Coup de gueule - De l'argent et des votes ethniques

Tribune libre 2008


M. Jacques Parizeau, ancien Premier ministre du Québec, premier québécois à obtenir un doctorat de la célèbre London School of Economics de Londres, acteur majeur dans le développement d'outils d'émancipation économique (Caisse de dépôt et de placement, Société générale de financement) lors de la Révolution Tranquille, intellectuel de grande réputation et très perméable aux multiples courants d'idées dont l'Occident regorge, de droite ET de gauche, nationaliste et internalionaliste, a été, malgré la maladresse et l'amertume de sa déclaration, faussement discrédité au Québec après le référendum de 1995.
La phrase, devenue tristement célèbre au soir de la défaite souverainiste, n'avait manifestement pas la même signification dans la bouche de M. Parizeau que dans celle de ses adversaires. Lui, l'homme jadis marié avec une polonaise, la romancière Alice Poznanska (connue sous le nom de famille Parizeau), une femme fraîchement débarquée de Paris après avoir été traquée par des nazis déchaînés de haine raciale. Cette femme, avec qui il a eu deux enfants, n'aurait pas accepté de vivre avec un homme dont les valeurs sont si régressives sur un plan humain.
Il aura fallu l'intervention d'un fédéraliste convaincu et ancien directeur général du Parti libéral du Canada au Québec, M. Benoît Corbeil, pour comprendre le sens véritable de cette déclaration. En effet, ce docteur en sciences politiques dont la responsabilité a été, pendant la campagne référendaire de 1995, de recueillir des fonds et organiser la campagne du PLC au Québec (sous le parapluie du NON), a confirmé ce dont on se doutait depuis longtemps : que le fédéral a joyeusement violé la démocratie et les lois québécoises sous le « noble » prétexte de sauver le Canada.
En entrevue au Point de la télévision de Radio-Canada, M. Corbeil a dévoilé la stratégie fédérale de 1995, laquelle, menée par l'ancien Premier ministre Jean Chrétien, est un exemple gratifiant sur la démocratie à la canadienne, au-delà des guerres idéologiques générées par une telle émulation qu'est un référendum politique sur l'avenir d'une collectivité humaine.
Deux choses importantes sont ressorties de l'entrevue de M. Corbeil concernant la réputation de M. Parizeau et pour la légitimité de la victoire du NON. Primo, que le gouvernement du Canada a accéléré (en violant ses propres lois) la naturalisation d'immigrants habitant le Québec, question de les faire voter (du bon bord) à temps pour le référendum. Deuzio, que le fédéral a violé la loi sur les consultations populaires du Québec et dépensé, notamment lors du pseudo-love-in de Montréal, des sommes occultes, c'est-à-dire de l'argent en dehors de la comptabilité du comité parapluie pour le NON.
Outre la tendance manichéenne du fédéral à peindre en noir le nationalisme québécois dont le discours et la réalité, de toute façon, contredisent cette rhétorique mensongère, on doit s'interroger sur la nature des convictions démocratiques des fédéralistes. On peut comprendre leur désir de « sauver le Canada » par conviction, mais il faut se questionner sur les valeurs démocratiques qui les animent au quotidien.
En agissant ainsi, ils font la preuve que le référendum a été truqué, que des moyens illégaux et immoraux ont été utilisés pour acheter la victoire aux souverainistes québécois. De deux choses l'une : ou bien ils font acte de contrition; ou bien le référendum de 1995 doit être annulé. La légitimité du fédéralisme, sans être totalement discrédité, peut mener ultimement à provoquer l'effet contraire escompté par les tenants du statu quo.
Mais là où le bât blesse davantage, c'est dans le portrait pas très flatteur qu'on a dessiné de Jacques Parizeau. L'interprétation mesquine qu'on a faite de ses déclarations, notamment Jean Charest lors du débat des chefs en 2002, révèle une culture politique québécoise souvent teintée d'un profond esprit de colonisé, lequel tend vers une interprétation culpabilisante, masochiste et autodestructrice de la représentation collective que les Québécois ont d'eux-mêmes.
Le discours étant contrôlé par la majorité anglophone du Canada et relayé par les Canadiens-français de service, il est souvent difficile, pour les Québécois ordinaires, de saisir toute la complexité et les ramifications historiques du contentieux Québec/Canada.
Et en interprétant les propos de Parizeau sous l'angle du racisme et de la xénophobie, on accolait, chez les fédéralistes anglophones et francophones, le nationalisme québécois à l'intolérance ethnique. Ce qui est totalement faux en ce qui a trait à Jacques Parizeau et à une très vaste majorité de Québécois nationalistes.
Le référendum, finalement, a été perdu par les votes ethniques, l'argent et le vote francophone qui, rappelons-le, n'a pas été convaincu - en majorité dans les régions de Québec, du Lac Saint-Jean et du Bas St-Laurent, notamment - de la nécessité de l'indépendance du Québec. Par culpabilité? par manipulation? par conviction fédéraliste? par peur? par un esprit de colonisé primaire? (on ne peut certainement pas survivre dans un Québec souverain). Sans doute un peu de tout cela.
Jacques Parizeau symbolisait, et symbolise toujours pour le Québec, mais aussi pour le Canada, l'expression de l'excellence citoyenne, de la prestance intellectuelle, de la fierté et de l'indépendance d'esprit qui caractérisent les peuples fiers et insoumis. Il est peut-être là le problème. Une aliénation collective - liée pour beaucoup à deux siècles de colonisation anglaise et d'abrutissement clérical - nous rend suspicieux des grands hommes québécois qui réussissent, probablement parce que la comparaison avec lui crée un malaise profond dans un pan entier de la population qui habite nos contrées. C'est ce qu'on appelle être né pour un petit pain. Parizeau veut tracer une ligne historique entre la tradition de porteur d'eau qui colle encore à notre peau et l'émancipation nationale qu'il souhaite pour le Québec.
Et je ne suis pas certain que tous les Québécois saisissent bien la portée de cette rupture historique symbolisée par Jacques Parizeau. À Ottawa, par contre, on a compris cela depuis très longtemps déjà…
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Christian Bolduc, Étudiant au Baccalauréat ès arts
Le sans-papier, TELUQ, Volume 58, Mai 2005


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