(Montréal) On conçoit aisément que le ministre du Développement économique, Clément Gignac, se dise «perturbé» par les conflits d'intérêts relevés par le vérificateur général du Québec dans l'administration du Fonds d'intervention économique régional (FIER).
À lire l'investigation de Renaud Lachance, on le serait à moins. Mais, il y a plus troublant encore dans ce rapport spécial dévoilé mercredi. C'est la nonchalance avec laquelle Investissement Québec a supervisé ces fameux fonds régionaux.
Pour mieux comprendre, toutefois, il faut revenir en arrière. Le FIER a été créé en 2004 pour combler un vide dans le financement des PME. Si les entrepreneurs peuvent trouver du capital de risque pour faire grandir leurs sociétés, ils peinent à en dénicher pour démarrer leurs entreprises.
Ce manque de capital de démarrage est encore plus criant à l'extérieur des grands centres. D'où cette idée qui semble excellente sur papier de donner aux communautés d'affaires des régions les moyens de se prendre en main, grâce à des fonds d'investissement régionaux.
Mais, ici comme ailleurs, tout est dans l'exécution, d'autant plus que le gouvernement de Jean Charest a alloué, dès le départ, une somme imposante à ce programme dont la formule n'était pas éprouvée. Il a pourvu le FIER de 300 millions de dollars, dont 210 millions venaient du gouvernement et 90 millions des fonds fiscalisés comme le Fonds de solidarité FTQ.
Le gouvernement a confié à une filiale d'Investissement Québec la tâche de déployer le FIER en créant des fonds d'investissement régionaux, constitués en sociétés en commandite. Entre 2005 et 2008, 30 de ces fonds ont ainsi vu le jour.
Le gouvernement du Québec fournit les deux tiers du capital. Le reste provient de partenaires locaux comme des investisseurs privés, des centres locaux de développement ou des organismes municipaux. Étonnamment, même si le gouvernement est le principal bailleur de fonds du FIER, il ne dispose pas d'un administrateur de plein droit sur les conseils des fonds régionaux. Il est seulement représenté par un «observateur» qui assiste aux réunions du conseil d'administration sans avoir son mot à dire.
Observer, c'est pas mal moins engageant que de participer aux décisions. Ainsi, les observateurs d'Investissement Québec n'ont pas assisté à toutes les réunions des conseils des fonds régionaux. Toutefois, cet absentéisme est nettement moins marqué que par le passé. Le taux de présence des observateurs s'est établi à 86% l'an dernier, alors qu'il n'était que de 59% en 2006.
En date du 30 juin dernier, les fonds régionaux du FIER avaient autorisé 246 investissements. Or, 65 de ces investissements ont été approuvés en l'absence de l'observateur du gouvernement ou avant même sa nomination. C'est plus d'un investissement sur quatre!
Faut-il s'étonner qu'il y ait eu des dérapages et que les administrateurs des fonds régionaux n'aient pas toujours respecté les politiques, par ailleurs relâchées, du programme FIER?
Dans les discussions qui ont été menées pour approuver les investissements des fonds FIER, dans 75 cas sur 246, au moins un administrateur a reconnu qu'il avait des intérêts dans le dossier en cause. Mais la politique du FIER relative aux conflits d'intérêts - avec laquelle le vérificateur Renaud Lachance est en désaccord - est toutefois peu sévère, puisqu'elle permet tout de même à ces administrateurs d'assister aux délibérations.
Néanmoins, dans 23 dossiers, des administrateurs qui avaient des intérêts dans les dossiers à l'étude ont non seulement assisté aux discussions, mais ils ont participé au vote autorisant l'investissement. Dans 10 de ces cas, des administrateurs ont même misé de l'argent dans des entreprises dans lesquelles leur propre fonds d'investissement privé avait déjà investi.
Par ailleurs, les conseils d'administration des fonds régionaux sont si restreints dans certains cas qu'il est arrivé en six occasions qu'un administrateur se retrouve à approuver seul un investissement, parce que les deux autres administrateurs au conseil se trouvaient en conflit d'intérêts!
Devant ces constats, le ministre Gignac s'est engagé à resserrer les règles du FIER. Les conseils des fonds régionaux devront être composés d'au moins cinq membres. Et l'observateur d'Investissement Québec devra obligatoirement assister aux réunions du conseil. Mais même si on «répare» le FIER, il faut se poser une question: le FIER est-il vraiment la meilleure façon d'encourager l'entreprenariat et le développement économique dans les régions?
La valeur des 246 investissements réalisés totalise un peu plus de 150 millions de dollars. Or, 58% de cette somme a abouti à Montréal ou dans ses environs (Laval, Laurentides, Lanaudière et Montérégie). Je veux bien que, dans certains cas, il soit plus difficile de déterminer l'endroit exact des retombées, entre le siège social et, disons, l'usine de production. Mais, clairement, ce n'est pas la seule raison qui explique une concentration d'investissements aussi forte dans la région de métropole.
Chose certaine, si on souhaite encourager l'économie des régions, le minimum de 50% des investissements dans la région même du fonds régional est trop peu élevé.
Mais, peut-être que le problème se présente de la mauvaise façon, si vous me permettez une question politically incorrect. Manque-t-il de projets prometteurs à financer dans les régions éloignées, toutes proportions gardées? Comment expliquer, alors, que le FIER soit assis sur une montagne de liquidités?
Au 31 décembre dernier, les 30 fonds régionaux du Québec avaient 82 millions à investir! Comment se fait-il que le gouvernement ait versé à ces fonds millions sur millions, dans certains cas avant même qu'ils aient réalisé leur premier investissement?
Pis, ces fonds régionaux vont-ils investir dans des projets moins intéressants uniquement pour rétablir l'équilibre régions/métropole d'ici la fin du programme?
Peut-être, finalement, qu'il vaudrait mieux jeter le bébé avec l'eau du bain.
sophie.cousineau@lapresse.ca
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