Comment récompenser l'ordinaire?

L'affaire de la CDPQ - conséquences et réformes



Avoir le choix. Cela devrait être élémentaire lorsque les retraites de millions de Québécois sont en jeu. Et pourtant, les grands déposants de la Caisse de dépôt et placement du Québec en avaient si peu qu'ils se livraient presque poings et pieds liés aux gestionnaires de la Caisse.
Mais les choses ne seront plus jamais pareilles, comme l'a révélé hier ma collègue Hélène Baril.
En effet, c'est une petite révolution qui s'annonce à la Caisse de dépôt, sous la direction de son grand patron, Michael Sabia. Depuis la création de l'institution, en 1965, les déposants qui étaient insatisfaits des résultats de la Caisse n'avaient pas beaucoup de recours, à part tirer les oreilles de la direction et du conseil d'administration. Leur choix se limitait pour l'essentiel à déterminer leur tolérance au risque.

Dorénavant, les 25 déposants de la Caisse pourront voter avec leurs pieds, comme on le dit familièrement. Non pas en confiant leurs fonds à un gestionnaire externe, puisque la Caisse et le gouvernement du Québec n'ont pas poussé l'audace jusque-là, de peur d'une grande désaffection. Et cela, même s'il serait sage que le Québec n'ait pas tous ses oeufs dans le même panier.
Mais au moins, les déposants qui sont mécontents du travail des gestionnaires d'actions américaines - et ce n'est pas un exemple tiré au hasard - pourront investir dans des fonds indiciels. La performance de ces fonds mime celle des grands indices boursiers. Comme il est fort difficile de surpasser la performance des indices sur une longue période, les déposants ont l'assurance d'avoir des rendements décents.
Ils ne profiteront pas des bons coups de la Caisse. Mais ils n'auront pas à subir ses contre-performances comme on l'a vu dans le marché monétaire en 2008 (papier commercial vendu par des boutiques indépendantes) et dans les placements privés en 2002 (Quebecor Media).
Tous les Québécois sont concernés par les rendements de la Caisse, par l'entremise de la Régie des rentes du Québec, son deuxième déposant en importance, avec un actif de plus de 26 milliards de dollars. Mais certains sont plus touchés que d'autres. Ainsi, c'est la Caisse qui veille sur les vieux jours des fonctionnaires du gouvernement du Québec et des employés de la construction. Pour eux, les résultats de la Caisse revêtent encore plus d'importance.
Forcément, la menace de se voir retirer un mandat de gestion agira comme un électrochoc sur l'organisation de la Caisse. Mais il est sain qu'il en soit ainsi. Dans l'industrie du placement, tous les gestionnaires de fonds doivent se battre pour mériter la confiance de leurs clients. Tous les gestionnaires sont menacés de perdre un mandat si leurs résultats sont décevants.
La Caisse se spécialisera, ce qui entraînera, par la force des choses, l'abandon des secteurs dans lesquels elle échoue à se démarquer.
Dans le contexte, toutefois, il est crucial que la Caisse de dépôt et placement du Québec puisse compter sur des professionnels de haut calibre. La Caisse doit non seulement recruter des gestionnaires de talent, mais les conserver à son emploi en leur offrant autant des défis que des rémunérations intéressantes. Ce n'est pas acquis à la Caisse, qui a déjà eu la réputation d'être un club-école.
L'exercice est d'autant plus délicat que la Caisse, une société d'État, rivalise avec les plus grandes institutions financières de la planète. Or, malgré la crise du crédit qui a mis en évidence les rémunérations stratosphériques dans la haute finance, les Goldman Sachs de ce monde alimentent encore la spirale inflationniste.
La Caisse a d'ailleurs erré dans le passé, avec une politique de rémunération variable qui ne tenait pas compte des risques encourus. Ainsi, comme l'a bien documenté mon collègue Francis Vailles, ce sont les primes au rendement qui ont incité les gestionnaires dans les marchés monétaires à accumuler 13,2 milliards en papier commercial non bancaire, l'origine de la catastrophe de 2008. Ce papier, qui était nettement plus risqué qu'il n'y paraissait, n'offrait pourtant que 43 points centésimaux de rendement de plus, en moyenne, que des bons du Trésor, des placements sécuritaires.
La Caisse est en train de revoir de fond en comble sa politique de rémunération variable, qui sera instaurée en 2010. Cette politique récompensera les gestionnaires qui obtiendront des rendements supérieurs sans courir des risques inconsidérés. Ces primes seront distinctes des primes de rétention que la Caisse pourrait verser à certains cadres, en sus.
Reste à voir, toutefois, ce que la Caisse fera en 2009, une année de transition qui représente un casse-tête.
Secouée par les départs successifs et les nombreux changements à sa direction, la Caisse file un mauvais coton. Bref, les primes seraient bonnes pour le moral. C'est d'autant plus vrai que tous les gestionnaires de la Caisse ont été punis pour les mauvais résultats de 2008, même ceux qui avaient obtenu des résultats supérieurs à leurs pairs de l'industrie.
Mais pour avoir des primes, encore faut-il les mériter! Or, même si l'année 2009 n'est pas encore terminée, elle s'annonce comme un mauvais cru. Déstabilisée par sa crise interne, la Caisse a notamment loupé le rebond des marchés financiers. Le rendement global de la Caisse n'est peut-être pas le seul facteur considéré, mais il compte néanmoins pour beaucoup dans l'attribution des primes.
Qui plus est, la Caisse ne versera aucune prime de rétention à ses cadres en 2009, d'autant que la crise financière a coupé court au maraudage.
La Caisse devra-t-elle se montrer très généreuse pour des résultats qui, somme toute, sont couci-couça? Comment récompenser l'ordinaire? C'est ce qu'il faudra surveiller lorsque la Caisse dévoilera ses résultats financiers.
Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca


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