Vers des révisions déchirantes en Europe

Chronique de José Fontaine

La question est posée. On a le sentiment que plus rien ne pourra arrêter la disqualification des Etats qui se mesure à leur incapacité de rembourser leurs dettes. Etant bien entendu que ces Etats ont renfloué et fait vivre depuis des décennies le système financier qui les accule aujourd'hui à la faillite. Une fois n'est pas coutume, je vais relire un article fort ancien de la revue TOUDI paru en 1989.
Je m'inspire ici d'un article de Pascal Zambra L'Europe comme mystification paru dans la revue annuelle TOUDI en 1989, pp. 41-45.
Des nations qui ne savent plus quoi faire d'elles-mêmes
Voilà comment Pascal Zambra présentait le projet européen en 1989 : «Ces nations ne savent plus que faire de leurs citoyen(ne)s. Elles ne savent plus si elles se fondent encore sur le droit au travail ou s'il faut supprimer ce droit. Alors, il reste, au-delà de l'horizon, cet Eden à portée de la main dans lequel on projettera tout, un paradis sans cesse élargi dans son territoire, approfondi dans sa logique économiste et libérale.»
Il ajoutait que le création de cette Europe comme Etat qui «devait apparaître comme un projet de société prend les allures d'un saut dans l'inconnu.»
Néolibéralisme
Dès l'époque où cet article a été écrit, on percevait cette Europe comme l'émergence d'une véritable société en fait comme« la libre circulation des hommes et des choses» qui en serait «le principal moteur». Mais cela partait aussi de l'idée que l'Etat est distinct de la société civile comme une chose ou comme une substance. Alors que l'Etat est le produit du conflit entre les classes avec «la prise en charge de l'entretien de la force de travail par le biais du développement des équipements collectifs, les salaires indirects». Il est de même« la reconnaissance du pouvoir syndical et de la classe ouvrière» et aussi« l'organisation des masses par en-haut». Somme toute à partir desannées 30, on a assisté à « la déchéance de l'Etat libéral et du libre-échange» qui permettront« l'élargissement des politiques économiques des Etats-Nations et de leurs politiques sociales.» De cet Etat, les classes dominantes sont participantes mais aussi les classes dominées car elles «parviennent à instituer les acquis de leurs luttes».
L'Europe comme Etat n'existe pas
L'Europe au contraire est un Etat (supposé!), où les classes dominées ne sont plus parties prenantes, comme elles l'étaient dans les Etats-nations. Certes, les Etats européens, écrivait encore Pasacal Zambra en 1989, sont des Etats qui ont en gros la même politique économique et sociale avec des «accords conflictuels» entre Etat, patronat et syndicat. Mais ces accords ne sont pas transposés au niveau européen. Et au sein des Etats-nations eux-mêmes, on s'interroge sur le sens des compromis à passer dans cette ligne. Pascal Zambra concluait : « Ces nations ne savent même plus quels compromis passer en leur sein. Or elles se précipitent dans le vide d'une "Europe" où les inégalités sociales (ouvriers portugais et ouvriers allemands par exemple), et économiques (la Calabre est sept fois plus pauvre qu'Hambourg), sont si énormes que les compromis défaillants au niveau national, apparaissent comme impensables au sein de la CEE pour l'instant.»
Somme toute, l'Europe n'est pas partie des conditions concrètes des compromis économiques et sociaux à réaliser. Et l'actuel système financier met les Etats à sa botte, supprimant de plus en plus leur souveraineté. Certes, l'on peut s'interroger sur le sens de la souveraineté nationale aujourd'hui, on peut penser qu'elle est à définir autrement dans un contexte international très différent des années 30 et même 60, mais ce contexte ne peut pas être celui de ce que l'on appelle «les marchés» qui ne sont qu'une foire d'empoigne entre joueurs de casino.
Et la démocratie?
Le philosophe bruxellois Jérôme Grynpas, pourtant clairement partisan de l'Europe, écrivait en 1967 «Il n'est pas évident du tout qu'un développement dans le sens de la supranationalité et, à plus lointaine échéance, de la " mondialisation " de l'institution étatique soit pour l'heure tellement souhaitable. En effet, si le mode de vie démocratique ne trouve pas, entre-temps, le moyen de se revigorer, les super-États qui naîtraient accroîtraient encore les vices actuels de la vie politique. Ces nations-continents (ou cette nation-planète) seraient gouvernés par des équipes totalement soustraites au contrôle démocratique et protégés par la complexité encore plus terrifiante de ses rouages. D'une façon plus générale, on peut se demander si une universalisation qui aurait éliminé toute confrontation, toute émulation ne supprimerait pas, ipso facto, la dynamique même du progrès tant moral que matériel. Quand on parle de confrontation, il ne faut pas traduire cela par guerre. Quand on rejette - du moins dans l'état présent des choses - l'idée de mations-continents ou de nation-planète, cela ne signifie nullement le retour aux vieux antagonismes nationaux. On se contente de croire, pour les raisons exposées plus haut, que la dynamique du progrès sera mieux préservée si coexistent des entités nationales dont la diversité laissera libre cours à plus d'expériences, tout en limitant chaque fois ce qu'elles auraient d'excessif si elles avaient de trop vastes espaces pour s'implanter.» ( Jérôme Grynpas, La philosophie, Marabout, Verviers, 1997, p. 287.).
A cette leçon qui est aussi la sienne, le philosophe Jean-Marc Ferry en rappelait une autre à la revue TOUDI encore en 1992, à la veille de la ratification du Traité de Maastricht qui entre autres choses institua une Banque centrale européenne indépendante des Etats. JM Ferry s'exprimait de cette façon:
«Dans le système actuel, des banques centrales vont avoir un rôle disciplinaire très important pour faire respecter les équilibres, pas seulement sur les taux de change mais aussi les coûts salariaux, les prix, l'équilibre de la balance des paiements courants. Ce pouvoir de discipline repose sur des base doctrinales monétaristes qui font aussi la religion du FMI lequel impose aux pays endettés du tiers-monde des politiques de "vérité", d'austérité. Pour nos pays encore relativement confortables passe encore, mais il est étrange de demander à des gens au seuil de la pauvreté de produire des efforts pour rétablir l'équilibre...» ( Europe, démocraties, nations in République n° 4 septembre 1992)
Des mesures d'austérité qui vont accroître les problèmes
Aujourd'hui, ces pays certes toujours confortables, il ne faut pas le nier, sont soumis à la même politique aveugle et irresponsable car même les économistes classés à droite se rendent comte que la manière dont on demande à la Grèce de «rétablir les équilibres» entraîne une telle austérité que celle-ci rend impossible la croissance et donc impossible aussi le remboursement de la dette publique au nom de laquelle on contraint les Grecs à se serrer la ceinture. Il est possible que des événements prochains viendront confirmer peut-être relativement vite la faillite du néolibéralisme au plan européen. A moins disent certains, que la Banque centrale européenne se décide à prêter aussi généreusement aux Etats qu'elle ne le consent aux banques, ce qui est vraiment le comble du nélibéralisme (voir Le Monde diplomatique de ce mois).

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    12 novembre 2011


    L' article de Pascal Zambra date de 1989,année charnière par excellence puisqu' elle vit la fin du communisme en Europe ( et donc de la toute puissance de l' Etat, l' effondrement des économies planifiées ety surtot nos retrouvailles avec les pays frères d' Europe centrale et de l' est qui désiraient ardemment nous rejoindre. L' Union Européenne, en raison principaleme,t du jeu "personnel" de ses membres n' a pas été capable de faire face à la situation à laquelle l' émergence des nouvelles puissances industrielles est venue s'ajouter. Maintenant, on se demande s'il y a encore un pilote dans l' avionet s'il réussira un atterrisage sans trop de casse.