Chine, prison des peuples

Le génocide culturel et la répression brutale sont la norme en Chine.

Chronique de Michel Gendron

Voir le commentaire de ZYLAG: "Tibet-Québec"
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« One world, one Dream » est le slogan des prochains Jeux Olympiques qui se tiendront à Pékin en 2008. D’un cynisme déroutant, le choix des mots à de quoi effrayer. Je ne sais pas si ce slogan vise à faire l’apologie d’une globalisation galopante, mais je sais cependant que les dirigeants de la République populaire de Chine ne sont pas en train de nous concocter le « Meilleur des mondes ». Exploitation de l’Afrique – dont le Darfour, répression des mouvements nationaux internes, limitation de la liberté de presse, destruction de l’environnement, exécutions publiques dans les grands stades, implantation d’un capitalisme sauvage et ainsi de suite. Oui, je rêve à un monde meilleur, mais pas à celui-là. Et j’ai l’impression que les Tibétains pensent un peu comme moi…
Qui prend la défense des Tibétains?
Une tournée sur Internet m’a appris ceci : nos démocraties libérales dénoncent du bout des lèvres la répression chinoise au Tibet. Raison d’État oblige : pas question de s’aliéner un marché potentiellement lucratif. La Chine n’est pas la petite Serbie que l’on peut bombarder impunément. Fort d’un appui international déjà acquis, le Kosovo avait beau jeu. Les États occidentaux sont les premiers à défendre le principe du droit à l’autodétermination des peuples, mais encore faut-il que l’autodétermination en question ne nuise pas aux intérêts économiques et politiques desdits États. Les Kurdes le savent, les Tibétains aussi.
Fait troublant, ma recherche sur Internet m’a aussi permis de constater le faible engouement d’une certaine gauche pour la cause tibétaine. Plusieurs internautes sont même d’avis que la révolte tibétaine est un mouvement réactionnaire ethnique. Après tout, l’armée de Mao n’a-t-elle pas libéré les Tibétains du joug des bouddhistes et de l’oligarchie des seigneurs? Eh oui, Mao a aboli le servage au Tibet en 1957. Alors, pourquoi se révolter? Parce que cette « libération » ne visait pas le bien-être du peuple tibétain. L’occupation, puis l’annexion du Tibet, visait avant tout à consolider la position du nouvel État chinois à l’ouest, face à ses voisins que sont l’Inde et le Népal. Par ailleurs, les crimes commis par les marxistes-léninistes version maoïste sont assez révélateurs de l’internationalisme prolétarien qui animait l’esprit des dirigeants chinois d’alors :
- La répression maoïste aurait entraîné la mort d’un nombre incroyable de Tibétains. Entre 500 000 et 1 200 000 personnes, selon les sources (entre 20% et 50% de la population, qui se chiffrait autour de 2,5 millions d’habitants au début des années 1950). Fermons les yeux et imaginons l’ampleur des massacres et des famines. Merci aux libérateurs d’avoir exterminé la vermine féodale!
- Pour sa part, la Révolution culturelle chinoise (1966-1976) a particulièrement sévi au Tibet : encore beaucoup de morts, un nombre incalculable de « confessions » publiques, et environ 6,000 temples et monastères bouddhistes ont été rasés. Vive la laïcité, dehors les curés!
- Durant les années 1987-1989, des manifestations ont eu lieu un peu partout dans le pays pour dénoncer l’autoritarisme de Pékin. D’autres vagues de répression ont suivi. Assassinats, exécutions publiques, torture, emprisonnements et tout le tralala. À bas le nationalisme ethnique tibétain!
Mais ce n’est pas tout. À la « banale » répression avec ses tortures, ses exécutions et ses injustices, s’ajoutent des mesures administratives visant à assurer la permanence de la domination chinoise :
- La langue chinoise est imposée dans les écoles et l’administration. Vive la langue chinoise, la langue des affaires et du progrès!
- Pékin ne lésine pas sur la colonisation des territoires conquis : les Tibétains sont aujourd’hui minoritaires (49%) dans ce qui est convenu d’appeler le Grand Tibet. Les Chinois de nationalité Han constituent environ 35% de la population du Grand Tibet. Israël a enfin trouvé son modèle pour coloniser les territoires palestiniens occupés!
On sait qu’avant 1950, l’analphabétisme était généralisé au Tibet. Les libérateurs maoïstes ont-ils amélioré le sort de ces pauvres gens? Seulement 15% des Tibétains ont été au-delà d’un enseignement primaire. Ne brusquons pas les Tibétains, laissons-les évoluer à leur rythme!
- Dans son immense majorité, la classe laborieuse tibétaine n’est pas qualifiée. Remercions Pékin d’inciter sa majorité Han à combler cette absence de qualification!
Alors que Pékin n’impose pas à ses minorités nationales le contrôle obligatoire des naissances, les Tibétaines, elles, doivent s’y plier (stérilisation et/ou avortement forcé au-delà du 1er enfant. Évidemment, les autorités compétentes nient. La Commission des droits de l’Homme, qui prétend que cela se passe ainsi, serait-elle à la solde du Dalaï-Lama?
- La minorité Han du Tibet (les colons) sont pratiquement les seuls à bénéficier des fruits du capitalisme sauvage chinois. Ainsi, l’écart du niveau de vie entre les colons et les Tibétains croit à un rythme exponentiel depuis quelques années. Liberté, égalité, fraternité!
Dire qu’il y en a pour croire que l’occupation chinoise du Tibet est globalement positive pour ses habitants « de souche ». Tant qu’à y être, on pourrait tout autant dire que l’arrivée des Blancs en Amérique aura permis aux Autochtones de sortir du paléolithique. Posons aussi la question aux Aborigènes d’Australie. Et que dire des bienfaits de la Conquête du Canada par les Britanniques pour les francophones d’Amérique? Je suis trop ému, je préfère vous laisser répondre...
Soyons sérieux : des Tibétains libres de leur destinée préféreraient-ils vivre dans le monde féodal d’avant 1950, ou seraient-ils plutôt tentés de reconstruire leur nation à l’intérieur d’un cadre démocratique qui serait le leur? Ceux qui pensent que les Tibétains choisiraient la première hypothèse sont de fieffés tartuffes.
Le Tibet, un cas isolé?
Les Tibétains – aujourd’hui au nombre de cinq millions et demi d’habitants – ne constituent pas la seule minorité opprimée. En vérité, les 56 minorités nationales chinoises vivent toutes l’oppression. Le cas des Ouïghours est éloquent.
Vivant dans la province du Xinchiang (nord-ouest de la Chine), les Ouïghours ont vu leur territoire annexé par l’Empire Mandchou en 1884, aidé en cela par les banques britanniques. Londres, à cette époque, craignait comme la peste l’expansionnisme russe. À la différence des Tibétains, les Ouïghours sont musulmans.
Une situation politique particulièrement instable en Chine aura permis aux Ouïghours de proclamer la création de la République islamique du Turkestan oriental en 1933. Ce geste d’autodétermination fut aussitôt écrasé par les Soviétiques. Mao, on le sait, fit main basse sur le pays en 1950. Comme par hasard, c’est au Xinjiang que se trouvent les plus importantes réserves de pétrole et de gaz naturel de la Chine. Déjà, en 1954, les premiers soulèvements populaires sont signalés. Au-delà de la répression, une solution imparable est trouvée : la colonisation du Xinjiang par les chinois Hans finira par rendre minoritaire les Ouïghours dans leur propre pays.

D’autres soulèvements ont eu lieu à la fin des années 1980 et en 1997. À chaque fois Pékin réprime encore et toujours. Mais ce n’est pas fini : comme les Ouïghours sont musulmans, ils ont été mis sous haute surveillance par Pékin qui, comme le reste du monde, fait la chasse aux membres de la nébuleuse Al-Quaïda depuis le 11 septembre 2001. Il n’y a pas et il n’y aura pas de répit pour la nation ouïghoure.
Boycotter les Jeux, ou pas?
"Place aux XXIXe Jeux, clameront bientôt les médias. Que faire? Probablement pas boycotter les Jeux, mais peut-être sanctionner les commanditaires du spectacle. Ne les exploitent-ils pas aux mêmes fins démagogiques et mercantiles que le gouvernement chinois? " - Jean-Claude Leclerc, Le Devoir 25 mars 2008 (NDLR)

Le génocide culturel et la répression brutale sont la norme en Chine. Nos belles démocraties libérales le savent, mais n’agissent plus depuis longtemps, sauf quand il s’agit (et encore…) d’un petit État voyou sans envergure, surtout si le délinquant ne bénéficie pas de la protection de quelque grand. Un exemple? La Chine tient la main des dirigeants du Darfour, personne n’intervient au Darfour. Un boycott des Jeux de Pékin est-il envisageable? Sûr que non : on ne veut pas punir les athlètes... Et puis, ça n’a pas fonctionné en 1980, quand les Soviétiques sont intervenus en Afghanistan… Hormis quelques mises en garde visant à rassurer les naïfs, rien ne se fera.

« One World, one Deam » dit le slogan. Maintenant, imaginez un seul instant ce que pourrait devenir le monde quand la Chine deviendra le leader incontesté de la mondialisation? Dormez bien!


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    30 mars 2008

    Trois questions pour approfondir le sujet :
    1- Avec plus de 216 millions d'utilisateurs, la Chine dépasse maintenant les États-Unis comme premier utilisateur mondial d'Internet. La croissance du PIB (produit intérieur brut) de la Chine dépasse largement les 10% par année depuis plus de cinq ans (inconcevable, mais en six à huit ans, ce pays double sa production de biens et de services !). Comment une telle situation est-elle possible et peut-elle être conciliée avec un régime dictatorial aussi brutal que primaire ? Il faudra m'expliquer car les chiffres ne mentent pas. La croissance économique soutenue à ce rythme suppose que puisse se déployer l'initiative individuelle et que les vrais questions soient abordées et éventuellement réglées. Tout bon capitaliste vous le dira. En contrepartie, l'économie des États-Unis stagne. L'initiative individuelle y est toute puissante en principe mais les monopoles et d'autres facteurs en freinent la mise en oeuvre. Le discours public est tordu, les vrais questions ne sont plus abordées franchement... Qu'il suffise de donner quelques exemples : 911, Enron, Papier commercial, ADM-Irak-terrorisme, etc. Une économie desservie par un discours politique et social qui n'est pas en phase avec la réalité mène inévitablement à la rupture de la croissance.
    2- Le Tibet constitue moins de 0,5% de la population de la Chine. Le gouvernement du Tibet en exil reconnaît avoir reçu 1,7 million par année de la CIA pour entraîner et diriger la guérilla dans les années 1960. Le Dalaï Lama récuse avoir reçu 180 000 $ par année à titre personnel. Ne mettons pas sa parole en doute. Ces sommes excluraient toutefois l'entraînement de combattants pris en charge directement par les États-Unis et les opérations menées directement en territoire tibétain par les forces spéciales dont certains membres ont été arrêtés (voir Wikipédia et autres sources Internet). Pour ce qui est d'autres sommes investies depuis ce temps par la CIA ? On en sait rien, on lit que ces pratiques ont cessé, mais d'aucuns mettent en doute ces affirmations. Vu de la Chine, la mise en place d'un base militaire américaine de première importance au Kosovo, associée ...d'une indépendance politique controversée et qui continue de l'être tellement le jupon de la manipulation étrangère dépasse... À la place de la Chine, dis-je, que feriez-vous ? Négocier de bonne foi avec le chef du gouvernement du Tibet en exil, récipiendaire avoué des bonnes grâces d'une puissance étrangère ? Négocier avec lui parce que tout le battage médiatique occidental vous presse de le faire ?
    3- J'aimerais parfois que le Québec soit un enjeu géo-stratégique d'importance. J'aimerais qu'une grande puissance désire nous aussi nous voir basculer dans son orbite. Notre leader spirituel et politique non partisan, le pendant chez-nous du Dalaï Lama, le chanoine Lionel-Groulx, défenseur lui aussi d'un petit peuple victime d'un génocide culturel par peuplement exogène (pour employer les mots du Dalaï Lama), provenant lui aussi d'origines modestes, pèlerin infatigable de sa cause lui aussi, qu'il a défendue sur toutes les tribunes d'Amérique et ailleurs dans le monde, serait lui aussi un membre du "star system" international. Il l'aurait été pendant deux générations, à l'instar du Dalaï Lama. Mais Lionel Groulx n'a pas reçu un sou de la CIA, il n'a pas été promu dans le monde comme un émule de St-Jean de la Croix ou de Thérèse d'Avila, comme un mystique de la chrétienté faisant sa marque en même temps dans les domaines historiques, littéraires et dans l'éducation et la défense de son peuple, comme son titre de chanoine l'invitait à le faire. Non, hélas, ce que nous pourrions appeler le pendant de la Chine pour le Québec et la francité canadienne, en d'autres mots le Canada continue de ternir sa mémoire.
    J'attends que le Dalaï Lama dans un geste témoignant du caractère spirituel et désintéressé de sa mission, reconnaisse sa parenté avec le chanoine Lionel-Groulx. J'attends que les Tibétains reconnaissent la parenté de leur lutte avec celle de la sauvegarde d'un autre patrimoine culturel menacé, soit celui du dernier bastion de la francophonie américaine, le Québec. Mais j'attendrai peut-être en vain, parce que la lutte des Tibétains, du moins d'une partie d'entre eux, n'a peut-être pas la grandeur d'âme que l'on s'imagine. Les appuis qui leur sont acquis, seraient-ils prêts à les risquer au nom de la sauvegarde de patrimoines culturels menacés autres que le leur ? Qu'en pensez-vous ?
    GV

  • David Poulin-Litvak Répondre

    30 mars 2008

    Merci pour cet excellent article M. Gendron.
    Je vous conseille de l'envoyer à PTAG (redaction@pressegauche.org) qui se fera sans doute un plaisir de le publier.
    Il est notable que le cas Chinois, je crois, est une bombe à retardement. Un tel régime ne pourra pas écraser impunément et indéfiniment ses minorités sans que cela ne réveille les Chinois eux-mêmes. Le modèle indien plurinational (il y 14 langues officielles en Inde) me semble beaucoup plus viable. Il est vrai que lorsqu'un ensemble politique est confronté à une volonté d'autonomie ou d'indépendance, il réagit presque toujours négativement (ex. Inde au Cachemire).
    Je crois personnellement que le cas tibétain a un avantage sur les autres, car la philosophie non-violente du dalaï lama permettrait peut-être une mutation interne à la Chine qui ne soit pas aussi violente que d'autres scénarios plus corsés. Les Tibétains eux-mêmes n'ont pas qu'un mouvement pacifiste, ce dont il ne faut se surprendre, bien qu'il soit relativement bien contenu. C'était aussi le cas, par ailleurs, en Inde durant son mouvement d'indépendance; il y avait un penchant armé à l'indépendance de l'Inde, ce qui incitait les Anglais à voir en Gandhi un "modéré".
    Je crois, pour connaître assez bien la situation, sans être un spécialiste, qu'il y a aussi une vague à saisir. Le peuple tibétain est presque décimé, mais le bracage médiatique des jeux olympiques offre une opportunité qu'il faut saisir.
    Petite citation pour terminer:
    "Los mártires son los que han redimidos a los pueblos. Sin mártires no habría libertad."
    - Eloy Alfaro, el viejo luchador (un libérateur-martyr écuatorien)

    "Les martyrs sont ceux qui font rédemption aux peuples. Sans martyr, il n'y aurait pas de liberté."