On parle beaucoup de désobéissance ces temps-ci : civile, citoyenne, non
violente, etc. Même un député provincial choisit de contester ouvertement
une loi et accepte d’être arrêté en conséquence. Il serait peut-être temps
de clarifier un peu de quoi on parle. Pas question, en si peu d’espace,
d’aller au fond des choses : la revue québécoise [Relations a consacré, en
septembre 2010, no 743, un dossier complet à ce sujet->http://www.cjf.qc.ca/fr/relations/enkiosque.php?idp=67]. Mais on doit au
moins débroussailler un peu le paysage!
Vivre en société
Toute société a besoin de règles pour fonctionner (feux de circulation,
impôts et taxation, étiquetage des produits, etc.). Et toutes ces règles
reposent sur l’adhésion volontaire ou imposée (par la crainte des
sanctions), consciente ou non, des citoyenNEs. Tout démocrate acceptera, je
crois, cette nécessité (et le bienfait que cela représente) d’une société
et de ses règles pour notre vivre-ensemble collectif.
Désobéir à ces règles collectives ne peut donc jamais être un acte anodin,
une simple passade ou impulsion, sous peine de n’être plus que délinquance
répréhensible. Bien sûr, chaque acte de désobéissance ne sera pas également
réfléchi et prémédité par chacun des individus qui s’y associe. Mais il
reste que c’est l’intention qui détermine, pour une très large part, le
caractère plus ou moins acceptable de la désobéissance, au niveau légal
comme au niveau éthique.
Commençons par le plus facile : une loi qui imposerait ou autoriserait
quelque chose de totalement inacceptable pour une majorité claire de la
population (tuer, torturer, frauder) devrait être « désobéie » par tout le
monde. Même chose si l’autorité qui a pris la décision est illégitime :
comme dans le cas d’un envahisseur étranger ou d’un dictateur sanguinaire
qui voudrait imposer sa volonté. Il n’y aura guère de discussion
là-dessus.
La question devient plus difficile si l’objet de la loi (ou du règlement)
ou si l’autorité qui veut l’imposer fait l’objet d’un large débat social :
la législation peut très bien être adoptée en toute légalité, l’acceptation
sociale risque de faire défaut et de rendre l’adhésion ou l’obéissance à la
loi beaucoup plus problématique (la loi 78 en est un parfait exemple).
Un très grand nombre des décisions collectives font partie de cette
dernière catégorie : il n’y a pas de consensus social autour de la question
(ou de la légitimité de l’autorité) et une fraction de la population, plus
ou moins importante selon le cas, est défavorable à la décision prise. Dans
quels cas devient-il justifiable, acceptable, voire même impératif de
désobéir à une telle décision?
Quand désobéir?
Les possibilités de situations sont illimitées : il faut donc trouver des
critères utiles et acceptables qu’on pourrait appliquer à ces situations
diverses et qui permettraient de guider nos choix. En me basant sur la
réflexion éthique et philosophique qui a été faite sur la question, j’en
proposerais six :
1. l’action doit être une « infraction » consciente et intentionnelle (ce
qui la distingue d’un acte posé par mégarde, ou sans conscience qu’il était
interdit);
2. ce doit être un acte public et transparent (« à visage découvert ») :
c’est ce qui la différencie fondamentalement d’un comportement criminel ou
délinquant qu’on cherche habituellement à dissimuler; et c’est donc un acte
dont on assume à l’avance toutes les conséquences;
3. c’est un geste, individuel ou collectif, ouvertement politique (dans
lequel l’intérêt personnel ne joue aucun rôle et où l’intention vise
clairement l’intérêt collectif) : on choisit de défier une règle dans le
but de convaincre l’autorité (ou une majorité des concitoyenNEs) que cette
règle est inacceptable et devrait être modifiée dans l’intérêt de tous;
4. la désobéissance doit être pacifique ou non violente, ce qui n’exclue
pas qu’elle exerce un véritable rapport de forces : c’est aussi une
caractéristique essentielle de la désobéissance civile, puisqu’il n’est pas
question d’utiliser nous-mêmes la violence que l’on conteste chez
l’adversaire; et c’est aussi l’une des raisons pour laquelle on l’appelle «
civile » puisqu’elle est empreinte de civilité, de respect et d’intérêt
pour la collectivité, le bien commun;
5. c’est un geste le plus souvent posé en fonction de « principes
supérieurs » : le « désobéisseur » agit au nom de sa conscience, de ses
convictions profondes, que celles-ci soient d’ordre religieux (« obéir à
Dieu plutôt qu’aux hommes »), philosophique ou constitutionnel (les Chartes
des droits ou la Constitution ayant préséance sur les lois individuelles);
6. c’est enfin, pour plusieurs, un geste ultime, de dernier recours : on ne
s’y résout qu’après avoir d’abord utilisé les moyens habituels de
contestation (dialogue, pétitions, pressions politiques, recours légaux
quand ils sont accessibles) et que pour des lois et règlements qui sont
importants.
On voit bien que la désobéissance civile n’est pas une partie de plaisir
(ne fût-ce qu’en raison des sanctions auxquelles on s’expose), ni une
décision qu’on improvise sous l’impulsion d’un coup d’adrénaline. C’est un
choix citoyen réfléchi pour une société qu’on veut meilleure.
Désobéissance à géométrie variable
La désobéissance civile est un acte qui doit être clairement distingué de
toute infraction criminelle ou pénale qu’on associe généralement à la
violence (méfait, vandalisme, entrave au travail policier, etc.). Même s’il
arrive que les policiers accusent, souvent à tort, les « désobéisseurs » de
ce genre d’infractions précisément pour « étoffer » des arrestations qu’ils
trouvent plus difficiles à faire pour le simple motif de « désobéissance
».
On doit aussi distinguer la « désobéissance pacifique » de la «
désobéissance nonviolente » : la première fait référence à l’absence de
confrontation ou de violence et est souvent le fait d’une organisation
spontanée (comme les manifestations de casseroles), alors que la seconde
fait partie d’une stratégie organisée et planifiée à l’avance, impliquant
souvent une formation préalable pour les participantEs et un engagement
ferme envers la nonviolence (qui est plus large que la simple absence de
violence), comme les manifestations organisées contre l’Accord multilatéral
sur l’investissement par SalAMI ou le blocage du Complexe G à Québec par
les militantEs du Plan G, il y a quelques années. Dans le conflit social
actuel, la plupart des acteurs ont organisé ou souhaité des actions
pacifiques (au sens de paisibles, ne donnant pas lieu à de la violence, ni
de la part des manifestantEs ni des policiers), mais bien peu d’acteurs ont
opté pour des moyens d’actions nonviolents (au sens de stratégies ou de
tactiques de lutte s’appuyant sur les principes et l’expérience de la
nonviolence).
Il nous faut aussi réaliser à quel point notre réaction face à la «
désobéissance » aux lois et règlements est profondément idéologique et
influencée par les « idées dominantes ». Pour n’en donner que quelques
exemples, comparons notre réaction à l’utilisation d’un cellulaire au
volant avec notre réaction au non respect d’une injonction autorisant le
retour en classe : le premier ne paraît-il pas bénin comparé au second,
même si le premier est infiniment plus fréquent (et donc banalisé?) que le
second? De même, un grand nombre d’entre nous désobéissent à des règles que
nous nous sommes collectivement donné (port de la ceinture de sécurité,
travail au noir, piratage informatique, évasion fiscale, lobbysme ou
financement illégal de partis politiques, etc.). Pourquoi ces
désobéissances aux lois seraient-elles mieux socialement tolérées ou plus
acceptables que le refus délibéré et ouvert de respecter une loi spéciale
forçant le retour au travail ou restreignant, fût-ce de manière temporaire,
les droits fondamentaux des citoyens?
Une forme de débat citoyen
Il n’y a pas de véritable différence entre désobéissance civile, civique,
citoyenne ou non violente : c’est davantage une question de sémantique que
de substance. Ce qu’elles ont toutes en commun, c’est le défi ouvert et
délibéré qu’elles posent à l’autorité : votre loi est-elle acceptable pour
l’ensemble de la collectivité? Est-elle suffisamment reconnue comme
défendant les intérêts du bien commun? La contestation publique de cette
loi va-t-elle en renforcer la légitimité sociale ou au contraire en
grignoter plus ou moins rapidement la légitimité et l’adhésion?
La désobéissance civile est essentiellement une forme, radicale et
exceptionnelle, de participation au débat citoyen. Et c’est le résultat de
ce débat citoyen, souvent à plus long terme, qui déterminera qui, de
l’autorité ou des « désobéisseurs », avait ultimement raison. C’est ainsi
que toutes les principales conquêtes sociales ont d’abord été initiées :
abolition de l’esclavage, droit de vote des femmes, journées de travail de
8 heures, égalité des Noirs aux États-Unis, chute du Mur de Berlin, etc.
Ces quelques réflexions ne prétendent évidemment pas vider la question!
Nous espérons seulement qu’elles puissent être l’amorce d’un débat
nécessaire, non seulement parmi les militantEs engagéEs en faveur du
changement social (« Désolé pour le dérangement : on essaie de changer le
monde! »), mais également dans l’ensemble de la société. Car la démocratie
et les institutions qui l’expriment ne sont jamais figées une fois pour
toutes et elles sont présentement soumises, un peu partout dans le monde, à
d’importantes remises en question.
Il est évidemment plus facile de vivre dans une société de conformité. La
dissidence, les débats, les différences de cultures et de points de vue,
tout cela dérange les individus et questionne l’ordre social. Mais cette
importance de l’altérité et de la diversité vient avec la modernité,
l’urbanisation, les migrations. Et c’est loin d’être fini : si on a quitté
nos villages de campagne pour les grands centres urbains, c’est maintenant
de plus en plus au niveau planétaire que se jouent les tendances, les
enjeux et les décisions à prendre. S’entendre, à 7 milliards d’humains, sur
des règles communes que tous seront prêts à respecter ne sera pas un mince
défi! Et la meilleure façon de s’y préparer serait d’apprendre, dès
maintenant à notre échelle locale et nationale, à construire ensemble avec
nos différences et nos désaccords.
Dominique Boisvert
(à partir d’un échange avec plusieurs militants nonviolents liées au CRNV)
9 juin 2012
Autres réflexions pertinentes:
La désobéissance civile pacifique.
La désobéissance civile: un acte citoyen contre l’injustice
Conduire une campagne d'action non-violente: les grandes étapes
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
AUTOUR DE LA DÉSOBÉISSANCE
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
19 juin 2012De grands hommes ont pratiqué la désobéissance civile, Gandhi, Martin Luther King, Jésus de Nazareth.
Je suis d'accord qu'il faille mettre de l'eau dans son vin afin de vivre harmonieusement en société.
Cependant, nous vivons une époque très spéciale. Un article récent que j'ai lu sur "dedefensa.org" nous dit que l'élite dirigeante actuelle a accueilli les attentats du 11 septembre 2001 comme, je cite, un "événement messianique".
http://www.dedefensa.org/article-notes_sur_la_terrorisation_de_la_psychologie_ddecrisis_18_06_2012.html
Une telle élite peut être encline à imposer des lois assez "spéciales", il va sans dire.
Le même article nous dit que jamais dans l'histoire, il y a eu un tel éloignement entre l'élite et la populace. Il s'agit de deux mondes totalement différents.
Dans ce contexte, je crains que l'harmonie sociale finisse par être particulièrement difficile à réaliser. À moins que l'élite finisse par retrouver ses sens et revienne à la raison.
Archives de Vigile Répondre
18 juin 2012J'ajoute ceci à votre intéressante réflexion:
http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/desobeir-a-jean-charest/13784/#more-13784