Dérangeant pour qui, Jean-François Lisée ?

Chronique de Michel Gendron

On le sait, l’homme fait parler de lui dans les journaux, on le voit à la télévision, il est l’auteur d’un essai sur le « Nous ». Il est sur toutes les tribunes, il connaît son heure de gloire. Toutefois, cette sur-médiatisation semble déplaire à certains péquistes. Lisée fait pourtant partie de la garde rapprochée de Pauline Marois. Alors, il est où le problème ?
Le problème, le voilà. Quand on n'a pas grand-chose à dire, on chiâle. Lisée prend trop de place, il fait de l’ombre aux vedettes du parti, madame Marois en tête. La nature a horreur du vide, on le sait. Lisée ne fait que prendre la place que d’autres n’osent pas prendre. La commission Bouchard-Taylor, les récentes données de Statistiques Canada sur l’état de la langue française au Canada et au Québec et les projets de loi 195-196 auraient dû permettre au PQ de se propulser au devant de la scène. Le PQ semble vouloir se ressaisir, mais il aurait pu en faire davantage. Habile et pertinent, Lisée aura réussi a attirer les projecteurs vers lui. Plutôt que de faire bloc, certains péquistes ont préféré critiquer son audace et lui reprocher d’agir en solitaire. On le voudrait plombier, discret, debout derrière, dans l’ombre. À mon avis, ce n’est pas lui qu’il faut brasser, mais le PQ.
On le désavoue presque alors qu’il vient de faire un coup fumant. Le sondage omnibus qu’il a commandé s’avère dévastateur pour nos bien-pensants, nos collaborateurs fédéralistes et la gauche dogmatique. Les résultats de ce sondage devraient pourtant séduire les stratèges du PQ, mais cela ne semble pas être le cas. Le PQ prédomine au sein du mouvement souverainiste, mais il n’est pas seul à se battre en ce bas monde pour faire la cause du Québec. Lisée, à ce que je sache, n’est pas un permanent du parti. On le consulte, on fait appel à ses idées, point. Cela ne lui enlève pas le droit de militer et de débattre. Si le PQ espère dépasser les 40% dans les intentions de vote, il devra changer d’attitude envers les militants de la société civile.
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Revenons au sondage. Alors que le projet de constitution du PQ obtenait l’appui de 52% des Québécois en octobre dernier, ce taux est maintenant passé à 63%. Ce pourcentage chute à 37% chez les non-francophones, ce qui est un score meilleur qu’il n’y paraît. Quant à la nécessité de connaître suffisamment le français pour devenir citoyen du Québec, 72% des sondés se disent en faveur. Même les non-francophones approuvent l’idée à 54%.
Le sondage recèle aussi son coup de théâtre : 65% des Québécois sont d’avis que les canadians qui déménagent au Québec devraient avoir une connaissance suffisante du français pour obtenir la citoyenneté québécoise. Cette proportion est de 47% chez les non-francophones. Je l’avoue, la nouvelle m’a sidéré. Dans une chronique précédente, j’ai fait part de mon désaccord sur cet aspect du projet Marois. Je ne m’attendais vraiment pas à un tel revirement. Quand on sait que le sondage a été réalisé avant le dévoilement des données de Statistiques Canada sur la langue parlée, ces résultats sont pour le moins remarquables.
Au-delà de ces chiffres, le sondage fait aussi état de données sociologiques intéressantes. Par exemple, on y apprend que les groupes les plus favorables aux idées de Lisée (notamment celle, controversée, de la langue d’enseignement au CEGEP) sont le plus souvent les travailleurs manuels, les gens gagnants moins de 60 000$ et les personnes ayant une scolarité de niveau secondaire. Bref, la classe ouvrière, le « monde ordinaire » pour paraphraser Mario Dumont. Quant à ceux qui s’y opposent le plus, on retrouve les gens de la région de Québec (toujours plus de « contre » à Québec qu’à Montréal !), ceux qui gagnent plus de 80 000$ par année et les personnes ayant un diplôme universitaire. Surprenant!
De tels résultats devraient réjouir l’ADQ, mais il semble que Dumont n’ait pas jugé bon d’en profiter. L’homme aurait-il moins de flair ? Quant au PQ, il n’aura pas su capitaliser. On préfère plutôt critiquer le militant Lisée. Hallucinant. Quant aux commissaires Bouchard-Taylor, c’est sûrement avec mépris qu’ils ont accueilli les résultats du sondage. Comme les gens les plus favorables à une constitution et une citoyenneté québécoise proviennent surtout des classes populaires, cela ne veut rien dire : Bouchard l’a dit, l’opinion des liseux du Journal de Montréal (et de Québec) et des regardeux de TVA ne compte pas. Après ça on viendra se plaindre que les intellectuels ne sont pas aimés au Québec. Je commence à comprendre pourquoi. Une chance qu’il existe des Lisée, des Bock-Côté et des Beauchemin, sinon ce serait presque le désert. La question nationale ne concerne pas seulement les élites et il est encourageant de voir des intellectuels accompagner la nation sur la question identitaire.
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Vous commencez à me connaître et vous savez que j’aime bien piquer Québec solidaire à l’occasion. Je dois vous avouer que le sondage omnibus commandé par Lisée m’a procuré une joie certaine. Vous me voyez venir ? Pas tout à fait ? Je vous donne un indice : ce qui va suivre s’inspire du paragraphe précédent. Je sens que vous commencez à comprendre…
Michel David, chroniqueur au Devoir, disait récemment que Françoise David avait pris une mauvaise décision en choisissant de se lancer en politique. Selon lui, cela avait eu comme conséquence de réduire son influence auprès des décideurs. Dans sa réplique publiée dans le Devoir du 13 décembre, alors qu’elle tentait maladroitement de contredire le journaliste, elle y allait de cette question et commentaire :

« Loin d’être éteintes, ma voix et celle de Québec solidaire se font entendre. Qui d’autre que Québec solidaire – parti souverainiste ! – a vigoureusement dénoncé l’opportunisme de certains politiciens faisant des immigrants les boucs émissaires des malaises identitaires de la majorité ? »
Sérieusement, je me demande sur quelle planète elle vit. Sa lecture se limite-t-elle au Monde Diplomatique ? Son téléviseur ne capte-t-il que TV5 ? Pourtant, ils sont nombreux ceux qui ont critiqué l’opportunisme douteux de Mario Dumont concernant la question identitaire. Pas plus tard qu'hier, Michel David du Devoir dénonçait avec brio les propos démagogiques de Dumont sur le nouveau programme d’éthique et de culture religieuse. Et que dire d’André Boisclair, lui qui ne s’est jamais privé de critiquer Dumont, au point que cela aura contribué à sa chute ! La palme d’or revient toutefois à Pierre Arcand, député du PLQ de Mont-Royal, qui avait dit de Mario Dumont qu’il était le Le Pen du Québec. Non, madame David, vous n’êtes pas la seule à dénoncer « vigoureusement » les manœuvres de Dumont.
Enfin, quant à l’opportunisme présumé du PQ à propos des projets de loi 195 et 196, je suis d’avis que Pauline Marois se devait de les déposer. L’opportunisme en politique n’est pas péché quand il s’agit de faire avancer des éléments de programme qu’on juge fondamentaux. La question de la citoyenneté québécoise ne date pas d’hier au PQ. Daniel Turp travaille en ce sens depuis longtemps et il n’est pas le seul. Québec solidaire considère que ces projets créeraient deux catégories de citoyens. Quiconque a lu les projets de loi sait que c’est faux. N’en déplaise à QS, le PQ a su avancer ses pions et le résultat lui a été plutôt profitable jusqu’à présent.
Enfin, les militants de QS auraient intérêt, à mon avis, à méditer sur les résultats du sondage portant sur les idées de Lisée. Ils verraient que le québécois moyen, celui qui trime dur, est à mille lieux de leur point de vue sur les projets de citoyenneté et de constitution. La position de QS est celle des bien-pensants universitaires, celle de certains professionnels et « experts », celle d’une bonne partie des gens de la région de Québec, là où les valeurs de droite dominent. Pire encore : QS donne l’impression d’être du côté des fédéralistes libéraux et des multiculturalistes moralisateurs. Parti des classes populaires, QS ? En tout cas, concernant l’identité québécoise, quelques ajustements seraient de mise …


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10 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    18 décembre 2007

    Puisque le sort des impuissants semble vous convenir parfaitement, je vous souhaite, messieurs Gendron, Charron et compagnie, de survivre longtemps, assez pour que la vie vous rattrappe quand nous aurons fait naître le Québec libre, indépendant et souverain.
    Andrée Ferretti.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2007

    Je suis tout-à-fait d’accord avec Michel Gendron dans sa réplique à Andrée Ferretti. Au lendemain du référendum, le Parti québécois avait fait un mauvais virage en adoptant le nationalisme civique. Culpabilisés par les médias fédéralistes pour les propos de Jacques Parizeau sur l’argent et les votes ethniques au soir du référendum, une majorité de péquistes ont fini par croire que leur nationalisme était trop teinté d’ethnicisme. Il fallait donc s’ouvrir aux autres. Il fallait que les Québécois de souche mettre leur histoire collective entre parenthèse parce que trop honteuse. Pour les tenants de ce nationalisme épuré de toute référence historique, pour les Claude Bariteau et Gérard Bouchard, seule la lutte des Patriotes en 1837-1838 méritait d’être glorifiée.
    Dans la période post-référendaire alors qu’il est devenu conseiller de Lucien Bouchard, Jean-François Lisée a, en quelque sorte, entériné cette nouvelle approche qui mettait de côté tout l’aspect identitaire pourtant toujours intimement lié au nationalisme. Dernièrement, j’ai été très déçu d’apprendre qu’il avait fortement inspiré son patron dans son ignoble discours au Centaur. Comme éminence grise du pénible successeur de Parizeau, il a sans doute joué un important rôle dans la décision de condamner Yves Michaud. Il était peut-être également d’accord d’offrir le bonbon de la Commission Larose aux purs et durs du parti afin qu’ils laissent tomber leur idée d’obliger les Néo-Québécois à fréquenter les cégeps francophones. Il a peut être également conseillé son patron à ne pas faire une élection référendaire alors que, dans les sondages, la popularité du miraculé atteignait des sommets. Plutôt que d’agir ainsi, c’est peut être encore Lisée qui lui a conseillé de s’attaquer au déficit zéro. Avec les conséquences que l’on sait.
    Madame Andrée Ferretti et monsieur Gilles Verrier, si vous avez quelque chose à reprocher, ce serait surtout d’abord d’être resté si longtemps collé aux jupes de Lulu.
    Aujourd’hui, nous assistons à un nouveau Lisée. Un Lisée qui semble avoir compris que le nationalisme à la sauce civique avait mené le mouvement indépendantiste et, par ricochet, la société québécoise dans un méchant cul-de-sac. Mais je pense que ce n’est pas surtout l’ancien conseiller de Lucien Bouchard qui a poussé Pauline Marois à accorder dorénavant de l’importance à la question identitaire. Dans sa réhabilitation du NOUS, elle semble avoir surtout écouté les conseils d’un Jacques Beauchemin. Dommage que, dans le mémoire du PQ à la Commission Bouchard-Taylor, on semble avoir laissé tomber la nécessité pour les nouveaux venus au Québec d’avoir une certaine connaissance du français afin d’être éligibles aux élections. Certains bonzes du parti auraient-ils encore peur de la réaction des Anglos et d’André Pratte ? Pour terminer, je conseille ardemment à madame Ferretti de se procurer le livre La Dénationalisation tranquille de Mathieu Bock-Côté. Et de le dévorer. Elle comprendra peut-être mieux pourquoi la cause de notre libération nationale continue à stagner.
    Claude G. Charron

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2007

    Mais pourquoi personne ne répond à la vérité que nous lance Andrée Ferretti? Tout ce qu'on entend c'est que le peuple n'est pas prêt et qu'il faut être avec lui. C'est-à-dire que les indépendantistes avouent ne pas être prêts, ils sont du peuple eux aussi, ils veulent tellement être du peuple et avancer seulement quand lui avancera. Pour ne pas brusquer le peuple, ils sont toujours prêts à taire l'indépendance pour se faire, à la place, les faire valoir de projets fumeux et compliqués qui, s'ils n'avortent pas avant (ce qui est habituellement le cas), sont ultimement recevables dans le fédéralisme. Y a-t-il au Québec des indépendantistes qui veulent agir comme des indépendantistes? C'est, je crois, la question que pose Mme Ferretti.
    Gilles Verrier

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2007

    Madame Ferretti,
    Il me semble que ma chronique est plutôt critique envers le PQ. Les voies de l'indépendance sont complexes. Les Irlandais ont tergiversés et se sont entretués pour enfin l'obtenir. Cette indépendance n'a pas été acquise par la seule force des armes. Il y a eu des étapes et ils l'ont vécu durement. On se doit d'avancer en lien avec le peuple, pas seulement se prétendre l'avant-garde. Contrairement à vous, je crois que la conjoncture actuelle nous permet de revenir aux sources. Une retraite stratégique s'imposait et il était plus que temps de la faire. Le PQ n'est pas à la hauteur? Peut-être. Mais ce n'est pas lui qui a voté non aux 2 référendums. Le PQ n'a pas l'instinct du tueur? Tout à fait d'accord. Je comprends votre rage, mais en politique il n'existe pas de ligne juste. Les indépendantistes ne sont pas seuls, il font parti d'un tout, et ce tout peut nous apparaître par trop pesant parfois.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2007

    En parlant des groupes «populaires», je voulais dire: communautaires, bien sûr. Mille regrets.

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2007

    Par rapport à QS, c’est Pierre Falardeau qui disait que ce parti était issu des groupes populaires et non pas du mouvement ouvrier. Ce qui expliquerait souvent son angélisme et sa déconnection du «vrai monde».

  • Archives de Vigile Répondre

    17 décembre 2007

    Peut-être pour les indépendantistes?
    Si, évidemment, nous n'oublions pas que Lisée fût conseiller de quelques importants dirigeants du Parti québécois. Si, en même temps, nous établissons le lien entre cette fonction et les échecs électoraux et référendaire que n'a cessé de connaître cette formation, depuis que ce monsieur la conseille.
    De mon point de vue INDÉPENDANTISTE et non seulement nationaliste, le projet Lisée-Marois est une démission, une manifestation de leur impuissance à prôner l'indépendance et à lutter pour son avènement
    Je suis tannée de ces perpétuelles retombées dans nos combats pour la simple survie, faute de leaders capables d'assumer la difficile lutte pour l'indépendance politique du Québec, seule voie à prendre pour le plein épanouissement de notre nation
    Et ne venez pas me parler de cette proposition comme d'une nouvelle brillante stratégie pour arriver à l'indépendance. Le Mouvement Souveraineté-association, l'étapisme, les bons gouvernements, etc. me suffisent amplement comme preuves d'expériences désatreuses.
    Andrée Ferretti.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 décembre 2007

    Ne déchirez pas votre chemise sur un simple sondage commandé par Lisée.Franchement!
    Regarder les derniers sondages sur l'élection municipale à Québec et ça en dit long sur l'efficacité d'un tel sondage.
    Regarder les sondages avant la dernière l'élection provinciale et encore complètement à côté.
    Le peuple est blasé des sondages de toutes sortes et répondre n'importe quoi et en plus la manière de faire un sondage change tout.On fait des sondages pour tout et pour rien.
    Non mais vous me surprenez de prendre ça comme une lettre à la poste où encore du cash.
    Quand on est rendu à faire un sondage a savoir si le peuple est prêt pour avoir une élection?Posons nous des questions et surtout nous laissons pas diriger par des sondages de grâce.
    Le seul vrai bon sondage c'est lors d'une élection la journée du vote.

  • Maxime Schinck Répondre

    16 décembre 2007

    « Le sondage recèle aussi son coup de théâtre : 65% des Québécois sont d’avis que les canadians qui déménagent au Québec devraient avoir une connaissance suffisante du français pour obtenir la citoyenneté québécoise. Cette proportion est de 47% chez les non-francophones. Je l’avoue, la nouvelle m’a sidéré. Dans une chronique précédente, j’ai fait part de mon désaccord sur cet aspect du projet Marois. Je ne m’attendais vraiment pas à un tel revirement. Quand on sait que le sondage a été réalisé avant le dévoilement des données de Statistiques Canada sur la langue parlée, ces résultats sont pour le moins remarquables. »
    C'est la victoire de la clause Québec sur la clause Canada!
    Rappelons-nous le scandale que cela avait produit lorsque la Cour suprême s'était basée sur l'article 23 de la Charte canadienne pour invalider les dispositions de la Charte de la langue française. À partir de ce moment, les Canadiens qui venaient au Québec pouvaient faire instruire leurs enfants en anglais. Visiblement, les Québécois ne l'ont toujours pas avalé...

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    16 décembre 2007

    Hallucinant! Vous l’avez dit. Les souris grignotent la récolte au fond du grenier. Pendant que le projet d’identité gagne de la reconnaissance après tant de matraquage, après que la statistique nous donne raison malgré le maquillage, où est le mouvement indépendantiste dans les Une de la Pravda-Gesca? Charest récoltera les fruits du mensonge à travers ses soprano-couac St-Pierre et James?
    Comme vous dites, le P.Q. n’est pas seul en course. Enfarger Lisée pourrait le propulser aux commandes des grands États Généraux en marche vers l’unification des forces. Et il trouverait avec lui ce jeune aux convictions solides, Mathieu Bock-Côté. Car celui-ci mérite de bien meilleures salles qu’une Pizzeria à Repentigny où je l’ai entendu mardi passé. Il s’égosille sans micro dans ces petits rendez-vous depuis l’été, prêchant à de vieux fantassins un peu las, ouvrant les yeux à de jeunes ébahis, pas tout à fait dans le désert. Bénévole? En tout cas une perle qui mérite toute la lumière, comme Lisée, aussi, bénévole pour la cause mais déjà en selle professionnellement.