GÉRARD BOUCHARD

Les effets d'une grande mutation

Gérard Bouchard lance son livre La culture québécoise est-elle en crise ?, un ouvrage amorcé bien avant l’annonce des élections.

Crise de la culture québécoise ?


Manon Guilbert - Le hasard a parfois un sens effarant du synchronisme. Alors que le sujet de la culture semble absent de la présente campagne électorale, Gérard Bouchard lance son livre La culture québécoise est-elle en crise ?, un ouvrage amorcé bien avant l’annonce de ces élections.
«C’est un thème qui n’est jamais prévu dans les campagnes, dit-il. La culture fait plus partie du quotidien et dans l’esprit, c’est davantage l’affaire des intellectuels. Pourtant, ça inclut plus que ça. La culture est la somme de nos valeurs, de nos références. Elles donnent ensemble une orientation à notre société. Les intellectuels y contribuent.»
Gérard Bouchard refuse d’affirmer que la culture québécoise est en crise. À partir d’une enquête menée en collaboration avec Alain Roy, il constate que malgré le pessimisme ambiant, nos institutions fonctionnent toujours, et le taux de criminalité est moitié moins élevé qu’au Canada anglais. Si notre culture était en crise, les bases mêmes de notre système seraient chambranlantes. On en verrait nécessairement les conséquences.
L’ORDRE RASSURANT
«Nous vivons, dit-il, dans une société ordonnée. On ne voit pas le désordre qu’aurait provoqué une crise culturelle.» Pourtant, Gérard Bouchard avait eu la puce à l’oreille en s’attardant à l’humeur des intellectuels québécois. Eux qui ont la fonction de relancer l’avenir fournissent une donnée importante quant à l’état de notre culture.
Il a donc entrepris, en collaboration avec AlainRoy, de sonder quelque 141 intellectuels choisis dans tous les domaines importants de la société, âges et sexes confondus.
Gérard Bouchard a été peu surpris qu’on soit pessimiste chez une majorité d’entre eux. Mais son étonnement est plus grand que sa surprise devant le fatalisme de plusieurs. L’idée générale que la culture québécoise soit dans un cul-de-sac et qu’il n’est plus possible de remédier à la situation l’a ébranlé.
«C’est là qu’on peut s’inquiéter, prévient- il. On a besoin de nos intellectuels. Je n’aime pas les contextes de crise. C’est un problème important. C’est le travail des intellectuels de relancer les débats. Mais il y a chez eux une forme de démission.»
PROFONDE MUTATION
«Il est vrai, admet-il par ailleurs, que les problèmes ne sont pas spécifiques à la singularité du Québec. Tout ça se fait sentir partout en Occident. Mais il reste que nous sommes remis en question dans notre identité collective. De Canadiens français nous sommes devenus des Québécois et depuis, la migration a changé cette donne.»
«Nous sommes à négocier des accommodements raisonnables. La migration a transformé le portrait. La majorité se sent menacée par la minorité. Encore une fois, le nous est à construire. Nous devons accepter le pluralisme religieux dans une société qui se dit laïque. En moins de 50 ans, la société a été transformée de fond en comble.»
Tout ça amène les Québécois à se questionner sur leur identité. Les intellectuels que Gérard Bouchard a interrogés se sont penchés sur le sujet.
«Les intellectuels ne sont, par définition, jamais d’accord. Plusieurs s’accordent à direque la littérature et l’édition, par exemple, vivent un âge d’or, alors que d’autres avancent les arguments du contraire. Cette fragmentation fournit les matériaux pour donner les bonnes réponses.
Elles servent à réorienter les travaux.» Gérard Bouchard rejette le concept de crise et repousse le diagnostic. La culture, selon ses observations, s’accorde au dynamisme populaire. Depuis 10 ans, quelque 1,500 coopératives ont été créées. Cet exemple lui permet de croire que la culture ne risque pas de tomber dans l’apathie. Il existe des signes très probants du dynamisme de la culture populaire qui tient compte des changements.
«Notre classe d’intellectuels est-elle devenue blasée? On peut se poser la question, souligne le sociologue. Nous vivons une période de transition importante où les réflexes judéo-chrétiens se défont. On ne vit plus chez les jeunes dans le cycle faute, expiation et besoin de salut et de pardon. Les jeunes ne sont plus écrasés par le sentiment de la faute. Tout ça est sans précédent. Il est normal que nous ayons le vertige.»

LA PEUR DU CHANGEMENT
L’explosion de l’image, l’Internet qui provoque des inquiétudes tout aussi grandes que l’imprimerie à ses débuts, la valorisation du corps au détriment de l’esprit, tous les archétypes ont été inversés.
On vit, au Québec, les effets d’une grande mutation. Avec La culture québécoise est-elle en crise? Gérard Bouchard fournit un outil pour alimenter les débats sur la société québécoise, qui vient d’embarquer sur une nouvelle vague où les intellectuels n’ont plus le monopole de la pensée et deviennent de plus en plus les marginaux sur une scène où les acteurs sont les chroniqueurs de tout acabit.


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