Le FDF, une arrogance à la Trudeau

Chronique de José Fontaine

Il s'est passé quelque chose d'assez étonnant en politique belge le week-end dernier. Le vice-premier ministre fédéral Didier Reynders a réussi, aux élections de 2007, pour la première fois depuis l'instauration du suffrage universel en Belgique, à dépasser en voix le Parti socialiste en Wallonie. Avec son parti , le MR (héritier des libéraux de jadis), qu'il préside. La prépondérance socialiste en Wallonie s'explique par le caractère profondément industriel et ouvrier de la Wallonie. Le 21 février dernier, Reynders fait accepter par ses troupes parlementaires l'entrée au parti de Rudy Aernoudt, populiste flamand très néolibéral, à la limite du populisme le plus trouble (et le plus simpliste, même si Aernoudt semble intelligent). Il compte sur sa popularité pour élargir sa victoire sur les socialistes wallons aux prochaines élections régionales en Wallonie (Aernoudt les attaque quotidiennement). Le 23 février, le président du FDF, parti de défense des francophones implanté exclusivement à Bruxelles, menace alors de quitter le MR, notamment parce qu'Aernoudt refuse l'une des marottes du FDF (son fonds de commerce électoral), soit l'élargissement de la région de Bruxelles aux communes de fait francophones de la périphérie bruxelloise, mais intégrées en Flandre. Ce que, personnellement, je ne considère pas comme un enjeu wallon véritable, ni bruxellois, ni francophone.
La force du FDF
Le MR, aux dernières élections législatives a emporté 17 sièges en Wallonie et 6 à Bruxelles dont un seulement peut être considéré comme FDF. Mais ce parti, qui a gardé sa pleine autonomie au sein du MR depuis qu'il l'a rejoint en 1993, est fortement implanté régionalement à Bruxelles. Il participe à 13 majorités sur les 19 communes bruxelloises. Cinq des 19 bourgmestres de ces communes sont FDF (les plus riches et parfois les plus peuplées). Sur les 72 sièges francophones du Parlement bruxellois, le MR en occupe 24 dont 8 FDF. Enfin, un ministre fédéral est FDF dans le cadre de la coalition du MR avec le PS, le CDH, et des partis flamands au gouvernement fédéral belge. En termes de rapport de force, on voit bien que le FDF, même limité à Bruxelles, est une machine politique si puissante qu'il pouvait faire perdre bien des sièges et des voix à Bruxelles au MR. Un MR qui ne suit pas nécessairement le FDF dans son radicalisme linguistique antiflamand, mais qui vient de se faire durement contrer. A un tel point que ce camouflet important risque de briser le rêve de Didier Reynders de supplanter les socialistes en Wallonie.
Le discours à la Trudeau du FDF
Le FDF a sans doute rejeté aussi Aernoudt parce que ce Flamand populiste était trop à droite pour ce parti qui, bien qu'intégré au MR, parti de centre-droite, voire même centriste, garde aussi de ce point de vue son autonomie. Le FDF a été fondé en 1964 en réaction aux prétentions flamandes sur Bruxelles qu'aucun Wallon ni Bruxellois n'auraient acceptées à l'époque (refaire de Bruxelles une ville flamande). Dans Au nom de la Wallonie et de Bruxelles français (Complexe, Bruxelles 2004), l'historienne bruxelloise Chantal Kesteloot explique bien de quoi ce parti est surgi. De la réunion d'une vieille couche sociale bruxelloise francisée depuis longtemps ou depuis peu, panbelge (comme Gagnon la caractérise, voyez ma chronique de la semaine passée: antiflamande par conséquent), et des « immigrés» wallons à Bruxelles. Ces deux groupes n'ont jamais eu la même visée, le premier ne s'inscrivant pas dans une perspective wallonne autonomiste, mais dans la perspective d'une idéologie belge francophone qui, à peu de choses près, considère que le le fait français de Belgique est culturellement assimilable à la France, le second étant wallon avant tout. Le FDF n'est pas nécessairement partisan de la réunion de la Wallonie et de Bruxelles à la France (encore que j'ai connu bien de leurs leaders qui l'étaient et que c'est bien l'arrière-pensée d'Olivier Maingain: je me souviens l'avoir entendu exprimer cette idée lors de la réception organisée à la sortie du livre Dictionnaire des Bruxellois il y a quelques années). Mais son idéologie ne laisse en réalité aucune place ni à un projet culturel wallon spécifique, ni à un projet politique wallon spécifique. Même si certains députés régionaux bruxellois sont plus proches des régionalistes bruxellois (un groupe d'intellectuels tant francophones que flamands de Bruxelles), avec lesquels les intellectuels wallons sont foncièrement d'accord. C'est un des paradoxes idéologiques et politiques du FDF d'être à la fois un parti très influent de la capitale d'un Etat-nation et d'être aussi un parti autonomiste non pas antibelge, mais antiflamand. Ce sont ces deux caractéristiques qui lui donnent un poids considérable. Parti régional bruxellois, mais, autre paradoxe, non régionaliste (sauf exceptions comme Didier Gosuin, personnalité de poids, bourgmestre d'Auderghem), le FDF s'est toujours cherché des alliés en Wallonie. Dans les années 60 et 70, cela a été le Rassemblement wallon qu'il a contraint à une alliance dont celui-ci ne voulait pas étant donné l'idéologie antiwallonne (dans les faits) du FDF, et qui s'en est retrouvé brisé, divisé, qui en est quasiment mort.
L'inacceptable dans le discours du FDF
Ce qu'il y a d'inacceptable dans le discours du FDF c'est qu'il s'accapare le discours français des droits de l'homme, de l'universalisme des Lumières en vue d'habiller de «correction» son projet politique antiflamand et antiwallon, projet qui est simplement la resucée de la Belgique française de 1830 qui se voulait alors un copié-collé de la France. Mon ami Arvi Sepp, Flamand modéré et d'ailleurs peu engagé politiquement, se demande si le discours politique du FDF n'est pas «une parodie très cohérente, moralisatrice et manichéenne, ethnicisée de la pensée humaniste des Lumières» (TOUDI, n° 17, avril 99, p. 16). Je pense que oui. Même si le FDF en quête d'appuis en Wallonie ménage les régionalistes wallons, même si certains FDF sont tout de même des régionalistes bruxellois. J'ai eu encore l'occasion de le vérifier deux fois, hors de Belgique: à Sète en 2005 et à Québec en 2008, lors de la Conférence des peuples de langue française. Sur ce terrain négligé par les hommes politiques wallons d'envergure, le président du FDF a réussi a imposer une présence belge francophone dont il prétend assurer l'exclusivité et dont les Wallons et la Wallonie sont exclus. D'autant plus facilement que bien des hommes politiques Français (non pas tous), peinent à admettre qu'il y ait deux groupes francophones spécifiques en Belgique (Wallons et Bruxellois), leur jacobinisme étant en contradiction avec l'émancipation des petites nations, sauf si cela les intéresse comme c'est le cas du Québec (et encore, ce n'est pas sûr, on l'a vu récemment). Le FDF tout en poursuivant un projet national et même nationaliste (la Belgique francophone, sans les Flamands), est parvenu à l'habiller d'un universalisme français qui plaît aux Français et plus largement dans la Francophonie. On verrait bien surgir de ses rangs, tant à l'égard des régionalistes bruxellois que des régionalistes wallons, l'accusation du «repli sur soi», accusation classique lancée par tous ceux qui ne veulent pas qu'existent les petites nations.
Certes, le FDF défend la Francophonie et cela peut assurer sa popularité tant en France qu'au Québec, mais ce bloc enfariné de discours sur l'ouverture et la fraternité universelle ne me dit rien qui vaille. Son habileté rhétorique n'a d'égale que sa force politique en Belgique puisqu'il tient dans la capitale belge les positions que j'ai dites, une capitale qui est la plus importante agglomération du pays. Les Flamands le détestent. Et le fait que nous nous en méfions tout autant en Wallonie, lui permet de lancer l'accusation que n'étant pas rabiquement antiflamand comme il l'est, nous serions de mèche avec le nationalisme du Nord pour étouffer Bruxelles. La vérité est ailleurs: le FDF, soit dans une Belgique française, soit dans une Belgique française rattachée à la France n'a de projet pour la Wallonie que celui de la réduire à une entité administrative, sans identité politique ni culturelle. La fin du conflit communautaire belge qui se terminerait par une entente équilibrée entre Flamands, Wallons et Bruxellois dans une confédération d'Etats indépendants (solution qui s'esquisse), lui ferait perdre sa raison d'être. Il ne souhaite donc pas que les querelles belges se terminent. Il vit de ce conflit même quand il est sans vrai enjeu comme dans la périphérie bruxelloise, quitte à ce que ce conflit inutile hypothèque encore longtemps l'avenir des Flamands, des Wallons et des Bruxellois.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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