Trudeau accusé d’un « manque de respect » envers les francophones

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L’État canadien postnational bilingue de jure mais unilingue de facto frappe un obstacle


Le gouvernement de Justin Trudeau vient d’être rabroué devant les tribunaux pour avoir nommé une unilingue anglophone au poste de lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick.




Selon la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, les carences en matière de langue empêchent Brenda Louise Murphy de s’acquitter adéquatement de ses fonctions dans cette province officiellement bilingue. Sa nomination est donc déclarée inconstitutionnelle, car elle va à l’encontre des articles de la Charte des droits et libertés qui garantissent le statut bilingue du Nouveau-Brunswick.


Le rôle clé du lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick - en tant que personne qui signe les lois et décrets provinciaux, entre autres - fait en sorte qu’il ou elle doit être bilingue, affirme la Cour du Banc de la Reine de la province.



« Il n’y a qu’un chef d’État […] Le fait d’affirmer simplement que les exigences en matière de bilinguisme ne s’étendent pas au lieutenant-gouverneur parce que ce dernier, une personne, ne peut pas être considéré comme une institution est une simplification grossière d’une question complexe qui ne tient pas compte du caractère extrêmement unique et constitutionnel du rôle comme tel. »


— Une citation de  Tracey K. DeWare, juge en chef de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick


La décision de la Cour a été saluée par les partis d’opposition à Ottawa et les défenseurs des droits des minorités linguistiques au pays. À la suite de cette décision, plusieurs se posent même la question à savoir si la gouverneure générale du Canada devrait elle aussi obligatoirement connaître le français et l’anglais.


Un gain spectaculaire


La nomination de Brenda Murphy, effectuée en 2019 à la suite d’une recommandation de Justin Trudeau, a été contestée devant les tribunaux par la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB).


Les avocats de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, Mark Power et Darius Bossé, demandent maintenant que l’obligation de bilinguisme pour les tenants du titre de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick soit inscrite dans la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles.


La discussion à avoir, c’est quelles autres parties de la Loi sur les langues officielles, quels autres droits doivent être repensés et doivent être mis à niveau étant donné le gain spectaculaire réalisé aujourd’hui, estime Mark Power.


Mark Power devant l'affiche de son bureau Juristes Power.

L'avocat Mark Power (archives)


Photo : Radio-Canada / Frédéric Projean




Les deux avocats ajoutent qu’une discussion doit aussi avoir lieu pour le poste de gouverneur général du Canada. Toutefois, selon eux, il est trop tôt pour affirmer que la décision dans le dossier du Nouveau-Brunswick servira de précédent pour le poste de gouverneur général, étant donné que la décision dans leur cause s’appuie sur un article de la Charte qui traite uniquement du statut du Nouveau-Brunswick.


Les avocats espèrent qu’Ottawa n’ira pas en appel dans le dossier.


La professeure de sciences politiques au Collège militaire royal du Canada, Stéphanie Chouinard, ajoute que cet épisode fait de nouveau mal paraître le gouvernement fédéral quant à son traitement des minorités linguistiques au pays.


Stéphanie Chouinard pose devant le lobby de Radio-Canada Toronto.

Stéphanie Chouinard, professeure de sciences politiques au Collège militaire royal de Kingston


Photo : Radio-Canada / Rozenn Nicolle




C’est certain que le gouvernement de M. Trudeau se dit, depuis les sept dernières années maintenant, le champion des langues officielles… mais ça fait depuis 2019 que les communautés de langues officielles en situation minoritaire attendent la modernisation de la Loi sur les langues officielles, dit-elle.


Quant à l’avenir de Mary May Simon au poste de gouverneure générale du Canada, Stéphanie Chouinard dit qu’il faudrait qu’une nouvelle contestation judiciaire soit lancée.


C’est un argument qui devra être fait devant les tribunaux plutôt que de simplement prendre cette décision et de la calquer au niveau fédéral, dit-elle.


L’avenir de Brenda Murphy


Dans sa décision, la juge en chef DeWare affirme que la responsabilité incombe maintenant à Ottawa de prendre les mesures appropriées et promptes pour corriger la situation, sans pour autant exiger le départ de Brenda Murphy.


Brenda Murphy.

Brenda Murphy, lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick


Photo : La Presse canadienne / Stephen MacGillivray




Selon l’avocat Darius Bossé, celle-ci devra toutefois se demander si ses capacités en français répondent au niveau exigé par la cour.


Si elle se conforme, il n’y a pas de violation. Si elle ne se conforme pas, alors la violation continue jusqu’à ce qu’elle soit remplacée, dit-il.


Le député conservateur Joël Godin dit que ce dossier démontre les failles du gouvernement libéral de Justin Trudeau en matière de traitement des minorités linguistiques.


C’est un manque de respect inacceptable, affirme-t-il. Ça démontre encore une fois l'hypocrisie du gouvernement actuel face aux langues officielles et à tout ce qui touche le français.


La députée du Nouveau Parti démocratique, Niki Ashton, ajoute qu’elle espère qu’Ottawa n’ira pas en appel dans ce dossier.


Une femme debout derrière un micro et portant des lunettes.

Niki Ashton, députée fédérale du Nouveau Parti démocratique (archives)


Photo : La Presse canadienne / Justin Tang




Le Nouveau-Brunswick étant la seule province bilingue au Canada, il va de soi que sa lieutenante-gouverneure doit aussi pouvoir s’exprimer et s’acquitter de ses tâches dans nos deux langues officielles. En nommant une personne unilingue à ce poste, les libéraux ont manqué de respect envers les Acadiens et les francophones de la province, soutient-elle.


Même son de cloche de la part du député Rhéal Fortin du Bloc québécois.


En nommant non pas une, mais deux représentantes de la reine incapables de parler le français, les libéraux font bien piètre mine en matière de respect de notre langue, affirme-t-il. Plutôt que de contester la décision, les libéraux doivent prendre acte du jugement et s'employer à respecter leurs propres lois : un strict minimum vis-à-vis [de] la langue française.


Le gouvernement fédéral n'a pas encore indiqué comment il réagira aux demandes de la Cour.


Nous prendrons le temps d’examiner la décision et de réfléchir aux prochaines étapes, mais nous restons déterminés à protéger et à promouvoir la langue française partout au pays et à favoriser la dualité linguistique, a affirmé Chantalle Aubertin, attachée de presse du ministre de la Justice David Lametti.




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