Le projet de loi 21 et les inévitables contestations judiciaires

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Afin de ne pas être contesté, le projet de loi 21 devra définir ce qu'est un symbole religieux


Le ministre Simon Jolin-Barette le répète depuis le début de la commission parlementaire sur le projet de loi sur la laïcité de l'État, il fallait déroger à la Charte québécoise et à la Charte canadienne des droits et libertés « parce que cette décision appartient aux parlementaires et non aux juges ».




En fait, en utilisant deux fois plutôt qu’une les dispositions de dérogation des chartes, le gouvernement veut éviter de devoir défendre sa loi devant les tribunaux et se trouve à reconnaître, implicitement tout au moins, qu’elle ne passerait sans doute pas le test du respect des droits fondamentaux.


C’est une affirmation reprise souvent par les partisans du projet de loi qui ont été invités à la Commission des institutions, particulièrement par ceux qui aiment souvent se plaindre du « gouvernement des juges ». Un argument souvent utilisé dans les milieux nationalistes pour dénigrer la Charte canadienne, et qu’un gouvernement qui veut être vu comme nationaliste s’est empressé de faire sien.


Le seul ennui, c’est que s’il n’est pas amendé avant son adoption finale, le projet de loi 21 va contribuer à plus de recours aux tribunaux au lieu de le restreindre.


Plusieurs intervenants devant la Commission sont venus dénoncer l’absence de définition de notions essentielles du projet de loi : la laïcité elle-même. Et aussi les signes religieux.


Pour certains, l’article 2 de la loi constituerait une sorte de définition de la laïcité. Mais, en fait, il s’agit d’une simple énumération de quatre principes qui se retrouvent sous la tête de chapitre « Affirmation de la laïcité de l’État ». Il s’agit de la séparation de l’État et des religions, de la neutralité religieuse de l’État, de l’égalité de tous les citoyens et citoyennes et de la liberté de conscience et de religion.


Des laïcités bien différentes


Ce n’est pas une définition, c’est une énumération des principes qui sous-tendent la laïcité. Mais on ne peut pas s’en contenter, surtout qu’à travers l’histoire, la laïcité a été définie de façon bien différente dans des pays selon leurs circonstances particulières.


Cela va des lois très précises de 1905 en France, du premier amendement à la constitution des États-Unis qui empêche toute législation touchant les questions religieuses – « Congress shall make no laws respecting an establishment of religion or prohibiting the free exercise thereof » – ou de l’ex-Union soviétique, qui s’est servi du principe de laïcité pour interdire pratiquement toute manifestation religieuse.


Devant autant de différences sur l’application d’un même principe, il aurait été nécessaire que le législateur définisse clairement ce qu’il veut dire par laïcité, comme l’ont d’ailleurs mentionné plusieurs juristes qui sont venus témoigner devant l’Assemblée nationale.


Sauf qu’en l’absence d’une telle définition, qui va donc interpréter la loi et l’intention du législateur? Évidemment, ce sont les tribunaux. Les juges. Ceux dont c’est le travail dans notre société. C’est le législateur lui-même qui, par omission, aura invité les juges à le faire...



Une source de confusion


La même chose peut être dite sur les signes religieux eux-mêmes qui ne sont aucunement définis dans le projet de loi. Tout ce que le ministre a indiqué, c’est qu’il s’agissait de tout signe qui serait porté pour des raisons religieuses. Ce qui peut nous conduire à toutes sortes de confusions ou d’imbroglios.


Par exemple, une enseignante musulmane portant un foulard se le verrait interdire parce que ce serait un signe religieux. Mais sa collègue baptisée catholique pourrait porter le même foulard tout à fait légalement, parce qu’il n’aurait pas le même sens.


Bref, on va interdire non pas des comportements ou des actions, mais des intentions, puisque le fait de porter un voile ou un autre signe, en soi, n’est pas visé par la loi. Seul le caractère religieux – et rien d’autre, y compris le caractère identitaire – d’un signe serait ainsi interdit.



Imaginez maintenant la direction d’école ou la commission scolaire qui devrait expliquer cette décision aux deux enseignantes. Pas étonnant que tant d’intervenants devant la commission sont venus dire que la loi, sans définitions claires, serait carrément inapplicable.



Voilà des situations qui vont inévitablement amener des contestations qui se retrouveront inévitablement devant les tribunaux. En l’absence de définition, qui devra trancher? Les tribunaux, évidemment. Précisément ce que le gouvernement voulait éviter.


Surtout que, dans de tels cas, l’usage des dispositions dérogatoires ne sera que de peu d’utilité. Il n’est pas question, ici, de déroger aux droits fondamentaux, mais d’interpréter l’effet de la loi sur les conventions collectives ou des questions essentiellement administratives.


En voulant prendre un raccourci et en refusant de bien définir ce qu’il entend prohiber, le gouvernement a laissé la place à l’interprétation. Et dans un État de droit, ce sont les tribunaux qui devront maintenant s’en charger.




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