(Ottawa) Les velléités autonomistes de trois provinces – le Québec, l’Alberta et la Saskatchewan – suscitent de plus en plus d’inquiétudes dans les officines du pouvoir à Ottawa.
Dans une note obtenue par La Presse en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, le Bureau du Conseil privé – le ministère du premier ministre Justin Trudeau – fait une mise en garde : ces trois provinces pourraient affaiblir le gouvernement fédéral si elles poursuivent sur leur lancée.
Ces provinces ont utilisé diverses méthodes au cours des derniers mois – soit un amendement pour modifier une clause de la Constitution qui les touche, soit une bataille devant les tribunaux pour contester une politique fédérale – dans le but de protéger leur autonomie contre de « soi-disant intrusions fédérales » dans leurs champs de compétences ou encore de limiter les « effets supposément centralisateurs » de la Charte des droits et libertés et le pouvoir fédéral de dépenser.
Ces diverses approches visant à influencer la division constitutionnelle des pouvoirs ainsi que les discours entourant le fédéralisme canadien exigent un examen attentif, car ils peuvent affecter la capacité du gouvernement du Canada à faire avancer ses objectifs et à maintenir un sentiment collectif d’appartenance au Canada.
Extrait de la note du Bureau du Conseil privé datée du 31 octobre
La note a été préparée à l’intention de la greffière du Conseil privé et secrétaire du cabinet, Janice Charrette.
On souligne aussi avec inquiétude la décision du gouvernement Legault d’invoquer la disposition de dérogation afin de protéger la loi 96 et la loi 21 sur la laïcité de l’État contre toute contestation judiciaire qui pourrait les vider de leur sens.
Des provinces qui font « preuve de créativité »
En Alberta, le gouvernement provincial a tenu un référendum en octobre 2021 proposant de retirer de la Loi constitutionnelle de 1982 le principe du programme fédéral de péréquation. Une majorité des électeurs albertains (61,7 %) ont voté en faveur de cette proposition et l’Assemblée législative a adopté par la suite une résolution exigeant un tel amendement. Mais le faible taux de participation à cet exercice (environ 39 %) a ralenti les ardeurs de la province.
En Saskatchewan, le gouvernement provincial a adopté une résolution pour abolir la section 24 de la Loi sur la Saskatchewan, qui a été annexée à la Constitution canadienne. Cette loi entérinait un contrat conclu entre le gouvernement fédéral et le Canadian Pacific qui exemptait « pour toujours » la société ferroviaire de payer certaines taxes. La Chambre des communes et le Sénat ont adopté une résolution semblable et la section 24 de la Loi sur la Saskatchewan a été abolie l’hiver dernier.
Le Bureau du Conseil privé s’inquiète de la volonté de ces trois provinces de continuer leur croisade en faveur d’une plus grande autonomie.
Au Québec, les mandarins fédéraux notent que le premier ministre François Legault a fait part de son intention durant la campagne électorale de l’automne dernier d’obtenir de nouveaux pouvoirs en matière d’immigration.
En Alberta, la première ministre Danielle Smith a rapidement fait adopter la Loi sur la souveraineté de l’Alberta qui donnerait le pouvoir à la province de ne pas appliquer les lois et les politiques du gouvernement fédéral qui seraient contraires à ses intérêts.
En Saskatchewan, le premier ministre Scott Moe a dévoilé en octobre un livre blanc dans lequel il promet de prendre les mesures qui s’imposent « pour protéger et défendre l’autonomie de la Saskatchewan en matière économique et les industries et les emplois des intrusions fédérales injustifiées ».
« Certains gouvernements provinciaux font preuve de créativité pour obtenir plus d’autonomie », souligne-t-on dans la note, dont plusieurs passages ont été caviardés.
Partage des compétences
Selon le professeur de droit à l’Université Laval, Patrick Taillon, il est « normal » que le Bureau du Conseil privé suive de près ce qui se passe dans ces trois provinces. « Qu’il s’en inquiète, oui, c’est aussi normal. Mais Ottawa est quand même dans une drôle de posture, car ce qu’il reproche aux trois provinces, c’est de jouer à la limite des règles, de violer l’esprit sinon la lettre du partage des compétences. Mais s’il y a un domaine dans lequel les gouvernements fédéraux se sont démarqués depuis plusieurs décennies, c’est bien cela, et particulièrement celui qui est au pouvoir en ce moment », a-t-il analysé.
Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, a pour sa part affirmé que le gouvernement Trudeau et son allié politique, le Nouveau Parti démocratique, préconisent une centralisation des pouvoirs à outrance qui est largement rejetée non seulement au Québec, mais aussi dans le reste du pays.
Le fédéral pourrait être tenté de rappeler le Québec et les autres provinces à l’ordre. Mais la réalité, c’est que la population de ces provinces ne veut pas cela.
Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois
Représentant la circonscription de Grande Prairie–Mackenzie, en Alberta, le député conservateur Chris Warkentin estime que cela fait partie de l’ADN du gouvernement Trudeau de s’immiscer dans les champs de compétences des provinces. Il ne faut donc pas s’étonner que certaines d’entre elles cherchent à tout prix à défendre leurs pouvoirs. Selon lui, la liste des provinces désirant s’affranchir d’Ottawa est sans aucun doute plus longue.
« Justin Trudeau a passé toute sa carrière politique à tenter de s’arroger de nouveaux pouvoirs aux dépens des provinces et des Canadiens en général. On dirait que cela arrive chaque fois qu’un Trudeau occupe le bureau du premier ministre », a déclaré M. Warkentin.
Avec William Leclerc, La Presse