Vers des Etats-Généraux de Wallonie

Chronique de José Fontaine

Des Etats-Généraux de Wallonie auront lieu le 9 mai prochain à Liège. Ils sont convoqués par des militants en majorité partisans de la réunion à la France dont l'animateur principal est Jules Gheude, ancien collaborateur du ministre François Perin. Celui-ci a joué un rôle capital dans la réforme de l'Etat belge de 1970 à 1980, réforme qui fit de cet Etat unitaire d'avant 1970, un Etat fédéral avec de nombreux traits de confédéralisme, notamment parce que toute hiérarchie des normes en est exclue et l'exclusivité des compétences y est entière (il n'y a pas de «pouvoir de dépenser» qui la contourne sournoisement), au point de se prolonger sur la scène internationale. Jules Gheude est le Directeur du Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française. C'est lui qui est à l'origine d'un dossier très bien documenté (encore qu'il ait des aspects de compilation qui rend sa lecture difficile) sur trois options possibles (discutées dans des commissions): indépendance de la Wallonie, fédération Wallonie-Bruxelles indépendante, réunion à la France. A cause de sondages favorables à l'option réunion à la France durant l'été (mais cette seule option était proposée aux Wallons, alors que d'autres sont toujours proposées dans pareille enquête), obtenant près de 50 % de réponses favorables de l'opinion publique, les initiatives de Jules Gheude et de ses amis rencontrent un succès médiatique certain. Et peut-être plus que cela.
Les Etats-Généraux (EG) un fantasme militant wallon
Les Etats-Généraux sont une sorte de fantasme de l'histoire militante wallonne, beaucoup de militants wallons ayant rêvé d'en réunir au moment de la Libération de l'envahisseur nazi en septembre 1944. Le terme fait allusion aux débuts de la Révolution française et est sans doute utilisé car il peut suggérer qu'on va vers quelque chose de radical, mais sans entraîner des désordres. En outre, il est utilisé pour des mouvements, organismes, activités qui veulent réfléchir globalement et se transformer ou s'améliorer. Historiquement, il a été réellement question de la réunion des Etats généraux de Wallonie à la fin du mois de juillet 1950 parce que, malgré l'intensité du rejet du retour du roi Léopold III en Belgique le 22 juillet 1950 par le peuple wallon, le monarque ne se décidait pas à abdiquer. La décision de réunir les Etats-Généraux a été quasiment prise, mais non- appliquée, le roi finissant par se retirer en vue d'une abdication qui intervint quelques mois plus tard. Elle aurait peut-être conduit à la sécession de la Wallonie (1). A l'époque, la réunion des Etats-Généraux supposait la convocation des élus (conseillers des provinces [départements], des communes, des députés et sénateurs nationaux, des bourgmestres, des grandes forces sociales organisées, patrons, syndicats, indépendants, paysans).
La réunion des EG du 9 mai prochain
Le 9 mai prochain il s'agira surtout de militants dont une majorité de partisans de la réunion à la France.
Les militants des Etats-Généraux ne sont pas tous du parti de Paul-Henry Gendebien, le Rassemblement Wallonie-France qui obtient à chaque élection 1% des voix, mais dont le potentiel d'influence est sans doute plus large. Les militants du Mouvement du Manifeste wallon (MMW) n'ont pas été, au départ, invités à collaborer à cette réunion des EG . Ils le sont à présent, mais ils réservent leur réponse. Les militants du MMW travaillent surtout à préparer des dossiers demandant le transfert des compétences de la Communauté française aux Régions bruxelloise et wallonne. Ils le font avec des représentants du monde politique, syndical et économique. Ce qu'ils envisagent ce sont des solutions dans un cadre belge et, au moins, dans le cadre d'une Sécurité sociale belge maintenue, même, à la limite, en cas de réduction de cet Etat belge à une coquille vide. Leur radicalité va jusqu'au confédéralisme, mais pas plus loin, ce qui semble réaliste dans la mesure où il est évident que la Flandre ne peut se séparer de la Belgique qu'en gardant Bruxelles, ce qui est politiquement et juridiquement impossible, l'immense majorité des élus (régionaux, communaux, fédéraux), le gouvernement bruxellois (y compris ses membres flamands), la population bruxelloise elle-même, les flux économiques et sociaux entre Bruxelles, la Flandre et la Wallonie ne rendant pas cette solution très faisable. Un mouvement régionaliste bruxellois est d'ailleurs né en décembre 2006 qui bénéficie de l'appui d'une grande partie des élites locales, tant francophones ou wallonnes que flamandes. Les EG ne comptent pas inviter non plus les régionalistes bruxellois alors que l'une des trois options les concerne (une fédération Wallonie-Bruxelles).
Les trois options des EG
Les EG proposent en effet trois possibilités: l'indépendance de la Wallonie, l'indépendance de la Wallonie mais dans une fédération avec la Région bruxelloise, la réunion à la France. Si je suis bien informé, une partie des inspirateurs de la troisième solution voudraient qu'un vote intervienne en faveur de cette troisième solution, à la fin des EG, qui aurait dès lors force de loi pour tous les militants wallons ou renforcerait cette position.
En octobre 1945, un Congrès national wallon (avec lui aussi un grand succès médiatique), avait été convoqué et, dans un premier temps, c'est l'option en faveur de la France qui rassembla le plus de suffrages (46% contre 40% pour le fédéralisme et 14% pour l'indépendance - j'arrondis chaque pourcentage en laissant tomber la poussière de voix qui soutinrent une solution belge, prévoyant seulement une parité au sein du Sénat belge entre Wallons et Flamands). Mais il faut dire que la seule option qui ait été développée depuis est la solution fédéraliste ou confédéraliste, lentement appliquée au départ certes (immobilisme complet de 1945 à 1970, avancées quasi nulles de 1970 à 1980). Mais après 1980 et surtout 1988, plus de 50% des compétences étatiques belges furent transférés aux Etats fédérés qui n'existaient pas encore vraiment il y a 30 ans, l'Etat fédéral subissant une vraie hémorragie qui se poursuit. Ce qui a changé complètement le problème belge dans la mesure où l'existence de trois parlements et gouvernements régionaux souverains (Bruxelles, Wallonie, Flandre), ne permet pas de poser la question comme si c'était soit la Belgique, soit autre chose. Or tout ce que je lis dans la presse internationale ne tient aucun compte de cette dimension institutionnelle incontournable. Peut-être parce que, pour les Français (et certains Wallons aussi!), le fédéralisme est une énigme?
L'influence de ces militants
Quelle peut être l'influence de ces militants? Il faut observer que la militance wallonne a semblé s'éteindre à la fin de la décennie de ce premier siècle. On a même parlé dans une revue comme La revue nouvelle, d'un mouvement wallon «cliniquement mort» (début 2008). Les partis politiques wallons et francophones et les nostalgiques de l'unité belge occupaient tout l'espace.
Ce n'est plus vrai. Le MMW a démontré qu'il pouvait encore mobiliser des groupes nombreux et les EG ont abattu un travail considérable.
Seront-ils cependant capables de trouver des formes d'association où ils puissent s'accorder de telle façon que leurs positions plus réfléchies et plus radicales se fassent entendre de l'opinion publique et par ricochet des leaders politiques? Même si ce sont des positions contradictoires? C'est bien ainsi qu'agissent toujours des militants, à la fois dans une certaine marginalité qui les affaiblit, mais aussi avec la crédibilité forte que leur éloignement des appareils leur confère. Et d'ailleurs si des militants ne pouvaient agir, même comme cela en l'absence de moyens lourds, c'en serait fini de la démocratie. Voilà pourquoi je souhaite que les militants wallons s'accordent et se regroupent, sans se fixer des options trop claires qui ne satisferaient qu'une partie d'entre eux. Sans militant, il n'y a pas de vie démocratique dans un pays même s'ils sont souvent les dindons de la farce des entreprises politique.
José Fontaine
(1) Voir l'article Gouvernement wallon séparatiste sur Wikipédia ou chercher épée d'un peuple sur le site larevuetoudi.org

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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5 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    15 mars 2009

    Convaincu de la bonne foi de Claude Thayse, je dois dire, parce que c'est vrai, que plusieurs des personnes qui organisent ces Etats-Généraux m'ont dit ce qui est écrit ici. Des membres d'au moins deux des trois commissions. Je souhaite le succès des EG mais il me semble que je devais donner ces informations pour que chacun sache où il va. Un débat peut d'ailleurs s'organiser à ce sujet notamment sur le Forum de TOUDI.
    Il est possible (mais cela doit être confirmé) que (le hasard faisant bien les choses), il y ait une voix québécoise dans l'assemblée.

  • Archives de Vigile Répondre

    15 mars 2009

    Claude est très clair il me semble. Maintenant, c'est sûr et certain qu'au moins trois des quatre signataires de cet appel sont rattachistes, que la commission pour le rattachement avait le plus de membres et a fourni le rapport le plus élaboré. Faut-il comprendre par là que la messe est dite ? Je ne pense pas. Ce qu'il faut à mon avis, c'est montrer que le Mouvement wallon n'a pas viré complètement rattachiste, et qu'il y a des partisans de l'indépendance de la Wallonie. Je comprends que les membres du MMW soient plus autonomistes qu'indépendantistes, mais il faut également se rendre compte que la Belgique n'existera bientôt plus, et que l'autonomie wallonne deviendra alors de facto l'indépendance. Épargnons-nous une étape, le MMW doit être encore plus radical et participer aux ÉGW.

  • Archives de Vigile Répondre

    14 mars 2009

    Il n'est absolument pas (et n'a jamais été) prévu de faire un choix en faveur de l'une ou l'autre option.
    Cette initiative citoyenne, antérieure à la réunion du 29 février 2008 du Mouvement du Manifeste wallon a essentiellement pour objectif de sortir de la pensée unique ou des propos de "café du commerce" en établissant des dossiers les plus complets possibles présentant les avantages, intérêts et inconvénients des choix d'avenir possibles pour les Wallons. "Instruire à charge et à décharge" et rien d'autre !
    Certainement pas de faire de la publicité pour l'un ou l'autre
    parti politique.
    Les invitations ont été adressées aux citoyens par voie de presse et à aucun "organisme constitué". Les participants aux différentes commissions de préparation des dossiers y ont participé en leur nom personnel.
    C'est aussi la grande originlité de cette démarche qui s'est faite dans le respect des différentes opinions et en dehors de toute influence partisane.
    C. Thayse, signataire de l'appel à la réunion d'Etats généraux de la Wallonie.

  • José Fontaine Répondre

    14 mars 2009

    C'est évident. Il me semblerait même que l'on ne devrait pas prendre une option, mais tenter de trouver un accord de telle façon que le mouvement wallon demeure uni. Cela me semble plus rationnel parce que l'on sait très bien que, de toute façon, la réunion à la France ne va pas se faire dans les 48 h. (et moi-même je ne la souhaite pas). Alors que la Wallonie, déjà souveraine (mais pas assez), a besoin de notre engagement. Un mouvement wallon - c'est-à-dire quelques milliers de gens qui se rassemblent discutent, écrivent, revendiquent et pensent -, ça, on en a besoin immédiatement!
    Il y a d'ailleurs de nombreux réunionistes qui, au minimum, veulent que la Wallonie garde sa spécificité en France où toutes les sortes d'autonomie ne sont pas possibles juridiquement (et politiquement). Par exemple, le régime autonome dont jouit la Wallonie avec l'égalité des normes entre l'Etat central et les entités fédérées, la capacité de signer des traités, l'exclusivité absolue des compétences est bien supérieure à toutes les autonomies des DOM/TOM, cent fois supérieure à l'autonomie de la Corse etc.
    Pourquoi faudrait-il s'en priver? Il est vrai que dans ce cas, ne demeure que l'association à la République française. Mais, contrairement à ce que toute la presse internationale raconte, il n'y a pas que la fin de la Belgique qui pose problème, il y a aussi l'existence de la Wallonie, car elle existe déjà sur le plan international. Je ne me résoudrai jamais d'un coeur léger à ce que l'on mette en cause si peu que ce soit de la souveraineté wallonne. Ce chantier est en route depuis 30 ans. La "maison" est debout, le toit est fait, portes et fenêtres sont placées, des pièces sont déjà habitables et habitées et il faudrait tout démolir, déménager notre volonté et notre âme qui habitent cette "maison" pour aller ailleurs. On aurait donc travaillé à la "maison" pour ensuite da démolir. Qu'on nous laisse tout de même un peu de temps pour réfléchir; beaucoup de temps même.
    Quant à créer des liens forts avec la maison "France" d'en face, évidemment qu'il le faut.
    JF

  • Archives de Vigile Répondre

    14 mars 2009

    Il faut une participation en masse de Wallons souverainistes pour rééquilibrer la balance qui penche trop souvent vers le rattachisme.