Triptyque sur le sophisme : Rima Elkouri, Pierre Foglia et Justin Trudeau

Chronique de Michel Gendron

Lundi dernier (17 décembre), j’ai bien failli applaudir Elma Elkouri de la Presse. Dans sa chronique intitulée « Du voile et du viol », elle dénonçait avec justesse les débilités propagées jusqu’à tout récemment par le Centre communautaire musulman de Montréal sur leur site internet.
Grosso modo, on y apprenait que le refus de porter le hijab pouvait être cause de viol, d’adultère, de naissances illégitimes et autres horreurs du genre. On y traitait même la femme occidentale de « prostituée non payée ». Il semblerait, toutefois, que le CCMM ait procédé à quelques changements… J’y ai jeté un coup d’œil, mais je n’ai rien lu de particulièrement outrageant. Je me fie donc aux dires de la chroniqueuse de la Presse.
Dans sa chronique, madame Elkouri disait ceci à propos des jeunes femmes musulmanes québécoises :

Elles doivent savoir qu’elles ont, autant que les autres, droit à l’égalité. Elles doivent savoir qu’elles ont le droit de disposer de leur corps comme bon leur semble, quoi qu’en disent leurs parents, leurs oncles ou l’imam.

Tout son propos tendait en ce sens et tout allait bien. Très bien même. J’étais même sur le point de biffer madame Elkouri de ma liste grise. C’était la sous-estimer. Sur la question du droit de porter ou non le hijab dans l’espace public, elle est convaincue qu’aucune loi ne peut empêcher un homme devenu fou de tuer sa fille parce qu’elle refuse de porter le voile. Sa position est claire : on ne doit pas interdire le hijab. Le point de vue se défend et le débat bat son plein au Québec. Mais là où j’ai décroché, c’est lorsqu’elle invoque l’argument suivant pour justifier sa position :
Dans nos pages, vendredi (14 décembre), on pouvait lire la triste histoire d’un homme qui a tué sa conjointe à coups de marteau. Interdire les marteaux n’y aurait malheureusement rien changé.

Quel rapport y a-t-il entre un marteau et le refus de porter le hijab? Il n’y en a pas. Madame Elkouri confond le pourquoi et le comment, la raison et l’accessoire, le but et l’outil pour l’atteindre. Je crains qu’il ne faille être un peu marteau pour confondre les deux. Ce qui compte vraiment, ce n’est pas avec quoi on tue, mais pourquoi on le fait. Pas besoin de vous dire que mes applaudissements se sont vite transformés en huées. Dommage.
***
Le cas de Foglia est un peu particulier. Je partage souvent son opinion, et je l’aime bien, même s’Il m’arrive de le considérer un peu trop cavalier. La connerie, il n’aime pas. Moi non plus, même s’il m’arrive de l’être à mes heures.
Lui aussi aborde l’assassinat de la jeune musulmane ontarienne dans sa chronique du 15 décembre dernier. Contrairement à sa collègue Elkouri, il ne nous assomme pas à coup d’arguments marteaux. Il fait plutôt dans le sophisme soft et subtil, au point où il paraît de bonne foi.
Foglia nous parle de sa famille, de ses parents italiens. Pour lui, l’intégration des immigrants se fait lentement. La culture, les habitudes et les usages, ça dure longtemps chez l’humain. Ça s’étiole avec le temps, au fil des générations. Sa mère, par exemple, traitait de putana sa sœur si elle osait défier les traditions italiennes. Il parle aussi des Portugais, souvent sévères concernant l’heure où les filles doivent rentrer à la maison. Concernant ce dernier exemple, il ne sait pas à quel point il frappe dans le mille. L’une des meilleures amies de ma fille est d’origine portugaise. Elle vient d’avoir dix-huit ans. Il y a un mois à peine, son père lui avait interdit de rentrer plus tard que vingt heures. Elle est rentrée à vingt-deux heures. Engueulade. Trois jours plus tard, elle avait quitté la maison. Pour de bon. Elle s’intègre drôlement plus rapidement que ses parents, et c’est normal. L’évolution poursuit son cours. Foglia nous dit ça pour qu’on ne soit pas tenté de dramatiser outre mesure ce qui est arrivé à la jeune Aqsa Parvez.
L’intégration se fait lentement, donc, et nous en prenons acte. Le problème est que le père de la jeune Aqsa Parvez n’est pas un latin qui prend un peu trop au sérieux les vertus de la Vierge Marie. C’est un militant intégriste, un fou de Dieu. Il est en rupture totale avec sa société d’accueil. Nous sommes ce qu’il hait. Il m’apparaît spécieux de tenter de banaliser son crime en nous parlant de la réalité des immigrants portugais ou italiens. Pour la fille de ce fondamentaliste, il ne pourra pas y avoir d’intégration lente. Elle ne pourra pas quitter le foyer paternel pour pouvoir vivre sa vie comme elle l’entend. Elle ne pourra pas prendre son temps, parce qu’elle est morte. Pour ses idées. Son père ne voulait pas qu’elle s’intègre, il ne voulait pas qu’elle devienne une musulmane modérée. Il l’a tuée.
Désolé, monsieur Foglia, mais cette fois-ci nos points de vue divergent.
***
L’inénarrable Justin Trudeau rides again. Fidèle à son père au point d’en devenir ridicule, ou à tout le moins pathétique, le candidat du PLC dans Papineau n’en rate pas une pour susciter l’exaspération. C’est presque poing levé et main sur le cœur que le jeune prodige de la pensée rachitique devait se distinguer la semaine dernière en affirmant pour la X ième fois qu’il n’est pas question d’accorder un statut particulier pour le Québec.
« Inspiré », le digne héritier en a aussi profité pour dénoncer la décision du parlement canadien d’accorder aux Québécois le statut de nation « dans un Canada uni ». Pour ce clone raté du P.E.T., l’idée de nation serait un concept révolu, une patente du 19e siècle. En pur sophiste indécrottable, il s’est même permis de dire que cette reconnaissance ne peut être que source de division au sein du bon peuple. On le sait, Justin est un centralisateur qui s’oppose au concept de nation en même temps qu’il approuve la multiplicité des cultures. Or, nier la nation alors qu’elle existe ne peut générer que tensions et injustices. Ce Fils de l’Autre n’est pas qu’un piètre sociologue, il est aussi un piètre politicien. L’homme est avant tout un dogmatique. Et il ne s’en apercevra jamais.
Justin Trudeau est un jeune homme qui se croit moderne. En fait, c’est un réactionnaire achevé, un jeune qui brasse du vieux. Dire que le concept de nation est dépassé, c’est ne rien comprendre à ce qui se passe dans le monde aujourd’hui. Pour prouver qu’il est conséquent et cohérent, ce philosophe du vide devrait en rajouter en disant que l’État-nation du Canada devrait se saborder, que les Kurdes sont justement mis au pas par les États qui à chaque jour les soumettent par les armes, que l’Irlande est une aberration historique, que les nouveaux États nés de l’éclatement de l’ex-URSS devraient se refusionner avec la Sainte-Russie, et patati et patata. Je n’en dis pas plus, poursuivre serait vous faire perdre votre temps et le mien.
Quant à savoir si le fait de reconnaître la nation québécoise crée de la division, j’estime pour ma part que c’est justement son intransigeance qui génère la division. C’est pendant le règne des libéraux qu’il y a eu deux référendums au Québec. Et que dire des efforts de son cher papa pour imposer le multiculturalisme au Québec, efforts qui se soldent aujourd’hui par un malaise identitaire dont notre nation aurait bien pu se passer. Lors des prochaines élections, son discours faussement unitaire aura pour effet de braquer les allophones de Parc-Extension contre les Québécois francophones du comté de Papineau. Justin Trudeau se croit juste, mais le bien-être de son Canada passe par l’asservissement total et absolu de l’une de ses deux principales entités fondatrices.
Joyeux Noël !


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3 commentaires

  • Jean-François-le-Québécois Répondre

    19 novembre 2008

    Concernanat Justin, il faut faire attention, avec lui: c'est que le mini-PET, est suffisament incohérent, pour affirmer du même souffle que l'idée de nation (pour le Québec), c'est dépassé... mais que le concept de nation canadienne, avec le multiculturalisme et tout le tra-la-la, ça, c'est brûlant d'actualité!
    Appelons ça, une attitude de «deux poids, deux mesures»...

  • Jacques Bergeron Répondre

    25 décembre 2007

    Merci beaucoup d'avoir écrit cet article. En ce jour de «Noël», je souhaiterais que votre texte puisse être lu par Gérard Bouchard afin de lui permettre de bien saisir l'objet du contenu du raport qu'il doit écrire en colloboration avec son compère, et autre confesseur publique, Charles Taylor. Cependant, on doit se demander si Gérard «B», le «frère de l'autre» peut comprendre le sens de votre propos et des mots écrits par les personnes nommées dans cet article,lui qui a écrit des mots dignes d'une «Anthologie de l'enfer» lorsqu'il a écrit que l'on devrait jeter au «feu» de la «Saint-Jean» notre ethnicité Canadienne-Française». Si en même temps, et par la même occasion, on y jetait par anticipation son rapport écrit con/jointement«sic», cela nous permettrait de débuter la nouvelle année sur le bon pied.Bonne et heureuse année cher monsieur et qu'elle vous apporte tout ce que vous désirez.
    Jacques Bergeron, Ahuntic,Montréal

  • Archives de Vigile Répondre

    23 décembre 2007

    Voilà un triptyque intéressant, original et bien rédigé. S'il est facile d'enfoncer Justin Trudeau, ça l'est moins de corriger madame Elkouri ou monsieur Foglia, ce que vous avez fait de belle façon.
    Chez madame Elkouri, la comparaison du marteau ne tenait pas. Quant à monsieur Foglia, il ne lui suffit pas d'affirmer bien haut détester la connerie pour s'en prémunir, comme il l'a démontré dans ce texte. Dire que les papas immigrants sont comme ça, ils tuent leurs filles désobéissantes, cela va leur prendre un certain temps pour s'intégrer... c'est l'équivalent du juge Monique Dubreuil qui considérait comme une circonstance atténuante le fait que les violeurs viennent d'une culture différente d'ici.