L'Affaire du rapatriement

Chasse aux nazis, valeurs mobilières et actes similaires

3544ab10afd60d166e5fb92b6eab0107

Le fédéral s'en tire à trop bon compte

En page A-9 du Devoir de vendredi dernier, le 7 juin, Me Pierre Thibault, doyen adjoint à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa, signe un texte dans lequel il soulève le cas du sous-procureur général Ted Thompson qui avait rencontré le juge en chef de la Cour fédérale, Julius Isaac, dans le but de discuter d'une affaire alors pendante devant la Cour et il se demande, dans la foulée de l'Affaire du rapatriement, s'il est possible que d'autres semblables accrocs au principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire aient pu avoir lieu au Canada. Il semble bien que oui.
Les lecteurs de Vigile se souviendront du fait que le soussigné a abordé le cas du sous-procureur général Ted Thompson dans un texte du 17 janvier 2012 en lien avec le dossier Mugesera. Rappelons quand même brièvement les circonstances de cette affaire, ce qui permettra d'ajouter quelques détails au texte de Me Thibault.
* La chasse aux nazis
Avec 50 ans de retard, donc, le Canada s'affairait à déporter les criminels nazis connus qui vivaient tranquillement au pays depuis trop longtemps déjà. En fin d'hiver 1996, la Cour fédérale était saisie du dossier de trois d'entre eux, Johann Dueck, Helmut Oberlander et Erichs Tobiass. L'affaire ne se déroulant pas au goût du ministère de la Justice, le sous-procureur général Ted Thompson se rendit au bureau du juge en chef Isaac pour lui faire part des doléances du ministère. Dans une lettre expédiée dans la foulée de cette rencontre, Me Thompson fera planer la menace d'un renvoi direct du dossier...en Cour suprême, si les choses ne changeaient pas en Cour fédérale. Ces démarches eurent toutes lieu en l'absence de la partie privée.
Suite à ces événements, le juge Isaac fit part des remontrances du ministère de la Justice au juge affecté au dossier, le juge James Jerome. Celui-ci choisira alors de se récuser, pour être remplacé par le juge Bud Cullen (Globe and Mail, 18-05-96, p., A-11). Les procédures prirent en fait une tournure à ce point abracadabrante que l'on confia à un autre juge le soin de surveiller le déroulement du reste de l'affaire, le juge Paul Rouleau.
Mais, certaines habitudes se perdent plus difficilement que d'autres, un peu comme celle d'arrêter de fumer. Le juge Rouleau se retrouvera donc lui-même en situation délicate pour avoir discuté de l'échéancier du dossier avec un avocat du ministère de la Justice, Chris Amerasinghe, sans inclure les avocats de la partie adverse aux discussions. Au Congrès juif du Canada, on commençait à se demander si le Canada voulait réellement expulser les criminels nazis (Montréal Gazette, Feb., 6, 1997, p., A-10).
À Ottawa, l'édifice du ministère de la Justice est à un jet de pierre de celui de la Cour suprême. Et, cela invite à une belle camaraderie. Voici d'ailleurs ce que rappelait à ce sujet le juge ontarien David Marshall dans une entrevue accordée au Globe and Mail:
«Judge Marshall said the bureaucracy supplies budgets for court administration and has various ways and means of conveying its wishes to chief judges as to how courts ought to be run.
"The problem is the chief justice is in a conflict position. "I manage for you; what will you do for me?" It is a case of he who pays the piper calls the tune sort of thing"» (Globe, Nov., 27, 1995, p., A-6).
À ce sujet, nous apprenions une chose étrange à propos des juges de la Cour suprême à la page 3 du Guide de la télévision du Devoir, en fin de semaine dernière (8 au 14 juin 2013):
«Sans conteste, l'été 1989 aura été chaud. Une jeune femme de 21 ans originaire de Chibougamau aura à elle seule accaparé l'attention de la nation, fait descendre des milliers de femmes dans la rue et écourté la croisière dans les Caraïbes et l'escapade en France de juges de la Cour suprême fâchés de rater leurs vacances.»
Est-ce un hasard que les juges aient pris leurs vacances au même moment? S'agissait-il de voyages strictement privés ou de jolis voyages organisés par le Justice? Ce n'est pas la même chose. Voici encore une fois le juge Marshall sur la question:
«"Secondly, if courses are used as a reward or sanction--four days in the spring at a hotel in Victoria can be a remarkable incentive-- certain judges will be left out of this system as sanction and will have no opportunity for that particular training program."»
Et, il semble bien que cette promiscuité entre les juges et la bureaucratie puisse aller passablement loin. Qui sait ce qui se passe dans les sombres corridors de la justice ottavienne? En voici un exemple.
*Le cas Dickson/Iacobucci
Dans son texte, le professeur Thibault présentait le cas Thompson comme une histoire vraie, ce qu'elle est. Alors, en voici une autre tout aussi vraie. Il importe cependant de la mettre en contexte.
À l'époque, le soussigné était traducteur législatif à la Section de la législation du ministère fédéral de la Justice. À ce titre, on lui avait confié la traduction d'un projet de loi relatif à la concurrence, avec Me mary Dawson comme rédactrice. Madame Dawson est aujourd'hui commissaire à l'éthique au gouvernement fédéral.
À quelques heures du dépôt du projet en Chambre, le supérieur hiérarchique du soussigné, monsieur Gérard Bertrand, modifia le texte français pour y introduire une bizarrerie d'à-propos douteux. Le projet visait entre autres choses à établir un tribunal de la concurrence. En anglais, donc, il y avait les «judicial members» et les «quasi-judicial members» du tribunal, ce que le soussigné avait traduit par «membres judiciaires» et «membres quasi judiciaires». Monsieur Bertrand avait jugé bon de remplacer «membre quasi judiciaire» par «autre membre»...Imaginez, "je vous félicite pour votre récente nomination au Tribunal de la concurrence à titre ...d'autre membre". Ou encore "Ah, et que faites-vous au fédéral? Je suis...autre membre au tribunal de la concurrence.". À Consommation et Corporations Canada, le ministère responsable de l'application de la loi, on appréciait pas.
Que voulez-vous, votre humble serviteur refusait d'affirmer que les traducteurs francophones étaient sur le même pied que les rédacteurs anglophones à la Section. Et, monsieur Bertrand le harcelait. Le coup de la bizarrerie faisait partie des techniques qu'il avait développées au cours de sa longue carrière au fédéral. Au milieu des années 1980, son arsenal était d'ailleurs devenu des plus complets. Les gens de l'extérieur pensaient en effet que la trouvaille était celle du soussigné.
À tout événement, votre humble serviteur porta la modification à l'attention de madame Dawson. Voici un extrait de la conversation qui suivit:
Madame Dawson:«Does he realize that the wording of this Bill has been discussed between the DM (Frank Iacobucci) and the Chief Justice (Brian Dickson)?». Le soussigné lui répondit alors ceci:« I've got no idea, but he's making changes anyway and they're not necessarily the best advised ones.»
Quelques jours plus tard, suite au dépôt du projet en Chambre, madame Dawson et le soussigné furent invités à une petite réception aux bureaux de Consommation et Corporations Canada pour célébrer l'événement. En arrivant sur les lieux, votre humble serviteur se dirigea vers Me Lawson Hunter, au dossier pour Consommation et Corporations, et lui fit part de son impression à l'effet que certaines dispositions du projet étaient inconstitutionnelles. Ils eurent alors conversation suivante:
Lawson Hunter:«There's no problem, Louis, we've asked Peter Hogg to write an article for us to the effect that what we're doing is constitutional.» Le soussigné lui répondit ceci:«Yes, I've read that article and it looks exactly like what it is, something written for money.» On lui répondit ceci:«Do you know why we're doing it, Louis?» Louis:«no». Lawson Hunter:«It's because we want to invade the field of Securities.»
Le fil des événements est loin d'être rassurant. Le soussigné avait également fait part de ses doutes à madame Dawson quelques jours plus tôt. Elle lui a alors suggéré d'oublier l'affaire, sans déposer de note au dossier. Votre humble serviteur n'a pas déposé de note, mais il n'a pas oublié. À la fin des années 1980, madame Dawson sera nommées sous-ministre adjointe aux affaires constitutionnelles. Votre humble serviteur, lui, fut congédié.
On se rappellera qu'en 1979 Consommation et Corporations Canada avait publié un gigantesque document appuyant l'idée d'une compétence fédérale dans le domaine des valeurs mobilières. Puis, il y eut Multiple Access, Global Securities et le Renvoi sur les valeurs mobilières. Il y a des passages intéressants dans ces décisions-là.
Aujourd'hui, le fédéral revendique une nouvelle compétence en matière de risque systémique, de produits dérivés et de collecte de renseignement concernant les valeurs mobilières. Autrement dit, le Québec y a perdu sa juridiction sur la Bourse de Montréal, une Bourse de dérivés. Mais, cela ne semble pas déranger le PQ outre mesure. Alors, non, professeur Thibault, le cas Thompson n'est pas nécessairement un cas isolé. On pourrait même parler d'une série d'actes similaires...
*Le PQ et le rapatriement
À l'heure actuelle, le PQ donne l'impression de vouloir ignorer le partage des compétences dans ses démarches pour que l'on fasse la lumière sur le dossier du rapatriement. Le professeur Frédéric Bastien a bien sûr ouvert une fenêtre sur les dessous de ce dossier, mais Bob Rae en a ouvert une autre sur le partage des compétences. Bien lu, son texte du 24 mai dernier sur le site du Huffington Post laisse entendre que Pierre Trudeau et Bora Laskin se seraient entendus pour utiliser la Cour suprême comme formule d'amendement de facto de la constitution. Laissera-t-on le fédéral s'en tirer à si bon compte? Le PQ semble parti dans cette direction.


Laissez un commentaire



8 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2013

    Quand le Canada va jusqu'à tricher pour rapatrier la constitution sans le consentement du Québec en 1982, un des deux peuples fondateur de ce pays; qu'importe pour eux cet autre accommodement déraisonnable?

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2013


    PELOQUIN / SAUVAGEAU - Monsieur l'indien
    http://www.youtube.com/watch?v=7y0UVAfIbq8

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2013

    Interdiction du turban au soccer: un tournoi montréalais perd 20 équipes
    Pas de danger que cette minorité religieuse sikh fasse un examen de conscience et se demande si leur entêtement de porter illégalement le turban vaille la peine de foutre la merde au détriment de centaine d'autres joueurs. Pourquoi le ferait-il, ils ont émigré au Canada et de foutent pas mal des québécois. Je me demande pourquoi ils ont choisi le Québec quand le reste du Canada est prêt à leur accorder tous leurs caprices du moyen-âge.
    http://quebec.huffingtonpost.ca/2013/06/13/interdiction-du-turban-au-soccer-tournoi-perd-20-equipes_n_3436569.html
    Note; Ce sujet est une conséquence directe de la constitution canadienne qui nous a été enfoncé dans la gorge par Trudeau.

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2013

    Je vous remercie tous pour vos aimables commentaires.
    Maintenant, voici comment j'ai lu le texte de Bob Rae.
    D'abord, il identifie les conspirateurs: Pierre Trudeau, Frank Scott et Bora Laskin, qui, souligne-t-il, étaient des amis dans les années 1950-1960.
    Monsieur Rae établit ensuite l'objectif de la conspiration: les trois amis voulaient le rapatriement de la constitution, ils tenaient à l'adoption d'une charte des droits et ils n'appréciaient pas l'interprétation favorable aux provinces du partage des compétences par le Comité judiciaire du Conseil privé.
    Et, leur projet a été mis en œuvre: une fois dans le fauteuil du premier ministre, Pierre Trudeau s'est chargé du rapatriement, il y a inclus une charte, il a nommé Bora Laskin juge en chef de la Cour suprême où ce dernier s'est appliqué à modifier le partage des compétences en faveur du fédéral par des moyens inappropriés. Il y a des décisions de la Cour suprême où cela est évident. Pensons par exemple au Renvoi anti-inflation et au cas Vapor.
    Évidemment, monsieur Rae ne crie pas «Au complot», mais ses propos sont tout comme...
    J'espère vous avoir éclairé.
    Louis Côté

  • François A. Lachapelle Répondre

    12 juin 2013

    Les Québécois qui ont servi dans la fonction publique fédérale à Ottawa principalement voient presqu'au quotidien les forces centralisatrices du Gouvernement "tout-puissant" d'Ottawa.
    Un ami de la famille qui oeuvre encore dans l'enseignement du français langue seconde auprès de la magistrature des tribunaux fédéraux, dans un dossier de tourisme, a constaté que les moyens offerts par Ottawa étaient décuplés à comparer à ce que Québec offrait pour le même projet.
    Ma femme et moi avons été à même de constater l'efficacité d'un retour de correspondance en moins de 12 heures après l'envoi par télécopieur au bureau du Premier Ministre aussi appelé le Conseil privé. D'une autre source, on nous apprenait qu'à l'époque de Jean Chrétien, plus de 700 personnes travaillaient au Conseil Privé.
    Les hauts salaires payés par Ottawa contribuent au silence des employés devenus retraités sauf à vous qui par bonheur tirez sur la sonnette. Dans le présent article, je cite: « Bien lu, son texte du 24 mai dernier sur le site du Huffington Post laisse entendre que Pierre Trudeau et Bora Laskin se seraient entendus pour utiliser la Cour suprême comme formule d’amendement de facto de la constitution. Laissera-t-on le fédéral s’en tirer à si bon compte ? Le PQ semble parti dans cette direction.»
    J'ai lu ce texte de 4 pages de Bob Rae daté du 24 mai 2013 et je n'ai pas pigé le sens qu'il peut contenir selon votre remarque du "bien lu". Pouvez-vous expliquer davantage ce "bien lu" ? J'aimerais que le Min. Alexandre CLOUTIER lise vos articles. Salutations républicaines.

  • Louis Lapointe Répondre

    12 juin 2013

    Encore un excellent article M. Côté.
    Mon passage au Barreau m’a appris que le monde de la justice - avocats, juges, dirigeants du Barreau, haute fonction publique, membres du gouvernement et même certains journalistes - baigne littéralement dans l'hypocrisie. C’est vrai à Québec comme à Ottawa.
    Comme tout se sait ou finit par se savoir un jour ou l’autre dans ce merveilleux milieu, et cela bien des années avant que le commun des mortels en soit informé, il est pour le moins bizarre qu’on feigne si habilement l’étonnement et l’ignorance devant les scandales qu’on révèle chaque jour. Comme si tous ces gens ne dînaient jamais ensemble et ne se parlaient pas !

    Louis Lapointe

  • Archives de Vigile Répondre

    12 juin 2013

    Chasse aux racistes, valeurs mobilières et actes similaires
    Port du turban : la Fédération québécoise maintient l'interdiction.
    A partir de maintenant, les autochtones vont pouvoir jouer au soccer avec leurs plumes sur la tête. Justin Trudeau va être contre, vu qu'il y en pas dans son comté qui votent pour lui même s'il est un enfant de cheyenne.
    http://www.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2013/06/12/005-soccer-turban-interdiction.shtml

  • Archives de Vigile Répondre

    12 juin 2013

    La jeune femme dont il est question plus haut est évidemment Chantal Daigle. J'ai accidentellement omis une phrase dans ma citation. Mes excuses.
    Louis Côté