Rendez-vous stratégique de l'Institut du Nouveau Monde

Vive la crise de la culture québécoise !

«Les gens ressentent très fortement le besoin de faire le point sur les valeurs communes», analyse l'INM

Crise de la culture québécoise ?


La culture québécoise est en crise, mais cette situation charnière offre l'occasion d'un renouveau. Pour assurer le repositionnement, il serait toutefois utile d'organiser des états généraux, afin de faire le point.
Voilà des lignes de force du Rendez-vous stratégique de l'Institut du Nouveau Monde (INM) sur la culture organisé vendredi et samedi à Montréal. La rencontre, clôturant des réunions régionales préalables, a attiré plus de 200 participants de toutes les régions du Québec.
«Les gens ressentent très fortement le besoin de faire le point sur les valeurs communes, sur ce qui nous réunit», a dit en entrevue Michel Venne, directeur général de l'INM, à la toute fin du Rendez-vous. L'Institut, fondé en 2003, a précisément pour but de participer au «renouvellement des idées et à l'animation des débats publics au Québec». Les rencontres nationales précédentes portaient sur l'économie et la santé.
M. Venne, un ancien collègue du Devoir, a lui-même préparé la synthèse des dizaines de propositions retenues par les «inémistes». Il retient trois autres traits dominants des délibérations.
D'abord, le souhait clairement exprimé de faire de la culture une grande priorité nationale, au même titre que la santé ou l'éducation.
Ensuite, l'idée de revoir les rapports entre les régions et Montréal. D'ailleurs, tout en réclamant une meilleure «vitalité culturelle sur tout le territoire», les participants ont adopté une déclaration spéciale qui s'élève «contre le clivage entre Montréal et le reste du Québec dont les médias exagèrent l'ampleur».
Le dernier élément en appelle d'un rééquilibre entre le soutien à la création et le soutien à la diffusion et à la consommation des productions artistiques, bref à un nouvel équilibre entre l'offre et la demande. «La demande, l'accessibilité, la démocratisation, peu importe le synonyme, a résumé le directeur, les gens semblent nous dire qu'il faut développer l'arrimage entre l'école et les arts, entre les publics et les créateurs.»
La crise salutaire
Cette dernière grande proposition témoigne bien de la nécessité de modifier le système mis en place depuis quatre décennies. Le sociologue et historien Gérard Bouchard, conférencier invité à clôturer le Rendez-vous, est revenu sur cette impression d'épuisement des modèles et des structures, mais dans une perspective très large.
«Ce qui ressort, c'est que le Québec est en mode de découragement et d'interrogation, a-t-il dit Certains motifs d'interrogation sont plus fondés: l'écologie, la culture de masse, la mondialisation, l'immigration, qui introduit dans des cultures autrefois homogènes des entités différentes. L'identité s'en trouve menacée.»
Le professeur Bouchard vient de publier avec Alain Roy La culture québécoise est-elle en crise? (Boréal), à partir d'une enquête réalisée auprès de quelque 140 intellectuels. Certains répondants disent clairement que la crise est aussi une période salutaire puisqu'elle est porteuse de changements. La même impression chargée d'espérance traverse les documents de synthèse de l'INM.
Pour Gérard Bouchard, certains motifs d'inquiétude de ses concitoyens s'avèrent clairement exagérés. Par exemple le rapport aux nouvelles technologies. «On se demande où est l'identité québécoise là-dedans. Il n'y a pas beaucoup de sirop d'érable. Il faut s'y habituer et laisser venir, pour voir dans 30 ou 40 ans ce qui se produira. Peut-être que de nouvelles formes et de nouveaux styles, une nouvelle identité émergeront.»
Un autre sujet exagéré à ses yeux concerne la fragmentation de la culture québécoise potentiellement destructrice des grands rêves collectifs québécois. «Je ne dis pas que ce n'est pas vrai. Mais je dis que ce n'est pas nouveau. Avant, nos sociétés étaient aussi très fragmentées: les instruits et les non -instruits, les travailleurs manuels et les non-manuels, les riches et les pauvres, les croyants et les non-croyants, des hommes et des femmes, etc. La grande différence aujourd'hui, c'est que nous vivons dans une société plus démocratisée où il est possible de s'exprimer et de prendre la parole. La démocratie vise l'identification du consensus et l'expression des différents points de vue.»
Il est également revenu sur le défi posé par l'immigration aux sociétés contemporaines. Il a alors cité le cas de l'Angleterre, qui ne s'est jamais posé de questions par rapport à ses certitudes et sa puissance pendant des siècles et des décennies jusqu'au choc brutal des attentats de Londres. «L'empire est mort et l'Angleterre doit s'intégrer à l'Union européenne, négocier avec la mondialisation et faire face à une nouvelle immigration de l'Europe de l'Est. L'Angleterre se pose des questions que nous nous posions ici il y a plusieurs décennies. Elle veut redéployer son drapeau et il s'y entend des choses que nous n'oserions plus dire ici. La France, les Pays-Bas, etc., subissent les mêmes contraintes.»
M. Bouchard, coprésident de la commission d'étude sur les accommodements raisonnables avançait sur un terrain glissant. Il a même interpellé à la blague les journalistes présents samedi à la plénière sur son devoir de réserve.
«Je crois que, pour souder toutes nos tensions, entre le civique et l'identitaire, l'homégénité et la diversité, nous pourrions travailler sur l'idée des valeurs communes, a-t-il conclu. Ces valeurs forment plus que du droit, plus que des idées universelles, plus que de la charte. C'est spécifique et rassembleur. On peut bâtir à partir de ça, bâtir non seulement un projet de société mais une sociétés de projets.»
Bref, pour l'historien et le sociologue, il faudrait que la société québécoise redevienne un mythe. Il a cité l'exemple tout proche offert par la société américaine. «Il n'y a pas de société plus diverse, plus divisée, plus en contradiction, a-t-il dit. Mais pourquoi marche-t-elle? À cause de la puissance de ses mythes nationaux, l'idée du bonheur, de la liberté, d'une foi en l'avenir. Malgré les échecs, ceux de l'égalité par exemple, l'American dream, demeure, et le meilleur semble toujours à venir aux États-Unis.»
Le Québec a rêvé de manière moderne à partir des années 1960. La nation y a même constitué une sorte de méta-mythe, matrice de tous les autres. «Ces mythes ont été vidés de leur pouvoir collectif, a conclu le spectateur engagé. Mais je crois qu'inventer des mythes dans une société est une chose fondamentale et nécessaire.»
Le Rendez-vous se terminait justement sur l'expression de souhaits collectifs. La synthèse très fleur bleue présentée sous le titre Exprimons nos rêves imagine «une verte maison à aire ouverte remplie d'enfants de toutes les couleurs; une maison longue où les Québécois de toutes origines sont de vrais Québécois; une maison longue accueillante, chaleureuse»...
L'INM s'engage à faire circuler ses propositions. Un livre sur toute la démarche de réflexion sera publié. Le prochain Rendez-vous pourrait porter sur l'éducation.


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