Tintamarre festif à l'égard des absents

D’ailleurs, n’est-il pas ironique que l’on s’inquiète pour la saison des festivals alors que la véritable fête se célèbre partout depuis maintenant plus de trois mois ?

Conflit étudiant - Désobéissance civile - 22 mai - un tonnerre d’espoir


« Mieux vaut être entouré de spectres que de miroirs. »
_ Daniel Innerarity

Sur un fond de répression, la Ville de Montréal et le gouvernement libéral ont encore une fois joué les trouble-fêtes. Pendant que les opposants à la hausse des frais de scolarité protestaient de manière festive et pacifique, le maire Tremblay est parvenu à abolir le port du masque. En parallèle, le ministre Fournier, par un tour d’esprit des plus mensongers, a associé le thème de la désobéissance civile au vandalisme – rapprochement pour le moins farfelu, cela va sans dire !
Des arrestations massives s’en sont suivies à Montréal et à Québec, jeudi dernier, avec plus de 700 manifestants qui se sont retrouvés menottés sous l’emprise des policiers. Alors que débutait la commission Charbonneau, contre la corruption et la collusion dans le processus d’octroi des contrats publics, le SPVM envisageait de poursuivre les associations étudiantes en vertu de la loi « matraque », les manifestants n’ayant pas entièrement suivi le trajet prévu lors de la grande marche du 22 mai. Ainsi ces dernières sont-elles, au regard des autorités, « coupables » de désobéissance civile, malgré le pacifisme de l’évènement et l‘absence totale de vandalisme. Et s’il est vrai que le cas de l’agente 728 – devenue une « star » médiatique de par ses agissements douteux – a suscité la controverse du côté de la milice urbaine, l’État a persisté à jeter le blâme sur la jeunesse québécoise.
La force policière en réponse aux revendications estudiantines révèle au demeurant un manque d’humanité. La volonté d’étouffer un mouvement qui lutte pour l’instruction équivaut en effet à un refus de la nature humaine, qui est savoir, culture et langage. Par suite, le dialogue aurait été plus qu’approprié dans la situation actuelle, tout comme l’écoute de ceux qui adhèrent au mouvement de conscientisation sociale en cours. Or, il s’agit même de quelque chose de plus grand : c’est une véritable « temporalisation » de la société québécoise qui s’amorce. Non seulement s’intéresse-t-elle à son passé ainsi qu’à son identité, mais elle lutte plus que jamais auparavant pour les générations futures. Car la hausse des frais de scolarité concerne surtout les Québécois de demain, ceux qui sont encore absents de la crise actuelle. Chez plusieurs, il semble en être fini de l’individualisme qui dominait encore naguère, de ce narcissisme qui relevait davantage de l’indifférence que du pouvoir créateur du moi. Le souci de la postérité amène désormais une partie de la population à combattre au nom des absents, du « spectre » de la jeunesse future qui ne peut rien faire à l’heure actuelle et qui, suivant une idée du penseur Daniel Innerarity, n’a pas encore de voix pour s’exprimer.
Du reste, jamais la solidarité n’aura été autant présente dans les rues du Québec. Les coups et les insultes se sont néanmoins poursuivis. La bêtise humaine cherchait encore à anéantir les espoirs des manifestants. Heureusement, la parole a fini par prendre le dessus : la ministre Courchesne a effectivement recontacté les leaders étudiants pour une « rencontre de la dernière chance ». Le sujet de la hausse dans le débat aurait par ailleurs été abordé, ce qui est un pas dans la bonne direction ; d’autant que le Premier Ministre a participé vaguement aux discussions. Il aura toutefois laissé « pourrir » le conflit pendant près de quinze semaines, selon les mots de l’ancien premier ministre Parizeau. Et face à cette radicalisation du conflit, il va sans dire que le monde entier « n’en revient pas »…
Les libéraux sont de mauvaise foi devant le conflit actuel. Peut-être est-ce la raison pour laquelle ils ont évité avec ruse le vocabulaire « antinéolibéral » que les revendicateurs se sont approprié ? Pour le Premier Ministre Charest, son gouvernement a tendu la main aux étudiants. Il a bougé en ce qui concerne les prêts et bourses, le remboursement proportionnel aux revenus ainsi que l’étalement de la hausse sur sept ans au lieu de cinq. Or, pour les manifestants, ces propositions ne règlent rien. Au contraire : elles rehaussent l’endettement étudiant à venir, ce qui ne peut qu’envenimer le problème. Les libéraux se sont-ils moqués des Québécois en se cantonnant dans leurs idéologies dépassées ? Et que dire des paroles du ministre Bachand, qui dit apprécier le tintamarre de casseroles qui résonne dans les rues du Québec depuis plus d’une semaine ? Ne s’aperçoit-il pas que c’est contre lui et son gouvernement que la population festoie en brisant les cuillères de bois contre le métal de leurs instruments de cuisine ? Certes, cette forme de festivité collective, issue du Moyen-âge mais popularisée par les cacerolazo du Chili des années 70, se déroule dans la bonne humeur, sans compter que des gens de tous âges y prennent part. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un mouvement revendicateur avec une intention bien précise : s’opposer à la loi 78 ainsi qu’au gouvernement libéral.
De cette façon, les manifestants ont su contourner avec brio l’ « anticarnavalisme » des libéraux et de la Ville de Montréal, en plus d’avoir gagné l’appui de nouveaux citoyens. Les marches spontanées accompagnées de casseroles ont beau être une forme de désobéissance civile – quoique sans vandalisme, n’en déplaise aux autorités –, les policiers semblent ahuris face à tant de rires et de plaisir, à un point tel qu’ils n’osent plus intervenir par la force. Sans doute est-il aussi surprenant de voir les juristes manifester en toge, certains portant fièrement le carré rouge ; car même eux se préoccupent du sort des absents, tout comme les percussionnistes qui rôdent dans les artères du Québec en faisant entendre leur joyeux tintamarre. D’ailleurs, n’est-il pas ironique que l’on s’inquiète pour la saison des festivals alors que la véritable fête se célèbre partout depuis maintenant plus de trois mois ?


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mai 2012

    Quand vous comprendrez qu'il faut cesser d'accorder - comme on le ferait d'enfants boudeurs - une quelconque attention à ces politiciens véreux et leur tourner le dos (de même de la consommation de masse) et construire un modèle social sans eux, ce qui signifie soustraire toutes vos économies et vos talents à leur emprise, vous vous affranchirez de vos geôliers. Entre-temps, vous devrez subir ces événements - qui n'en sont pas - barbares que nous impose la masse par le biais de ses élites (si on peut appeler élites ces reptiliens sans culture et truffés voire gavés comme des oies de nos ressources)...