Dérapage déraisonnable

Accommodements raisonnables


Mario Dumont a deux capacités remarquables pour un politicien : savoir reconnaître une situation qui dérange vraiment ses concitoyens et la transformer en attaque assassine contre l'un de ses adversaires. Sauf que, parfois, il risque le dérapage, comme il l'a fait en fin de semaine sur la question de l'accommodement raisonnable.
En fait, disons-le franchement, au congrès de son parti, M. Dumont a joué avec des tensions larvées, mais qui pourraient devenir réelles pour marquer bien mesquinement de petits points politiques. Il a tenté d'exacerber les peurs, plutôt que de calmer le jeu, ce qui est le contraire de ce que doit faire un homme d'État.
La notion d'accommodement raisonnable dérange ces temps-ci. On ne peut plus se boucher les yeux et penser que le problème va se régler tout seul si on n'en parle pas. Mais, alors, il faut en parler en expliquant bien les choses et en faisant les distinctions qui s'imposent.
Ainsi, il faut dire que les derniers exemples qui ont frappé l'esprit sur cette question n'étaient pas des décisions des tribunaux qui feront jurisprudence, mais des décisions individuelles, prises de bonne foi. Mais elles étaient contraires à nos principes et auraient fini par créer des problèmes plutôt que de les régler.
Ainsi, le CLSC qui a interdit la présence des pères à des cours prénataux pour ménager des susceptibilités de certains groupes a fait erreur. Comme la suggestion du service de police de Montréal de demander à des hommes plutôt qu'à des femmes d'intervenir auprès de certaines communautés.
Mais on parle ici d'erreurs. Ce que M. Dumont a fait, délibérément et dans l'unique but de se faire du capital politique, c'est de présenter ces erreurs comme des politiques établies et il a ensuite monté le niveau d'un cran, en présentant tout cela comme autant de menaces à l'identité québécoise.
Puis, il a accusé ses adversaires d'ignorer le problème en accusant le chef du PQ, André Boisclair, de "défendre notre identité avec un genou à terre" et le premier ministre Jean Charest de "laisser pourrir la situation" et de ne pas avoir de colonne vertébrale en matière d'accommodement raisonnable.
C'est là que M. Dumont dérape, et dangereusement.
Au chapitre des symboles, d'abord. Ça n'enlève rien à l'identité québécoise qu'il y ait des cafétérias cachères à l'Hôpital juif de Montréal ou qu'un jeune sikh puisse porter un kirpan de quelques centimètres, scellé à son fourreau et cousu dans ses vêtements. Un couteau symbolique que la décision de la Cour suprême a rendu infiniment moins dangereux que la paire de ciseaux ou le compas que tous les écoliers ont dans leur coffre à crayons.
Mais M. Dumont dérape aussi au chapitre des faits. L'accommodement raisonnable, dont il essaie de faire un monstre, est tout simplement une expression qui décrit ce que d'autres appelleraient du "gros bon sens". C'est une façon de concilier les droits des uns et des autres. Pas seulement en matière de liberté religieuse, mais aussi sur des questions comme les droits des handicapés, des femmes enceintes ou des enfants.
Il est facile, ces temps-ci, de faire peur au monde en assimilant tout, même les symboles les plus inoffensifs, à l'intégrisme religieux et aux "immigrants qui essaient de nous imposer leur façon de vivre", comme le disait le fondateur de l'ADQ, Jean Allaire en fin de semaine.
Sauf que c'est précisément en présentant le débat de cette façon qu'on finit par miner la base même d'instruments fondamentaux dans notre démocratie, comme nos Chartes des droits.
Avoir une Charte des droits, c'est accepter quelques principes bien simples : d'abord que tous les citoyens sont égaux - y compris les hommes et les femmes, un principe que nous n'avons pas à remettre en cause pour des raisons religieuses. C'est aussi accepter qu'on ne doive pas laisser la majorité décider des droits des minorités.
Dans le cas de la liberté de religion, les accommodements doivent découler de ces principes. C'est ainsi que les institutions de l'État n'ont pas à prendre position en faveur d'une religion ou une autre, mais que l'État doit des efforts raisonnables pour que ses citoyens puissent jouir paisiblement de leur liberté de religion. Ça ne veut pas dire qu'on doit tout accepter au nom de la liberté religieuse, et ce n'est pas ce qu'ont fait nos tribunaux.
Il est temps d'avoir un débat ouvert sur la liberté de religion et l'accommodement raisonnable. Ne serait-ce que pour que certaines choses soient mieux comprises et ainsi éviter les erreurs.
Mais on ne peut pas, comme vient de le faire M. Dumont, lancer le débat à tort et à travers, en faisant abstraction de tous les principes et en présentant des erreurs comme des politiques établies, juste pour essayer de marquer des points partisans.
Ce qui conduit, inévitablement, à l'exclusion et à l'intolérance.
Pour joindre notre chroniqueur : mcauger@lesoleil.com


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