Le temps est venu de se débarrasser du sapin

Retour sur la contestation de la nomination du juge Nadon

Bye-bye le Code civil

Un enjeu déterminant pour la société distincte que nous sommes censés constituer

C'est dans quelques jours que sera débattu le cas du juge Nadon devant la Cour suprême du Canada. On s'en souviendra, un avocat torontois, Me Rocco Galati, a attaqué cette nomination au motif que monsieur Nadon n'était pas un juge d'une «cour supérieure provinciale» ou un «avocat inscrit pendant au moins dix ans au barreau d'une province» au moment de sa nomination. Autrement dit, le juge Nadon ne rencontrerait pas les exigences de la Loi sur la Cour suprême concernant les nominations à cette Cour.
Au fédéral, on répond, avis juridique à l'appui, que la version anglaise des dispositions attaquées est favorable au juge Nadon. Cet avis juridique a été demandé à un ex-juge de la Cour suprême, Me Ian Binnie, jadis à l'emploi du ministère fédéral de la Justice.
Depuis, l'affaire a été soumise à la Cour suprême et des modifications législatives ont été proposées pour remédier à la situation. Quelles sont les chances du juge Nadon? À première vue, excellentes.
*Gâchis évitable
Dans un texte paru en page A-7 du Devoir du 17 octobre dernier, l'ex-ministre fédéral de la Justice, Irwin Cotler, exprime l'opinion voulant que cette rocambolesque histoire aurait facilement pu être évitée. Il explique en effet que le ministère de la Justice connaissait manifestement la situation depuis août 2013 et que des modifications législatives auraient pu être apportées à la Loi sur la Cour suprême en temps voulu. Au passage, il ajoute que l'on devrait saisir l'occasion de modifier le processus de nomination des juges pour y ajouter des exigences en lien avec le bilinguisme et le bijuridisme. Nous y reviendrons.
*Société distincte
Dans certains milieux juridiques québécois, on prétend que la nomination du juge Nadon constitue une négation du caractère distinct du Québec. C'est, à tout événement, ce qu'il faut entendre d'un texte paru en page A-7 du Devoir, le 26 novembre dernier, sous la signature des avocats André Joli-Cœur, André Binette, Patrick Taillon et Étienne Dubreuil.
Les auteurs reprochent à Monsieur Nadon de ne pas être familier avec le droit civil Québécois, du fait de sa nomination à la Cour fédérale en 1993. S'ajoute à cela le fait qu'il n'est plus membre du Barreau du Québec depuis des années. Évidemment, le fait que monsieur Nadon réside à Ottawa n'arrange rien non plus. Au total, donc, cette nomination pèche contre l'existence même de la tradition civiliste québécoise pourtant reconnue depuis l'Acte de Québec (1774). Notons que ces arguments visent la personne et les compétences du juge Nadon plutôt que les exigences formelles énoncées à la Loi su la cour suprême. Encore une fois, nous y reviendrons.
*Le ministère de la Justice savait depuis longtemps
À la Justice, on avait été informé du bogue qui viciait les dispositions pertinentes de la Loi sur la Cour suprême dès 1991. Voici en effet ce racontait le soussigné en page B-8 du Devoir du 6 mars cette année-là en rapport avec la nomination du juge Frank Iacobucci à la Cour suprême depuis la Cour fédérale quelques mois auparavant:
«Cette histoire est fort inquiétante, d'autant plus que le juge Iacobucci a été nommé à cette Cour contrairement aux dispositions de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême, LRC, c. S-26. En effet, à l'époque de sa nomination, le juge Iacobucci n'était pas un juge d'une cour supérieure provinciale depuis dix ans; il était juge à la Cour fédérale du Canada depuis environ deux ans. De même, il n'était pas un avocat inscrit à un barreau provincial depuis au moins dix ans; il était juge et la fonction judiciaire est incompatible avec le statut d'avocat.»
Le ministère de la Justice pourrait difficilement affirmer ne pas avoir eu connaissance de l'article de votre humble serviteur, le sous-ministre John Tait y ayant donné suite en page B-8 du Devoir du 19 avril 1991. Voici en effet ce qu'il avait à dire sur la question:
«D'autre part, j'aimerais souligner que l'allégation portant sur la validité de la nomination d'un juge à la Cour suprême du Canada est, à sa face même, sans fondement en droit.»
Le fait que personne ne parle de cette affaire dans les grands médias vous donnera une idée du genre de société dans laquelle nous vivons...À tout événement que faut-il penser de ce désoeuvrant salmigondis constitutionnel?
*Gâchis évitable? Oui et non
Certains, comme Me Irwin Cotler, estiment qu'une simple intervention législative pourrait remédier à la situation. Au fédéral, on semble y croire. Il pourrait bien ne s'agir que d'un cas de «wishful thinking», cependant.
Imaginez vous donc que le fédéral a voulu se servir du rapatriement de 1982 pour constitutionnaliser la Cour suprême du Canada. Ce faisant, on adoptait une seconde formule d'amendement de la constitution, une pour tout le monde et une pour le fédéral...la Cour suprême. Malheureusement, «the chickens are coming home to roost now»...Est pris qui voulait prendre. À trompeur, trompeur et demi.
En effet, à l'alinéa 41 (d) de la Loi constitutionnelle de 1982, on exige une modification constitutionnelle adoptée à l'unanimité pour tout ce qui touche «la composition de la Cour suprême du Canada.» Alors, oui, cela ressemble étrangement au cas du juge Nadon. Mais, n'oublions pas que c'est...la Cour suprême elle-même qui aura le dernier mot. Mais, il n'est pas nécessairement évident, le dernier mot. Nous y reviendrons.
Sera-t-il possible, donc, de convaincre la Cour du fait que la nomination de monsieur Nadon constitue une négation de la tradition civiliste du Québec et que, pour ce motif, elle devrait être annulée? Cet argument porte malheureusement en lui le gène de sa propre défaite.
Ne revient-il pas à dire que l'on devrait abandonner aux seuls juges de «common law» le soin d'interpréter les lois fédérales applicables aux litiges issus du Québec? Ça, ce serait une négation de la nation. Et, c'est ici qu'entre en scène le bijuridisme de Me Cotler.
Dans l'affaire Nadon, la Cour suprême sera confrontée à un cas de divergence entre les deux versions d'une loi fédérale. Jadis, les tribunaux appliquaient la version qui semblait le mieux refléter l'intention générale de la loi sous examen. Mais, la Cour suprême semble avoir effectué un surprenant virage en ce domaine dans l'arrêt R c. Daoust, une affaire saluée bien bas par le Barreau du Québec (Journal du Barreau, 1 er mai 2004). Bien brièvement, il faudrait désormais rechercher une interprétation commune aux deux versions divergentes. Une fois de plus, nous y reviendrons.
Dans les circonstances de l'affaire Nadon, donc, on imaginera facilement la Cour suprême parler en ce sens: «Cette honorable Cour ne donnera pas à une loi fédérale une interprétation qui aurait pour effet de confier aux seuls juges de common law le soin d'interpréter les lois fédérales dans les litiges issus du Québec. Le Canada est un pays bilingue, multiculturel et bijuridique...».
Ah! Ah! Bijuridique...Regardons cela de plus près, si vous le voulez bien. Commençons avec les articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation, adoptés en 2001. Voici la version française des textes en question:
« 8.1 Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada et, s'il est nécessaire de recourir à des règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils en vue d'assurer l'application d'un texte dans une province, il faut, sauf règle de droit s'y opposant, --on se demande vraiment laquelle-- avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province au moment de l'application du texte.
8.2 Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes.»
Prenons maintenant connaissance du paragraphe 92 (13) du British North America Act, 1867 (toujours pas de version française officielle de cette Loi):
«92. In each province the Legislature may exclusively make laws in relation to matters coming within the classes of subjects next hereinafter enumerated; that is to say,
(13) Property and civil rights in the province.»
On aura compris que le fédéral prétend s'approprier une compétence législative en matière de propriété et de droits civils, pour ensuite mettre en place un mécanisme d'unification du droit privé au Canada. Imaginez «Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application....». «Compatible»...Vous ne trouvez pas, vous autres, que ça sent l'affaire Daoust, ça? «Moudit» que le hasard fait bien les choses parfois.
À tout événement, les provinces tiennent leur compétence en matière de propriété et de droits civils au titre de la constitution et non pas de la Loi fédérale d'interprétation. Ensuite, lorsque vient le temps d'interpréter une disposition du Code civil aux fins d'application d'une loi fédérale, il faut qu'il y ait «exactitude» et non pas simple «compatibilité». Autrement, nos facultés de droit en viendront un jour à enseigner le droit...des «morthèques». (Contraction de «mortgage» et hypothèque.)
Se dirige-t-on vers l'unification du droit privé au Canada? Prenons à cette fin connaissance d'un texte du bâtonnier Nicolas Plourde, paru en page A-6 du Devoir du 29 avril dernier, en réponse à un texte de Me Georges LeBel qui s'inquiétait de l'avenir du Code civil également dans les pages du devoir le 26 avril:
«Les différences qui nous séparent sont moins importantes que nous le croyons: le droit civil et la common law se rejoignent à maints égards dans les principes et leur applications.»
Ne faut-il pas craindre, alors, une invasion des grands cabinets d'avocats canadiens anglais? Absolument pas. Ils vont plutôt envahir...les États-Unis. Les grands gagnants seront les avocats du Québec;
«Ce sont les avocats québécois--bilingues et de tradition bijuridique-- qui verront de nouveaux marchés s'ouvrir à eux. Il sera plus difficile pour les avocats des autres provinces de pratiquer ici, puisqu'ils sont moins nombreux à maîtriser les deux langues et n'ont pas la formation en droit civil pour le faire.»
Ça doit être pour cela que les grands cabinets d'avocats réclament l'abrogation de l'obligation de traduire les prospectus en matière de valeurs mobilières et que les banques refusent de se soumettre à la surveillance de l'Autorité des marchés financiers. Le marché qui va s'ouvrir aux avocats québécois, c'est celui de la traduction...et encore. Oh, oui, avant d'oublier, les produits dérivés, bâtonnier, ça représente dix fois le PIB mondial. Et, non, le Québec n'a pas gagné sa cause dans le renvoi sur les valeurs mobilières.
*Peut-on stopper l'invasion?
Ce n'est pas avec l'argument de la société distincte que nous arrêterons le rouleau-compresseur fédéral. Il faut demander à la Cour suprême de prononcer l'annulation des versions divergentes des lois fédérale en application du paragraphe 18 (1) de la Charte. En effet, dans le Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, (1985) 1 RCS 721, la Cour suprême du Canada a énoncé le principe voulant que les dispositions comme le paragraphe 18 (1) garantissent aux francophones et aux anglophones un droit d'accès égal aux lois qui doivent être adoptées dans les deux langues. Or, seuls les justiciables bilingues sont en mesure de comprendre les lois dans les cas de divergence entre les deux versions de la législation bilingue. N'oublions pas, non plus, que nul n'est censé ignorer la loi. On se retrouve ici devant un cas de bilinguisme forcé.
La Cour suprême ne peut pas rejeter cet argument sans par le fait même permettre au fédéral de remplacer la version française de ses lois par des recettes de tarte aux pommes, dans un cas extrême. Soyons sans illusions. Nous en sommes au septième match. Le compte est égal 0-0. La troisième période supplémentaire est en route et le juge Nadon est sur la glace. C'est un compteur naturel, le juge Nadon. Il pourrait fort bien «scorer» le but gagnant dans quelques jours. Il est bon au hockey, le juge Nadon...
Bien sûr, le Québec devrait également attaquer la validité des articles 8.1 et 8.2 de la Loi d'interprétation. Mais, il ne mord pas fort, le Québec...


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12 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    26 octobre 2016

    De l'ONE aux valeurs mobilières
    POUR UN PROCÈS DE LA COUR SUPRÊME AVANT 2017
    «Moudit qu'à lé bonne», le juge Rowe (Malcolm) va se mette à l'étude du Code civil. Alors, est-ce que les juges civilistes vont retourner la politesse en prenant le virage de la common law? Manifestement, nous venons de faire un autre pas sur le long chemin de l'unification du droit privé au Canada, sous l'œil bienveillant de la Cour suprême.
    Si la tendance se maintient, c'est là que nous nous en allons. Oh, cela n'arrivera pas demain matin. Mais, il y a un peu de chinois dans l'horizon de planification fédéral, vous savez. Comme dans «Le voyage d'un millier de milles commence par le premier pas»...
    Tiens, prenez le cas des valeurs mobilières. C'est un bel exemple de la ténacité fédérale, ça. Ce n'est pas d'hier que l'on planche là-dessus, à Ottawa. Et, elle s'en vient, la Commission nationale des valeurs mobilières.
    Ah, le Québec jappe bien un peu au passage du train, mais avez-vous déjà vu un train s'arrêter pour un chien qui jappe? En fait, le Québec va japper encore une fois à la Cour d'appel, début novembre, dans ce dossier-là. Mais, parions que le train va poursuivre sa route, comme si de rien n'était.
    Sciemment ou non, les procureurs du Québec ont posé des questions plus ou moins pertinentes à la Cour dans ce renvoi-là. La Cour suprême n'a pas abordé le dossier sous l'angle du partage des compétences, elle a plutôt inventé une «nouvelle compétence» au bénéfice du fédéral, le risque systémique. Et, ce n'est pas la même chose.
    Elle a en outre associé ce risque aux produits dérivés, la spécialité de la Bourse de Montréal. Les procureurs du Québec aurait pu demander à la Cour d'appel si ce risque faisait partie du domaine des valeurs mobilières lorsque les tribunaux ont attribué cette compétence aux provinces il y a plusieurs années. Pour aider la Cour dans l'élaboration de son Avis, ils auraient pu lui rappeler que ce risque s'était manifesté avec éclat en 1929, suite au Grand Krach, avant que l'on ne qualifie les valeurs mobilières de question locale et privée. Mais, ils ne l'ont pas fait.
    Alors, est-il trop tard pour mordre? Peut-être pas.
    D'abord, il y a le Devoir, qui devrait peut-être faire ce que doit dans ce dossier. Oui, oui, pourquoi ne pas prendre le juge Rowe au mot et faire ce que doit en publiant une genèse du dossier des valeurs mobilières depuis 1979, année du rapport de Consommation et Corporations Canada sur la compétence fédérale dans ce domaine. Vous savez, Frank Iacobucci, Peter Hogg, Brian Dickson, Mary Dawson, Lawson Hunter, Louis Côté, etc. Le Devoir pourra en cela s'inspirer des articles du soussigné sur Vigile. La preuve documentaire dont il y est question est inattaquable. Le dossier des valeurs mobilières ne vaut pas mieux que celui de l'Office national de l'énergie. En fait, il est pire à la puissance du nombre d'Avogadro. Alors, pourquoi ne pas en parler du dossier des valeurs mobilières?
    Évidemment, s'en prendre à la Cour suprême et s'en prendre à l'Office national de l'énergie, ce n'est pas la même chose. Et, on peut comprendre le Devoir d'hésiter. Elle est dangereuse, la «gang» d'Ottawa, vous savez. Dans cette affaire-là, il faudrait que tous les médias québécois sortent en même temps. La «gang» d'Ottawa la trouverait moins drôle, celle-là.
    Il y a aussi Jean-François Lisée, qui nous a promis un procès du fédéralisme pour 2017. Mais, pourquoi remettre à demain ce que l'on peut faire dès aujourd'hui?
    Monsieur Lisée pourrait se faire la dent avec un procès de la Cour suprême. Succulent comme entrée, ça monsieur Lisée. D'ailleurs, le dossier des valeurs mobilières devrait faire les manchettes dans les prochains jours, étant donné l'imminence de l'audition du renvoi québécois en Cour d'appel. Alors, pourquoi ne pas interpeller le premier ministre sur la question à L'Assemblée nationale?
    «Monsieur le Président, ma question s'adresse au député de Roberval et Premier ministre du Québec. Monsieur le Premier ministre, j'ai une série de documents, ici, dont je vous fait un bref résumé....Bla...bla...bla. De toute évidence, monsieur le Président, on est face ici à un cas mille fois pire que le dossier de l'ONE. Le Premier ministre s'engage-t-il à exiger une enquête indépendante et exhaustive sur la Cour suprême du Canada, monsieur le Président? N'oublions pas que cette affaire-là s'ajoute à celle du rapatriement, monsieur le Président.»
    Là, évidemment, le Premier ministre répondrait qu'il ne commente pas les affaires pendantes devant les tribunaux. «Le Premier ministre ne me comprend pas, monsieur le Président. Il n'est pas question de la Cour d'appel, ici, mais bien de la Cour suprême du Canada.»
    Et, là, monsieur Lisée, il faudra insister jusqu'à ce qu'il craque. Il a fallu insister longtemps pour une enquête sur l'industrie de la construction. Et, ne vous méprenez pas, l'industrie de la constitution n'est pas plus propre que celle de la construction.
    Certains d'entre vous seront tentés de faire parvenir une copie de mon article à monsieur Lisée. Là où il y a de la gêne, il n'y a pas de plaisir...
    Note à Vigile: Vous pourriez penser à donner le statut d'article à mon texte, plutôt que celui de simple commentaire. SVP ne pas publier cette note. Merci L. Côté.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 septembre 2016

    La référence exacte à l'article dont il est question dans mon commentaire précédent est The Labour Conventions Case Revisited, (1974) Canadian Yearbook of International Law p. 137. On retrouvera R. c. Crown Zellerbach à (1988) 1 RCS p. 401

  • Archives de Vigile Répondre

    15 septembre 2016

    Cour suprême
    SACCAGE CONSTITUTIONNEL À OTTAWA
    Le site du Globe and Mail nous apprend, ce matin, le 14 septembre 2016, que le juge Thomas Cromwell, ex-membre en règle à la Cour suprême du Canada, est d'avis que la candidature du juge Nadon a été rejetée sur une question essentiellement technique, ce qui est vrai, mais pas pour les motifs exprimés par le savant magistrat; la Cour suprême a pu justifier son détournement constitutionnel en raison de l'existence d'une divergence entre les deux versions de l'article 5 de la loi constitutive de la Cour. Elle est là, la vétille, si nous pouvons qualifier cela de vétille. Au fait, elle est arrivée comment, dans la loi, cette «vétille-là»?
    Ce qui s'est passé dans le cas Nadon, c'est que le système mis en place par le père de Justin à la fin des années 1960 s'apprêtait à faire nommer un de ses favoris de la bande de Montréal. On se demande pourquoi... À tout événement, Harper a résisté et il a demandé que l'on ajoute des juges de la Cour fédérale à la liste des candidats. Le système y a alors placé des candidats d'éligibilité douteuse, comme les juges Shore et Nadon. Le juge Nadon était presque à la retraite.
    Là, il semble que le premier ministre ait réagi de la façon suivante: «Vous le voulez, le juge Nadon, eh bien, vous allez l'avoir.» À trompeur, trompeur et demie, quoi. Pris à son propre piège, le système a résisté. La juge en chef a pris le téléphone afin de prévenir le premier ministre du fait que, dans les circonstances, il y avait un problème avec la nomination d'un juge issu de la Cour fédérale. Le premier ministre n'a pas pris l'appel. Il a obtenu un avis juridique de l'ex-juge de la Cour suprême Ian Binnie à l'effet que la nomination du juge Nadon était justifiable en application de la version anglaise de l'article 5 de la Loi sur la cour suprême.
    La bataille s'est alors déplacée devant la Cour elle-même et la juge en chef l'a emportée, aux dépens des juges civilistes de la Cour fédérale. Toute une vétille.
    On pourrait plutôt parler de saccage constitutionnel.
    Le juge Cromwell fait également état des longues heures de travail des juges de la Cour suprême. Il faudrait peut-être lui demander dans quelle mesure elles sont partagées avec les attachés de recherche qui, apparemment, rédigent une partie substantielle des jugements de la Cour. Et, il faudrait peut-être également demander aux attachés de recherche dans quelle mesure leurs longues heures de travail sont allégées par les recherchistes du ministère de la Justice.
    Finalement, quelqu'un pourrait-il nous expliquer quelle est la différence entre le dossier de l'Office national de l'énergie et celui des valeurs mobilières? Vous savez, Frank Iacobucci et Peter Hogg qui, en 1979, signent un rapport fédéral favorable à l'adoption d'une Loi nationale des valeurs mobilières; le juge Brian Dickson qui, dans Multiple Access en 1982, utilise le rapport en question pour en faire autant; Frank Iacobucci qui se retrouve sous-ministre fédéral de la justice et qui a une conversation avec le juge en chef Dickson au sujet d'un projet de loi que le système veut utiliser pour promouvoir l'idée d'une loi nationale des valeurs mobilières; Frank Iacobucci qui, en 2000, dans B.C. Securities, utilise son rapport de 1979 pour faire avancer l'idée d'une commission nationale des valeurs; Peter Hogg qui plaide la cause du fédéral dans le Renvoi sur le valeurs mobilières; et, enfin, la Cour qui donne juridiction au fédéral sur le risque systémique et les produits dérivés. C'est pas assez pour vous autres, ça?
    Ben, en vla plus. En 1974, alors qu'il était à la Commission de réforme du droit, organisme sous la responsabilité du ministère de la Justice. Gérard V. Laforest a signé un article contestant le bien-fondé de l'Affaire des conventions de travail (Canadian Journal of International Law). Une fois à la Cour suprême, dans Crown Zellerbach (1988), il a approuvé la remise en question de ce précédent fondamental pour le Québec, telle que formulée par le Très honorable Laskin dans Vapor en 1977. Et, ça, évidemment, ça s'ajoute à l'affaire du rapatriement. Il vous faudrait quoi de plus pour demander une enquête sur la Cour suprême. Ne vous trompez pas. l'industrie de la constitution n'est pas plus propre que celle de la construction...
    Oh, oui, en terminant, le risque systémique, il s'était manifesté en 1929, avant que les tribunaux n'attribuent aux provinces leur compétence dans le domaine des valeurs mobilières. Alors, il faisait partie de cette compétence, avant que la Cour suprême ne leur enlève.
    Louis Côté
    NB Si vous pensez que ce texte peut vous nuire dans le cadre de vos procédures devant les tribunaux, ne le publiez pas.
    L. Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    29 septembre 2015

    «CRÉ» JUSTIN, VA
    On ne peut reprocher à un fils de se porter à la défense de la mémoire de son père. Mais, lorsque le père en question était politicien, il y a parfois un risque à défendre son héritage. Prenons, donc, connaissance des propos du fils Trudeau lors du débat Munk:
    «...Et je veux être clair: je suis incroyablement fier d'être le fils de Pierre Elliott Trudeau. Et je suis chanceux qu'il m'ait légué ses valeurs. Quand on parle de son héritage, c'est d'abord celui de la Charte des droits et libertés, qui définit le Canada comme un pays qui défend les droits des individus , même contre les gouvernements qui veulent les enlever; c'est celui du multiculturalisme...et c'est celui du bilinguisme, qui selon mon père, voulait dire, M. Mulcair, qu'on dit la même chose en anglais qu'en français» (Devoir, 29-09-15, p.1)
    Alors, parlons-en de la Charte.
    Où étais-tu, Justin, lorsque le ministère fédéral de la Justice a congédié le fonctionnaire Edgar Schmidt qui affirme, en Cour fédérale, que les gouvernements déposent aux Communes des projets de loi qu'ils savent dérogatoires à la Charte?
    Où était ton père, Justin, lorsque Louis Côté a été congédié du ministère fédéral de la Justice après avoir déposé une plainte au Commissariat aux langues officielles voulant que, trop souvent, les deux versions des lois fédérales ne disaient pas la même chose en anglais et en français?
    Où étais-tu, Justin, lorsque Louis côté a dénoncé le fait que les gouvernement déposent aux Communes des projets de loi qu'ils savent incompatibles avec le partage des compétences?
    Où étais-tu, Justin, lorsque Frédéric Bastien a dénoncé les dérives constitutionnelles du juge Bora Laskin, nommé par ton père, dans le cadre du rapatriement?
    Où étais-tu, Justin, lorsque Louis Côté a fait état de la démarche constitutionnelle condamnable du gouvernement fédéral dans l'Affaire des valeurs mobilières et dans celle des Conventions de travail?
    Il serait possible de continuer avec les politiques économiques fédérales, mais à quoi bon.
    Le Canada de ton père, Justin, il n'existe pas. Je le sais. J'y ai cru.
    En 1979, je me suis inscrit au programme de maîtrise en droit de l'Université d'Ottawa, où j'espérais pouvoir éventuellement enseigner afin...de défendre le fédéralisme. I had bought your father's Canada hook, line and sinker, Justin.
    J'ai partagé mon programme également entre la Section de droit civil et la Section de common law. Je suis publié en anglais dans deux revues de droit. Lorsque je communiquais par écrit avec quelqu'un à Ottawa, j'envoyais toujours mes documents dans les deux langues. Je gardais même mes économies auprès de deux banques, une canadienne-française (Banque Nationale) et une canadienne anglaise (Bank of Montréal).
    Mais, un moment donné, j'ai commencé à y voir plus clair. Après UBC, j'ai connu la Fonction publique fédérale. Il n'y a rien comme un zoom pour mieux évaluer le Canada de ton père, Justin.
    Il m'a coûté cher, Justin, le Canada de ton père. Et, sais-tu quoi, le Québec le mérite bien, le Canada de ton père.
    Ah, en passant, avant d'oublier, tu pourrais peut-être profiter de la campagne pour nous promettre une version française officielle de la Constitution. Et, de grâce, de grâce, que celle-ci dise la même chose que la version anglaise...
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    24 mars 2015

    Je viens de prendre connaissance de l'avis de la Cour d'appel du Québec dans l'Affaire Mainville.
    D'abord, on interprète une loi lorsque cette dernière est ambiguë. L'article 98 de la loi de 1867 ne l'est pas ambigu.
    Le contexte historique, maintenant, il faut faire attention. C'est un peu comme si la Cour suprême avait validé les lois unilingues manitobaines au motif qu'il n'en restait plus de francophones au Manitoba en 1985. Idem pour l'Alberta. Ça ne tient pas la route, l'idée voulant que le compromis de 1867 n'est pas le même que celui de 1875.
    Là, on en arrive à la conclusion qu'il faut de avocats civilistes «expérimentés» à la Cour suprême, où il n'y a que quatre ou cinq causes de droit civil québécois annuellement, alors qu'il ne faut que des «juristes formés en droit local» à la Cour d'appel, où il n'y a que des causes de droit civil.
    Je pourrais m'amuser plus longuement, mais je ne la trouve pas drôle.
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    23 mars 2015

    De la lecture pour ceux que le dossier du juge Mainville intéresse:
    94. British North America, Act 1867 (Toujours pas de version française officielle de cette Loi contrairement aux dispositions des articles 55 et 56 de la Loi constitutionnelle,1982) Notwithstanding anything in this Act, the Parliament of Canada may make provision for the uniformity of all or any of the laws relative to property and civil rights in Ontario, Nova Scotia, and New Brunswick, and of the procedure of all or any of the courts in those three provinces, and from and after the passing of any act in that behalf the power of the Parliament of Canada to make laws in relation to any matter comprised in any such Act shall, notwithstanding anything in this Act, be unrestricted; but any Act of the Parliament of Canada making provision for such uniformity shall not have effect in any province unless and until it is adopted and enacted as law by the Legislature thereof.
    97. Until the laws relative to property and civil rights in Ontario, Nova Scotia, and New Brunswick, and the procedure of the courts in those provinces, are made uniform, the judges of the courts of those provinces appointed by the Governor General shall be selected from the respective bars of those provinces.
    98. The judges of the courts of Quebec shall be selected from the bar of that province.
    Si la Cour suprême lit l'article 98 du BNA Act, 1867, à la lumière de ce qu'elle a dit au sujet de l'article 6 de la Loi sur la Cour suprême dans le renvoi Nadon, elle devra donner raison à Me Galati dans le cas du juge Mainville, indépendamment des conséquences d'une telle décision...«Dura lex sed lex», dirait le juge Gascon.
    Savez-vous ce que Me Galati dit du gouvernement Harper concernant son attitude vis-à-vis de la constitution? Il dit qu'il pisse dessus. C'est une grave injustice de la part de Me Galati. Le gouvernement Harper n'est pas le seul à pisser sur la constitution au Canada. Allez, souriez, la vitta è bella...

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2014

    J'avais l'intention de procéder à une analyse relativement détaillée de l'affaire Nadon, mais je ne le ferai pas. Je vais cependant donner les grandes lignes.
    À la lecture de l'article d'Alec Castonguay dans le numéro du 15 décembre de l'Actualité, page 34, ainsi que du texte du Globe and Mail, paru le 24 mai dernier, il est difficile de voir qui a placé le nom du juge Nadon sur la liste des candidats. Il est possible que ce soit le Bureau du premier ministre, mais il est également possible que ce soit les fonctionnaires du ministère fédéral de la Justice. Ces derniers auraient pu agir de la sorte pour améliorer les chances de la favorite, Marie-France Bich. Les chances de monsieur Nadon paraissaient moindres, celui-ci étant un juge surnuméraire. Mais, il est difficile de l'affirmer hors de tout doute raisonnable.
    Une chose est presque certaine, cependant, la Juge en chef ne voulait pas du juge Nadon. Des rumeurs veulent qu'elle ait même fait du démarchage pour écarter sa candidature (D-03-04/05/14,p., B-2). Et, il se peut fort bien que monsieur Harper l'ait nommé dans le seul but de contrarier la Juge en chef. Il envisageait probablement se reprendre en nommant le juge Mainville suite à la retraite du juge LeBel. Malheureusement pour lui, Me Galati, à Toronto, a contrecarré ses plans. Les propos qui précèdent, ne visent aucunement à dénigrer la compétence du juge Nadon, lesquelles ont été reconnues par plusieurs (D-20-06-14, p., A-9). L'histoire du juge Nadon, elle est simple. C'est un bon juge qui s'est retrouvé coincé entre deux «big leaguers» et il en a fait les frais.
    Maintenant, avant de passer à l'Avis de la Cour comme tel, il convient de se demander ce que la juge en chef voulait raconter au Premier ministre, été 2013. Essayait-elle de le prévenir qu'il serait impossible de confirmer la nomination d'un juge de la Cour fédérale sans devoir s'appuyer exclusivement sur la version anglaise de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême? Évidemment, des questions se seraient alors soulevées concernant la Révision de 1985. Or, le ministère de la Justice, il en parle le moins possible de la Révision de 1985...Et, on peut comprendre. Voulait-elle prévenir le Premier ministre que dans le cas d'une contestation de la nomination d'un juge de la cour fédérale, la Cour suprême pourrait se retrouver à court d'un juge pendant trop longtemps? Ça ressemble à un cas qui pourrait se retrouver devant les tribunaux, ça. Voulait-elle favoriser les juges en provenance de la Cour d'appel du Québec? Quels étaient-ils, les «impacts institutionnels» dont la Juge en chef voulait discuter avec le Premier ministre, été 2013? Disons que le Barreau canadien n'a pas posé beaucoup de questions à ce sujet.
    Maintenant passons à l'avis de la Cour comme tel. Encore une fois, je n'entrerai pas dans les détails. Et, le fait que cet Avis me donne la nausée n'est pas le moindre des motifs qui me retiennent. Je ne traiterai donc que de la divergence entre les deux versions de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême. Et, encore là, de façon générale seulement.
    Prenons donc connaissance de quelques passages de cet Avis:
    «(26) Le libellé actuel des art., 5 et 6 remonte à la révision des textes législatifs de 1985. Le libellé de la version française des art., 5 et 6 a alors subi un changement qui a créé une ambiguïté dont nous traiterons plus loin, tandis que la version anglaise est demeurée identique. À ce moment, le Parlement n'avait pas l'intention d'apporter de changements de fond à la Loi: La Loi sur la révision et la codification des testes législatifs, L.R.C., 1985, ch., S-20...:
    5. (Conditions de nomination.) Les juges sont choisis parmi les juges, actuels ou anciens, d'une cour supérieure provinciale et parmi les avocats inscrits pendant au moins dix ans au barreau d'une province...
    5, (Who may be appointed judges.) Any person may be appointed a judge who is or has been a judge of of a Superior court of a province or a barrister or advocate of at least ten years standing at the bar of a province. »
    Aux termes de la version anglaise, donc, la nomination du juge Nadon était parfaitement valide. Il avait été avocat pendant dix ans. La version française, par contre, le rendait inapte à accéder à la Cour.
    Le ministère de la Justice est au fait de cette divergence depuis le 6 mars 1991. Voici en effet ce que le soussigné écrivait en page B-8 du Devoir ce jour-là:
    «Cette histoire est fort inquiétante, d'autant plus que le juge Iacobucci a été nommé à cette Cour contrairement aux dispositions de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême, LRC., c., S-26. En effet, à l'époque de sa nomination, le juge Iacobucci n'était pas un juge d'une cour supérieure provinciale depuis dix ans; il était juge à la Cour fédérale du Canada depuis environ deux ans. De même, il n'était pas un avocat inscrit à un barreau provincial depuis au moins dix ans; il était juge et la fonction judiciaire est incompatible avec le statut d'avocat.»
    Le ministère de la Justice ne peut pas nier avoir pris connaissance de cet article, le sous-ministre John Tait y ayant répondu en page B-8 du devoir du 19 avril 1991:
    «D'autre part, j'aimerais souligner que l'allégation portant sur la validité de la nomination d'un juge à la Cour suprême du Canada est, à sa face même, sans fondement en droit.»
    Mais retournons, si vous le voulez bien, à l'Avis de la Cour:
    «(29) La version anglaise de l'art. 5 ne soulève aucune ambiguïté. Les termes «is or has been» s'appliquent manifestement à la fois aux juges d'une cour supérieure provinciale et aux avocats inscrits pendant au moins 10 ans au barreau d'une province...
    (30) Si la version française de l'art. 5 soulève maintenant des ambiguïtés, celles-ci ont été crées par la révision de 1985. Auparavant, le texte français («est ou a été») suivait le texte anglais de près («is or has been»). De 1886 à 1985, les deux versions incluaient nettement les avocats, actuels ou anciens. La version anglaise les comprend toujours. Toutefois, la version française exige maintenant que les juges soient choisis «parmi les juges actuels ou anciens» ou «parmi les avocats inscrits pendant au moins dix ans». Certains pourraient prétendre que la formulation actuelle exclut les avocats qui ne sont pas inscrits au barreau au moment de leur nomination, puisque les termes «actuels ou anciens« ne s'appliquent pas aux avocats. Nous rejetons cet argument.
    (31) La modification apportée à la version française de l'art. 5 en 1985 n'en a pas changé la portée. Cette modification faisait partie de la révision des textes législatifs qui n'était pas censée en modifier le fond: art 6 de la Loi sur la révision et la codification des textes législatifs, Sarvanis c. Canada, 2002, CSC 28, (2002) 1 RCS 921, par. 13. Bref les versions française et anglaise ont la même portée, comme c'était le cas avant la révision de 1985.
    (32)...La version anglaise de la loi permet sans équivoque la nomination d'anciens avocats, alors que la version française peut raisonnablement recevoir deux interprétation: une qui exclut les anciens avocats comme personnes admissibles à une nomination et une qui les inclut. Le sens commun aux deux versions se trouve uniquement dans la version anglaise non équivoque, dont nous devons dès lors retenir le sens.»
    Alors, récapitulons. Avant la révision de 1985, les deux versions de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême disaient la même chose et toutes deux permettaient aux anciens avocats de devenir juge à la Cour suprême. Depuis la révision de 1985, qui n'a strictement rien changé, cela est moins sûr. La version française pourrait exclure les anciens avocats. Une porte est ouverte ou fermée. N'importe qui sachant lire comprend fort bien que la version française révisée exclut les anciens avocats.
    Une seule conclusion s'impose. La Cour a permis à la Commission de révision (1985) ce qu'elle a refusé au Parlement en 2013: modifier le texte des articles 5 et 6 de la Loi sur la Cour suprême. On en sort pas. C'est ce que la Cour a fait. Imaginez, il n'y a pas eu de changement mais désormais, seule la version anglaise exprime le sens commun des deux versions de l'article 5:«Le sens commun aux deux versions se trouve uniquement dans la version anglaise...». Elle est bonne, «le sens commun se trouve uniquement dans la version anglaise...»
    Poursuivons sur le sens commun, si vous le voulez bien. Si bien partis, pas question de s'arrêter. À l'époque de la révision de 1985, le précédent qui s'appliquait aux divergences issues d'une révision était l'affaire Popovic, (1976) 2 RCS 308. Brièvement, la Cour avait alors décidé qu'il fallait donner effet à la version qui n'avait pas été modifiée lors de la révision. Voici ce que disait le juge Pigeon aux pages 315 et 316:«Le fait que la version anglaise demeure inchangée indique clairement qu'on a eu l'intention d'effectuer aucune modification dans les dispositions qui nous intéressent.» Dans les circonstances de la révision de 1985, la version française des lois fédérales se serait plus ou moins retrouvée sous la tutelle de la version anglaise. Comment en est-on passé de l'affaire Popovic à l'affaire Daoust (2004) 1 RCS 217, une décision qui se marie si bien avec les articles 8.1 et 8.2 de la loi d'interprétation? Le stare decisis, qu'est-ce que ça veut dire, ça?
    Lors de la révision de 1985, on a plus ou moins confié la reformulation de la version française de centaines de lois fédérales à un linguiste européen sans formation juridique. Mieux encore, les textes révisés ont été adoptés sans contrôle parlementaire. Voici ce que l'on peut lire à cet effet dans le rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (7 mai 1987):
    «Le projet de révision actuel comprend dix-sept volumes couvrant plus de 10 000 pages de textes législatifs, sans aucune indication des changements effectués par la Commission aux lois adoptées par le Parlement. Cette façon de présenter le travail ne permet pas au Comité de s'acquitter de son mandat consistant à examiner et à approuver lesdits changements.»
    Or, dans le préambule de la Loi ayant donné effet aux Lois révisées, nous retrouvons ceci:
    «Attendu:
    ...que les textes révisés ont été examinés et approuvés par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles...» LC, 1987, c., 48).
    Si la version française de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême n'avait pas été modifiée lors de la révision de 1985, la nomination du juge Nadon n'aurait fort probablement pas été contestée. Dans sa version antérieure à la révision, l'article 5 ne laissait aucun doute quant à la validité de la nomination de monsieur Nadon.
    La juge en chef nous dit que c'est l'article 6 qui s'applique aux juges québécois. La Cour semble ignorer la règle d'interprétation voulant que l'on ne donne pas à une loi une interprétation qui aboutit à un résultat absurde. Et, oui, l'Avis de la Cour aboutit à plusieurs bizarreries. En décidant comme elle l'a fait, la Cour a fermé sa porte aux juges québécois de la cour fédérale. Plus absurde encore, l'Avis de la Cour semble imposer une obligation de compétence plus élevée aux juges civiliste qu'aux juges de common law. Si on lit entre les lignes de l'Avis de la Cour, il faut nécessairement conclure en ce sens. En fait, l'article 6, il n'est pas aussi autonome qu'on veut bien le laisser croire. Il faut en effet emprunter un petit dix ans à l'article 5.
    La Cour a fabulé dans le Renvoi Nadon. L'a-t-elle fait pour mettre le couvercle sur la Révision de 1985? L'a-t-elle fait par vengeance envers un Premier ministre qui l'ignorait dans le cadre du processus de sélection d'un juge à la Cour;
    «One Conservative MP said the government wants it made clear it didn't consult the Chief justice on the Supreme Court appointment. The tories feel there should be a firm wall between the bench and the decisions they make as to who should sit on it.» (GaM May, 2, 14, p., A1.)
    Peut-être un peut des deux. Dans son Avis, la Cour a bien expliqué à monsieur Harper qu'elle entendait bien continuer à faire du développement jurisprudentiel:
    (86)...En conséquence, la mission de la Cour «consiste désormais moins à corriger les erreurs et davantage à développer la jurisprudence»: R. c. Henry, 2005 CSC 76, (2005) 3 RCS 609, par. 53»
    On en a eu du développement jurisprudentiel dans le renvoi sur la Cour suprême. et, ça ne sent pas bon.
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2014

    Le site du Globe and Mail nous apprend ce matin que la nomination de Me Suzanne Côté à la Cour suprême du Canada est remise en question dans une lettre signée par 350 étudiants en droit, avocats et professeurs de plusieurs provinces. On lui reproche sa conduite à titre d'avocate dans le dossier de la juge manitobaine Lori Douglas et dans celui du recours collectif contre les fabricants de tabac. Dans ce dernier cas, elle aurait contribué à faire traîner les procédures pendant 16 ans.
    Moi, à Ottawa, dans les jours qui ont précédé la nomination de Frank Iacobucci à la Cour suprême, j'ai reçu une note m'informant que mon appartement pourrait être «visité» entre 09 h00 et 21 h 30, si ma mémoire est bonne. J'habitais au 420 Gloucester, # 1503. J'avais donné mon avis de départ longtemps auparavant. Il avait déjà été «visité», mon appartement. Un jour, alors que j'étais toujours à l'emploi du ministère de la Justice, je suis revenu chez-moi pour constater que quelqu'un était venu pisser et cracher dans ma cuvette.
    Alors, dans le cas Iacobucci, j'ai décidé d'aller passer quelques jours à Québec. À mon retour, une chaise avait été déplacée dans mon appartement. Frank Iacobucci était sous-ministre lorsque j'ai été congédié suite à une plainte au Commissariat aux langues officielles concernant le trop grand nombre de divergences entre les deux versions des lois fédérales. Ceux qui veulent en savoir plus sur le juge Iacobucci pourront lire mes textes concernant le rapatriement et les valeurs mobilières. À suivre...
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    4 décembre 2014

    L'Association du Barreau canadien et la Commission internationale des juristes ont peut-être été un peu vites en affaires...Monsieur Harper ne voulait peut-être pas nécessairement du juge Nadon lui non plus. À suivre...

  • Archives de Vigile Répondre

    3 décembre 2014

    Je viens de prendre connaissance de la sortie du juge Marc Noël de la Cour fédérale concernant l'affaire Nadon. Le problème, il vient en grande partie de la divergence entre les deux versions de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême du canada. Je le connais le problème, j'étais à la Justice lorsque les linguistes ont taré la version française des lois fédérales. Je pourrais même vous dire qui l'a modifié, l'article 5. Je m'opposais à ce que l'on faisait de la version française, à la Justice. J'y ai perdu ma carrière. Je vais vous dire ce que je me suis dit: «Je vais rester debout jusqu'à la fin. Il faut qu'il y en ait au moins un qui montre qu'on est pas tous morts.» Et là, Vigile qui rejette les articles d'un témoin direct de l'affaire. Remarquez bien que j'ai une petite idée des motifs qui expliquent ce rejet...Un «tit-peupe» qui n'en a que pour le hockey...
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    10 novembre 2014

    Le débat auquel a donné lieu l'idée de renommer le Pont Champlain Pont Maurice -Richard m'amène à penser que je devrais peut-être faire une mise au point concernant certains de mes textes sur Vigile. Il y a en effet plus de 45 000 visites sur les articles en question et cela constitue un nombre trop important pour que je laisse tout simplement laisser filer.
    Vous savez à peu près tous, donc, que j'ai à plusieurs reprises dans le passé traité le Québec de «Tit-peupe» qui n'en a que pour le hockey et, de là, plusieurs d'entre vous pourraient conclure que j'endosse le traitement ignoble qui a été administré à la famille de monsieur Maurice Richard en lien avec le dossier mentionné plus haut au cours des derniers jours. Tel n'est pas le cas, bien au contraire.
    Remarquez bien, cependant, que je n'ai pas changé d'opinion à l'égard du Québec; il aura fallu qu'il soit question de hockey pour que..ahem... l'intelligentsia québécoise se déchaîne.
    Elle est courageuse, l'intelligentsia québécoise. Elle dénonce énergiquement la nomination de vérificateurs-généraux unilingues à Ottawa. Elle surveille étroitement le lieu de résidence des juges de la Cour fédérale. Elle quantifie minutieusement la teneur en français des célébrations olympiques. Et, elle s'en prend lâchement à une famille honorable qui a toujours vécu sa célébrité dans l'humilité et la dignité.
    Elle se fait par contre beaucoup plus discrète lorsque vient le temps de faire la lumière sur les aspects outrageusement discriminatoires des politiques économiques fédérales ou encore lorsqu'il faudrait répliquer au Canada anglais qui ne rate jamais une occasion de traiter le Québec de quémandeur de péréquation paresseux et raciste.
    Oui, «quecque chose» comme un grand peuple qui paie une franchise de hockey 250 000 $, alors que les autres villes de la Ligue ont payé la leur 25 000 $. Oui, «quecque chose» comme un grand peuple qui met 400 millions $ sur un nouveau Colisée, alors que Winnipeg a eu une franchise avec un amphithéâtre de 15 000 sièges, construit pour 130 millions $. Je pourrais continuer, mais il est préférable que je m'arrête.
    À tout événement, pour en revenir à Maurice Richard, on aurait pu s'objecter à ce que le Pont Champlain soit renommé Pont Maurice-Richard sans y mettre la hargne qu'on y a mise. Monsieur Richard n'était pas le dernier venu à Montréal et il a toujours vécu sa célébrité dans la réserve et la dignité. On ne peut malheureusement pas en dire autant des têtes enflées millionnaires de l'époque actuelle.
    Il ne fait aucun doute que le Canada anglais honorera éventuellement Gordie Howe et Maurice Richard devra avoir droit au même traitement. Le maire Denis Coderre pourrait, par exemple, voir à ce qu'une rue importante de Montréal soit renommée rue Maurice-Richard. Si la famille y consent, bien sûr.
    Quant à Champlain, on se demande ce qu'il a à faire à Montréal. Champlain, il a fondé Québec, pas Montréal. Dans la métropole, vous avez Maisonneuve, Jeanne Mance et compagnie. Pas fort en histoire, le Québec. Encore une fois, je pourrais continuer, mais il est préférable que je m'arrête...
    Salutations à tous,
    Louis Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    7 janvier 2014

    On aura compris que l'annulation de l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême entraînerait l'annulation de toutes les nominations à cette Cour depuis l'apparition de la divergence qui jette le doute sur sa validité. Évidemment, il en va de même pour les décisions rendues par cette Cour depuis. Vous savez...la Loi 101, les valeurs mobilières, etc.
    Et, Ottawa pourrait fort bien devoir procéder au moyen d'un amendement constitutionnel pour y remédier. Bien sûr, il pourrait toujours avoir recours à sa formule d'amendement personnalisée. Mais, ça, c'est autre chose.
    S'il faut se fier au texte de Marie Vastel dans le Devoir de ce matin (D-07-01-14, p., A-3), le fédéral invoque le British North America Act 1867, pour appuyer son pouvoir de légiférer pour corriger l'article 5. Le Québec n'aura qu'à soulever la nullité de cette Loi, au motif qu'il n'existe toujours pas de version française officielle de cette dernière comme l'exigent les articles 55 et 56 de la Loi constitutionnelle de 1982...Un autre cas de divergences.
    Québec pourrait également répliquer que la Loi constitutionnelle de 1982 a préséance sur la Loi de 1867, dans la mesure où la volonté la plus récente du législateur doit prévaloir sur la plus ancienne. Mais, ça, c'est faire fi de la nullité du BNA 1867. Ce n'est pas une négation de la nation, ça, lui refuser une version française officielle de la constitution?
    Vous savez quoi, le Québec va manquer son coup...comme d'habitude. Il a ce qu'il mérite le Québec.
    Alors, amusons-nous un peu. Il y a des fois où il vaut mieux rire que brailler.
    René (Lecavalier): «Le rythme a beaucoup ralenti, Gilles (Tremblay).»
    Gilles: «Oui, René, on en est en est à la troisième supplémentaire et les joueurs montrent des signes de fatigue évidents.»
    René: «C'est un fait Gilles, sauf peut-être pour le jeune Nadon qui semble avoir conservé toute sa fougue.»
    Gilles: «Oui René, c'est un marqueur dangereux. Il ne faut pas lui donner la moindre chance.»
    René: «Oh, le voilà qui s'empare du disque dans son propre territoire...Il détale le long du flanc droit...Véritable marchand de vitesse...Il franchit la ligne bleue adverse...Se défait aisément de St-Arnaud...Le tir...Et coooooompte, C'est le but, Gilles...Et la coupe reste à Ottawa.»
    Gilles: «Tout un but, René. Marois n'a jamais rien vu. Il s'agissait d'un but signature pour Nadon, avec un lancer bas, sans avertissement, dans le coin gauche. Ses coéquipiers le félicitent chaudement d'ailleurs.»
    René: «Et la foule est en délire ici, à Ottawa. On le comprend, Gilles. Les Feds lui livrent la coupe d'année en année depuis 146 ans.»
    Gilles: «Oui, René. J'ai bien peur que les Bleus doivent éventuellement se résigner à jouer voilés.»
    René: «C'est un fait, Gilles, dans un signe ostentatoire de gêne...»