rouge. En effet, au regard des dirigeants au pouvoir, le mouvement étudiant ne représente plus uniquement la violence et l’intimidation ; il est désormais un symbole du démoniaque. C’est bel et bien ce que laisse entendre l’ambiance sombre de la seconde publicité, en opposition à la luminosité de la première. Or, étant donné que le gouvernement diabolise la chef péquiste du fait qu’elle prend part à une crise sociale, il va sans dire que, par extension, il diabolise une partie importante de la population québécoise. Les étudiants ne sont plus seulement des manifestants, des « terroristes » et des fauteurs de désordre : ils sont carrément des « démons » ! Ils incarnent le chaos, le désordre et la bestialité. N’y a-t-il pas de quoi s’offusquer devant une mise en scène aussi tordue ?
Les publicités du parti libéral font preuve d’un manque flagrant de responsabilité de la part du Premier Ministre, qui joue les anges paternels au lieu de régler la crise par la parole et la communication. Il préfère montrer des images biaisées en suggérant une dichotomie surannée, les deux vidéos opposant le noir et le blanc – le démon rouge et l’ange lumineux. Et pourtant, c’est lui qui se dit responsable, qui refuse les négociations et qui, depuis le début de la crise, révèle un profond mépris vis-à-vis des Québécois. Un tel mépris est tout le contraire de la responsabilité qu’exige le rôle de dirigeant d’un État ; d’autant que les libéraux ramènent vers la scène un manichéisme réducteur duquel les Québécois se sont arrachés de peine et de misère au fil d’années marquées par le recul de l’Église catholique.
En somme, les publicités libérales ne sont rien moins qu’une grossière simplification du paysage politique actuel par l’entremise d’un rapport entre le bien et le mal – entre l’ange blanc de la « responsabilité » et le démon rouge du chaos et des tintamarres. Et pourtant, Pauline Marois n’est guère plus obscure que Jean Charest, qui accuse cette dernière d’avoir commencé les attaques négatives comme un gamin en cour de récréation, n’est lumineux. Et si drame il y a, nul doute qu’il s’agit de la possibilité d’une réélection du gouvernement libéral l’automne prochain. Car oui : des élections seront vraisemblablement déclenchées à la mi-août pour un scrutin le 17 septembre. Entretemps, peut-être vaut-il mieux laisser les politiciens s’attaquer négativement de manière juvénile et, en bon citoyen, analyser la situation sociale du Québec pour se préparer aux débats réels qui, espérons-le, feront rage dans le paysage politique à venir ?
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Texte paru sur Politicoglobe : http://www.politicoglobe.com/2012/06/le-manicheisme-liberal/
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