Unir peut être raciste

Chronique de José Fontaine


Bien que les questions qui opposent Flamands et Wallons ne sont pas d’abord des questions de langue, mais des projets de société fort différents et des mémoires qui s’opposent (selon Camille Tarot, c’est surtout les mémoires qui opposent les hommes car elles renvoient aux société alors que les cultures au contraire se diffusent facilement), je voudrais quand même un peu parler de cette question
Expériences positives et négatives des contacts linguistiques
Pour ce qui est de la façon dont les Wallons et Flamands parlent de leurs expériences positives, Kobe De Keere, Mark Elchardus et Olivier Servais se sont livrés à une expérience passionnante (mais qui ne concerne que la langue alors que la langue n’est certainement pas le principal motif d’opposition entre Wallons et Flamands, le plus spectaculaire, cela oui, raison pour laquelle j’ai lu ce livre avec beaucoup de méfiance). Ils ont rassemblé cela dans un livre intitulé Un pays, deux langues (Lanoo, Tielt, 2011). Ils ont rassemblé des Wallons et des Flamands leur demandant de raconter des histoires soit négatives, soit positives de leurs contacts. Il y a à peu près autant d’histoires négatives que positives. Mais les trois auteurs (deux Flamands et un Wallon ou francophone), sont bien obligés de constater que les histoires positives sont les plus vagues, les moins précises, qu’elles sont surtout commandées par la volonté de montrer le beau côté des choses. Ils en arriveraient même à douter de la réalité de la plupart des histoires qui montrent le beau côté des contacts. C’est d’autant plus frappant que ces trois auteurs souhaitent en arriver malgré tout à une Belgique où tout le monde serait bilingue, donc un peu à la Belgique dont Brel rêve comme dans un You tube ancien où il dit (assez bêtement d’ailleurs), que le service militaire devrait être remplacé par un séjour d’immersion linguistique en Flandre pour les Wallons et en Wallonie pour les Flamands. Vu ajoute-t-il que la manière d’aimer ou ne pas aimer les épinards sont les mêmes de chaque côté de la frontière...
Bilinguisme n’est pas Diglossie
Mais c’est un mauvais rêve car tous les linguistes sont d’accord pour dire que le bilinguisme généralisé qui d’ailleurs doit s’appeler diglossie (l’existence dans une même population de plusieurs langues qui sont parlées par presque tout le monde : en Wallonie le français et le wallon le sont encore aujourd’hui, ou le Luxembourg qui a même trois langues mais qui en souffre aussi diablement, car aucune d’entre elles n’est la sienne, je ne fais que rapporter ce que m’ont dit bien des Luxembourgeois), est justement quelque chose qui peut naître spontanément d’une société (au Luxembourg par exemple), mais qui ne peut s’imposer par décret.
Les auteurs écrivent d’ailleurs ceci qui me donne froid dans le dos : « Tant qu’un solide bilinguisme ne parviendra pas à se développer et qu’il n’y aura pas de fournisseur unique de narrations tels que les médias, les deux communautés continueront à percevoir les mêmes événements d’une toute autre façon parce qu’ils les voient toujours à travers le prisme de leurs histoires personnelles. » (p.94, c’est la conclusion)
Cela me donne froid dans le dos, car il y a dans cette phrase dont peut-être les auteurs n’ont pas tout à fait mesuré la portée, la volonté de rendre les êtres humains exactement pareils les uns aux autres, au moins dans le cadre belge, de supprimer toutes les différences entre eux. C’est comme s’ils désiraient, au nom d’une idée abstraite de la Belgique, supprimer les éléments qui opposent Flamands et Wallons, mais avec une finalité et des méthodes même finalement qui font penser aux utopies les plus dangereuses et les plus meurtrières. Je comprends le rêve d’unité mais celle-ci a, me semble-t-il, intérêt à demeurer tragique, à se construire à travers conflits, malentendus, ressentiments etc. Sinon, si on supprime tout cela, en quoi l’unité demeurerait-elle encore une unité humaine ? En rien, évidemment si, au nom de l’unité des hommes, on entend supprimer leurs différences. C’est tout aussi certainement nier leur humanité que si l’on faisait des différences le signe d’une appartenance à une autre espèce que l’espèce humaine, ce qui est très clairement aussi un projet meurtrier et même exterminateur, on le sait.
Mes histoires positives
Je vais ajouter quelque chose, en espérant ne pas faire le malin. C’est peut-être justement à cause de mon expérience d’autonomiste wallon militant que j’ai, au contraire, y compris ici sur facebook par exemple, des expériences positives à la pelle dans mes contacts avec les Flamands. Je ne « parle » le néerlandais que de manière exécrable, mais je suis allé faire des conférences en Flandre plusieurs dizaines de fois pour y dire ma vision de la Wallonie et de ses rapports avec la Flandre. Bénéficiant heureusement de l’indulgence des publics flamands qui m’invitaient. Un Flamand me disait encore l’autre jour que l’important c’est quand même de pouvoir se comprendre et se parler (je suis d’accord même si je pense qu’il faut aussi des gens qui maîtrisent bien une ou des langues).
Hier même, un ancien étudiant flamand de l’université de Gand (qui m’avait invité dans les années 90 à cette université) m’a contacté pour que je vienne parler lors de la fête nationale flamande dans son patelin où il est devenu échevin. Je n’ai pas noté malheureusement toutes ces rencontres, mais j’ai chaque fois été pleinement reconnu, apprécié, applaudi et pourtant je n’ai jamais mis mon drapeau wallon en poche, bien au contraire. Je crois avoir parfois donné des explications par exemple de la raison pour laquelle les Wallons répugnent vraiment à parler le néerlandais et qui ont pu être comprises. Parce que cela leur est imposé à l’école et que cela est subi seulement comme une contrainte, ce qui peut ne pas être tout à fait la même chose en Flandre étant donné l’existence en Flandre d’élites qui sont parfaitement francophones (3 à 400.000 Flamands soit de 5 à 10% de la population et dont la culture est véritablement française, le plus souvent), des élites parfaitement néerlandophones n’existant pas en Wallonie - chose qui s’explique par l’histoire, non par un quelconque mépris du néerlandais par les Wallons.
On me dira que ces raisonnements ne sont que d’un intérêt politique secondaire. Je pense que non parce que force m’est de constater que ce sont souvent des arguments de ce type qui sont utilisés dans bien des débats familiers. Un Brel disait aussi que de part et d’autre de la frontière, les Flamands comme les Wallons ont tous le nez au milieu du visage. Ce qui ne l’a jamais empêché pourtant d’exprimer dans ses chansons, lui pourtant Flamand d’origine, une véritable haine de la Flandre. Une réalité dont un anthropologue flamand, Johan Leman, m’a un jour expliqué l’origine, très présente chez plusieurs écrivains flamands de langue française de la deuxième génération des écrivains belges. L’article est paru dans la revue TOUDI mais n’a pas encore été archivé sur Internet.
Une bonne théorie de ceci a été élaborée par Taguieff

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    14 mai 2011

    Ce qui m'effraie le plus, Monsieur Fontaine, c'est la volonté de certains cénacles "européens" d'agir de la même manière au niveau d'un continent en voulant "belgifier" cinq cent millions d'habitants. Heureusement, les Allemands commnencent à renacler. Merci Madame le Chancelier.