« Un homme se définit aussi bien par ses comédies que par ses élans sincères. »
_ Albert Camus
Rupture des négociations au grand dam des citoyens québécois
Au bout de quatre jours de discussions entre les leaders étudiants et les représentants libéraux, la ministre de l’Éducation a rompu les négociations. Certaines rumeurs prétendent que, au bout de la table, Michelle Courchesne était tendue au point de gesticuler dans tous les sens jusqu’à en perdre ses souliers !… Malgré ces anecdotes anodines, il demeure que les libéraux ont bel et bien quitté la salle où les acteurs concernés étaient réunis, à la grande déception de l’ensemble des Québécois. Le Premier Ministre Charest a tenu à réitérer que son gouvernement restait « ouvert » pour une éventuelle sortie de crise, aussi paradoxal que cela puisse paraître. À quoi bon se montrer à l’écoute s’il recule en même temps – comme s’il tendait l’oreille tout en faisant marche arrière de manière à ne plus entendre le message des étudiants ?
(Photo-montage: Dominique Frappier)
Selon la ministre Courchesne, des raisons « politiques » auraient généré l’impasse actuelle. Les libéraux ont beau ne pas vouloir perdre la face, il faut admettre qu’ils l’ont perdue depuis longtemps. À maintes occasions, ils ont miné la confiance de la population québécoise. Et la ministre Courchesne n’y échappe pas, avec le scandale des garderies qui a terni sa réputation il y a quelques mois et qu’il importe de garder à l’esprit en ces temps houleux. Sans compter la récente controverse à propos de l’attribution de subventions pour des infrastructures sportives. Est-il surprenant que l’opposition exige sa démission ? D’ailleurs, pourquoi l’a-t-on choisie comme ministre de l’Éducation alors qu’elle a perdu toute crédibilité en tant que politicienne ? D’autant que, selon les leaders étudiants, elle était à court d’arguments devant les solutions proposées, qui respectaient en tous points les paramètres gouvernementaux. Il ne faut pas s’étonner si le principal porte-parole de le CLASSE a considéré que la hausse était devenue, au regard du gouvernement, une fin plutôt qu’un moyen. Les libéraux s’intéressent davantage à l’idéologie néolibérale qu’aux citoyens qu’ils sont censés représenter ; et sans doute est-ce l’une des raisons politiques évoquées par la ministre Courchesne. Qu’importe la population québécoise, pourvu que l’économie mondiale se porte bien ?…
Une culture du souci à l’égard des absents
Il est à se demander si les élus libéraux possèdent seulement une conscience. Ne ressentent-ils aucune honte en ne faisant rien pour régler la crise ? N’ont-ils pas la moindre peur du ridicule ? Nul doute qu’ils en sont indifférents, puisqu’ils agissent avec si peu de bon sens ; sans oublier l’insolence qu’ils démontrent au fil des mois envers la jeunesse québécoise. Considérant leur mépris envers la population actuelle – pourtant bien en chair et en os –, pourquoi en serait-il autrement pour celle à venir, fruit d’une vision anticipatrice ? Ont-ils compris qu’une culture doit s’assumer face aux citoyens de demain ? En tout cas, ils n’agissent aucunement en ce sens – comme s’ils portaient des œillères en matière de temporalité ! En bon Narcisse, ils préfèrent se refléter dans le miroir du présent, laissant le conflit s’aggraver en s’en lavant les mains. Depuis leur accession au pouvoir, ils font montre d’une grave irresponsabilité humaine. Il va sans dire qu’ils auraient intérêt à cultiver la honte !
De leur côté, les manifestants se révèlent beaucoup plus consciencieux en luttant pour les générations futures. Ils apprennent à vivre en se souciant des citoyens de demain, encore absents à ce jour. En plus d’être solidaires les uns avec les autres, ayant compris la part d’intersubjectivité qu’exige la vie en société, ils savent précisément que l’avenir reste ouvert et qu’il est de leur responsabilité de s’en mêler. Ainsi donnent-ils d’avance une présence aux intérêts de la descendance québécoise. Ils se montrent en cela accueillants à leur égard, suivant la pensée du philosophe Daniel Innerarity. Pendant que le gouvernement « narcisse » tombe dans le fétichisme du pouvoir et de l’économie néolibérale, ils ont de toute évidence acquis le sens de la temporalité, ce qui leur permet d’agir au-delà du présent. N’y a-t-il pas de quoi être fier d’eux ?
Des festivaliers inquiets face à un danger imaginaire
Au cours de l’été, des événements spécifiques seront ciblés par les mouvements étudiants, qui désirent se faire entendre à l’échelle internationale. Le Grand Prix du Canada aura bientôt lieu à Montréal, et des actions y sont déjà prévues depuis un certain temps. Or, dans un climat d’inquiétude, la direction a pris la décision d’annuler sa journée porte-ouverte, tradition populaire dont l’absence en décevra plusieurs cette année. La raison de cette annulation est simple : il faut assurer le confort et la sécurité des partisans et des spectateurs… Est-ce à dire que les manifestants sont de dangereux criminels ? Qu’ils ont l’intention d’embarrasser les amateurs de Formule 1 à des fins malveillantes ? La direction sait-elle seulement qu’elle fait preuve de « paranoïa » face à une part de la jeunesse d’aujourd’hui, des étudiants de niveau supérieur pour la plupart ? Elle déborde à tout le moins d’une grande imagination ; car jamais les manifestants n’ont fait de mal à quiconque, et il n’y a pas de quoi les craindre. Ce sont pour la plupart des individus pacifiques remplis d’espoirs pour un avenir meilleur. En cela, ils sont de véritables humanistes, d’autant qu’ils n’ont aucun intérêt à saccager le plaisir d’autrui, y compris celui des fervents de course automobile. Ainsi, puisqu’il n’existe aucun danger réel, le confort et la sécurité du public sont d’ors et déjà assurés, au bon plaisir de la direction du Grand Prix.
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Peut-être les propos de Charest ont-ils contribué à susciter la peur ? Depuis le début du conflit étudiant, le Premier Ministre nourrit un discours trompeur afin de forger une image sombre – mais fausse – des manifestants. Encore cette semaine, après la rupture des négociations, il a affirmé que les organisations étudiantes proféraient des « menaces » à l’endroit de son gouvernement et de la population québécoise. « Appelons les choses par leur nom », a-t-il ajouté, un air indigné collé au visage. Et pourtant, il confond lui-même sciemment les mots : en bon maître sophiste, il se plaît à envenimer le conflit, malgré la fausse menace que constitue la jeunesse actuelle. Car ces jours-ci, les casseroles sonnent peut-être moins fort, mais elles n’ont jamais servi à frapper qui que ce soit. Plus encore : c’est pour les Québécois que les manifestants luttent de manière pacifique, et non contre eux. Alors, à la lumière de l’humanisme des étudiants, pourquoi espérer une « période d’accalmie », selon les dires de Charest ? Eux aussi ont des espoirs – quoiqu’il ne soit visiblement pas dans l’intérêt du gouvernement libéral d’en tenir compte. Le Grand Prix a beau approcher, il semble que régler le conflit n’est pas une course pour lui. Heureusement, ce n’en est pas une pour les manifestants non plus…
L’humour prochain – de bon goût autant que possible !
Il n’y a pas que la direction du Grand Prix que le conflit étudiant semble préoccuper : Gilbert Rozon, président du festival Juste pour rire, craint que la population québécoise boycotte l’évènement à cause des manifestants. De plus, il s’inquiète de l’impact économique de la grève sur le tourisme lors de la saison estivale montréalaise, sombrant, semble-t-il, lui aussi dans la « paranoïa » que nourrissent les libéraux. Pour ces raisons, il a tenu à rencontrer certains leaders étudiants afin de les ramener à l’ordre. Ironiquement, ce sont eux qui ont dû le rassurer ; en effet, non seulement ils n’ont aucun intérêt à saboter ce genre d’évènements festifs, mais ils n’iront pas nuire aux humoristes, dont certains porteront sans doute le carré rouge et prendront position en leur faveur. Les manifestants ne sont en rien des « perturbateurs », comme le laisse entendre le gouvernement libéral avec une malhonnêteté sans précédent. Ils ne font que mener une activité de visibilité et d’informations, tant au Québec que dans le monde entier, et sont en cela les constructeurs de la société de demain. Ils sont sur le point de mettre fin à la comédie néolibérale ainsi qu’à tout le mauvais goût humoristique qui en découle, le tout avec un sérieux imparable.
Les libéraux ont beau commettre de mauvaises farces pour rester au pouvoir, ils font face à un adversaire de taille, cela va sans dire. Les manifestants, eux, ne jouent pas la comédie ; ils sont parfaitement sincères dans leur mouvement de protestation. D’autant qu’ils ont d’autres intérêts que celui d’aller festoyer dans les grandes salles maniérées de Sagard, flûte de champagne à la main, sous le regard des riches et des puissants… S’ils cultivent le rire, c’est au nom du bon goût et du sérieux de la crise sociale qui sévit au Québec. Ainsi continueront-ils de se faire entendre, sans être menaçants ni perturbateurs envers les Québécois. Gilbert Rozon pourra donc dormir tranquille, surtout que le principal humoriste contre qui ils luttent ne fait pas partie de son festival. Il se trouve en tête du gouvernement au pouvoir…
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David Hébert, étudiant à la maîtrise en philosophie / Université de Montréal
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