Edward Snowden, l’espion qui vous voulait du bien

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Le véritable scandale, ce n'est pas que les États-Unis espionnent la planète, mais bien qu'un simple employé de la NSA soit parvenu à dévoiler le système d'espionnage américain à lui seul

La situation ne manque toujours pas d’ironie. Edward Snowden, informaticien surdoué, travaillant au centre de contrôle de l’Agence nationale de sécurité (NSA) à Hawaï (baptisé le « Tunnel »), devait trouver le moyen d’en faire sortir des masses de documents sur la surveillance de masse. Alors, comment voler un voleur ? Comment espionner une machine à espionner ?

Le lanceur d’alerte le plus célèbre du monde (avec Julian Assange) dévoile ses trucs dans Mémoires vives (Seuil), livre de propos et de confidences lancé jeudi en librairie. Son poste et ses compétences l’autorisaient à lire les données des systèmes sophistiqués de surveillance planétaire aux noms attirants pour des geeks, du genre « Cavalier de nuit » (Midnightrider). Ces informations triées ont ensuite été transférées sur de vieux PC. Quand un patron lui a demandé pourquoi il avait besoin de ces « antiquités », il a tout simplement répondu qu’il s’en servait « pour voler des secrets », et tous les deux ont rigolé.

 

Edward Snowden ne donne pas les détails de l’étape d’encryptage, mais il révèle sa technologie de stockage. Comme il était hors de question de passer les contrôles de sécurité blindés avec un téléphone, une clé USB ou un disque mémoire (tous interdits), l’informaticien filou a simplement utilisé des minicartes SD (Secure Digital) comme celles employées dans les appareils photo.

« Les cartes SD ont la taille de l’ongle de votre petit doigt et sont éminemment dissimulables, écrit-il. On peut par exemple en fixer une à l’intérieur d’un cube Rubik avant de le remettre en place et personne ne verra rien. Il m’est aussi arrivé de dissimuler une carte dans l’une de mes chaussettes et, lors de mon pic de paranoïa, dans ma joue, afin de pouvoir l’avaler si nécessaire. À la fin, quand j’ai eu suffisamment confiance dans mes méthodes de cryptage, je me suis contenté de garder la carte au fond de ma poche. »

Un frigo intelligent

On dit que même un petit trou peut venir à bout d’un grand navire. Les minuscules cartes ont permis en 2013 de confier aux médias la plus importante fuite de documents de l’histoire. La manne a révélé l’ampleur planétaire des programmes de surveillance des services de renseignement américains. Même les dirigeants alliés étaient sur écoute.

Dans une scène digne de Black Mirror, Edward Snowden raconte sa stupéfaction (« Je suis resté baba ») à la découverte d’un frigo intelligent (smart fridge) dans un grand magasin. « À quoi bon me mettre dans tous mes états concernant la surveillance exercée par le pouvoir si mes amis, mes voisins et mes concitoyens ne demandaient qu’à inviter les grosses sociétés à les épier chez eux et leur permettaient de regarder aussi efficacement dans leurs placards que s’ils naviguaient sur Internet ? »

En faisant mes révélations à la presse, je voulais que ce système soit connu, que son existence devienne un fait que mon pays, comme le reste du monde, ne pouvait plus ignorer

Il y a en vérité bien plus en jeu que la surveillance. Dans le huitième chapitre intitulé « 12 septembre », le lanceur d’alerte rappelle les conséquences des 3000 morts des attentats du 11 septembre 2001 puisque, dès ce lendemain désenchanté, les Américains ont glissé vers une volonté de surveiller mais aussi de punir.

« La réplique des États-Unis a causé la mort de plus d’un million de personnes, écrit-il en référence à l’embrassement du Moyen-Orient. Les deux décennies qui ont suivi ont égrené une litanie de destructions occasionnées par les Américains, qui se sont évertués à détruire leur propre pays en adoptant des lois et des politiques secrètes, en mettant sur pied des tribunaux secrets, en menant des guerres secrètes aux conséquences tragiques et dont l’existence a été maintes fois classifiée, niée, démentie et déformée par le gouvernement américain. »

Citizen Snowden

Le livre de souvenirs raconte comment lui-même est passé du côté sombre de la force (et vice-versa). Le canevas général cherche à faire comprendre le chemin parcouru pour expliquer comment lui, l’espion dévoué, a pu virer capot.

« Un lanceur d’alerte, selon moi, est une personne qui est parvenue, à la dure, à la conclusion que sa vie à l’intérieur d’une institution est devenue incompatible avec les principes de la société à laquelle il appartient, ainsi qu’avec la loyauté due à cette société, à laquelle l’institution doit des comptes, note-t-il. Cette personne sait qu’elle ne peut pas rester à l’intérieur de l’institution et que cette dernière ne peut pas être ou ne sera pas démantelée. Il s’agit là d’une description exacte de ma situation, à un détail près : toutes les informations que j’ai eu l’intention de divulguer étaient classées top secret. »

Edward Snowden, né en 1983 en Caroline du Nord, parle de son enfance au sein d’une famille typiquement patriotique, avec un grand-père de la police fédérale (FBI), son père garde-côte, sa mère employée par la NSA et son propre engagement dans l’armée. Il raconte sa découverte de l’informatique, du Web, des jeux vidéo, surtout du bon vieux Super Mario Bros., qui lui a appris que la vie se déroule irrémédiablement « par en avant » et qu’il faut bien mourir un jour. Il fournit de nombreuses explications techniques éclairantes sur son monde informatique.

La conscience seule

Une fois le coulage massif réalisé, une fois réfugié en Russie (il y vit dans un petit deux pièces avec sa femme venue le rejoindre), le lanceur d’alerte est évidemment devenu le cauchemar du gouvernement Obama doublé d’un traître à sa patrie. Ces Mémoires vives ne changeront pas l’opinion de celles et ceux qui le perçoivent encore ainsi malgré les efforts explicatifs et les justifications fournies par le principal intéressé, notamment quand il cite la Constitution des États-Unis. Le 4e amendement protège les individus et leurs biens de la surveillance du gouvernement depuis deux siècles.

« Comme, par définition, la surveillance de masse est une présence continue dans notre vie quotidienne, j’ai voulu rendre tout aussi constamment présents les dangers qu’elle nous fait courir et les dommages qu’elle a déjà provoqués, écrit-il. En faisant mes révélations à la presse, je voulais que ce système soit connu, que son existence devienne un fait que mon pays comme le reste du monde ne pouvaient plus ignorer. Depuis 2013, la prise de conscience s’est développée. Elle s’est élargie et est devenue plus subtile. Mais à l’époque des réseaux sociaux, nous devons toujours garder ceci à l’esprit : la conscience seule ne sera jamais suffisante. »


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