Un livre embêtant pour la monarchie

Chronique de José Fontaine

Belgique un roi sans pays de Martin Buxant (La Libre Belgique) et Stenven Samyn (De Morgen), Plon, Paris, 20011 rassemble, en partie certes, car il y a beaucoup d'informations neuves, des informations qui étaient déjà connues, mais il faut parfois les rechercher plic ploc dans des tas de publications et c'est bien de les avoir toutes ici rassemblées, sauf que peut-être, il aurait été intéressant d'avoir les sources, les dates exactes de certains événements. Et parfois on aurait pu éviter de mauvaises traductions du néerlandais (je le dis parce que je travaille d'arrache-pied à les éviter quand on me confie une traduction). (J'ajoute aussi que la décomposition du pays belgique ne me rend pas du tout inattentif à ce qui se passe au Québec et comme je l'ai dit, le fait que le NPD a tant d'élus au Québec n'élimine pas la question québécoise, au contraire).
Parler de la monarchie lui fait du tort
L'Anglais Walter Bagehot, en quelques dizaines de pages, a résumé au 19e siècle le mode d'emploi de la monarchie constitutionnelle:par-dessus tout, «notre monarchie britannique] doit être révérée et lorsque vous farfouillez à son propos, vous ne pouvez pas la révérer» ([The English Constitution, p. 76). Il dit aussi que la reine il s'agit de la reine Victoria reine d'Angleterre et impératrice des Indes] ne peut être mêlée au combat politique sans quoi elle perd la possibilité d'être respectée par ceux qui participent à ces joutes, puisqu'elle en devient l'un des protagonistes. En fait dans Belgique, un roi sans pays, les deux auteurs ne chargent pas trop, finalement, le roi Albert II, [qui est fort apprécié par une grande partie de la classe politique belge, tant en Wallonie qu'en Flandre d'ailleurs.
Mais tout de même les auteurs révèlent que le 7 octobre, recevant les partis écologistes de Flandre, Wallonie et Bruxelles, de même que le CDH, le roi pique une véritable colère parce qu'il apprend que les deux grands partis en Flandre (la NVA) et Wallonie (les socialistes), pourraient vouloir aller aux élections (pp. 82 et suivantes). Et il dit à ses interlocuteurs du moment qu'il s'opposera à la tenue de nouvelles élections (survenant après celles du 13 juin de cette année 2010), car on parle de la tentation de ces deux partis de le proposer, au vu de leurs bons résultats dans les sondages. Evidemment, fine finaliter, un roi constitutionnel n'a pas le pouvoir d'empêcher que se tiennent des élections si le gouvernement et le parlement en décident autrement. Mais comme le dit Bagehot à la p. 83 de son livre que je viens de citer, un roi constitutionnel, au courant des affaires, avec son expérience, avec l'appui de son cabinet (qui est très important en Belgique), peut, à l'aide d'arguments tirés de tout cela «jeter le trouble dans l'esprit d'un ministre» (Bagehot, p. 85).
Une difficulté de plus pour la monarchie belge, c'est que le plus important parti flamand, la NVA, est ouvertement républicain et désire, en prenant son temps, mettre fin à l'existence de la Belgique elle-même. Son leader a d'abord été bien reçu par le roi. Puis lorsque, peu après la date de la colère royale, Albert II a confié une nouvelle mission à Bart De Wever, il a voulu strictement l'encadrer, la limiter, ne pas utiliser pour la désigner des termes employés par des politiques plus en accord avec la monarchie et désireux de garder la Belgique en vie ( Samyn, Buxant, pp. 83-85). Cela a déplu, d'autant plus que cette mission a échoué, les partis wallons et francophones rejetant trop vite, semble-t-il, les propositions du leader nationaliste flamand. En outre, Albert II ne l'a pas informé de la nouvelle mission qu'il confia à Johan Vande Lanotte. Mission qui échoua également. Je n'avais d'ailleurs pas compris comment, fin mars de cette année, dans trois de ses publications successives, Le Soir pouvait se réjouir de la froideur royale manifestée à l'égard de la NVA. Certes, le roi est une pièce sur l'échiquier politique, mais qui ne compte que parce que l'on peut penser qu'il est impartial. Or, fatalement, dès qu'on sait un peu trop ce qu'il fait, dit, conseille, il ne l'est plus. Bagehot a mille fois raison.
La Belgique a-t-elle besoin de monarchie?
L'une des raisons qui explique le poids politique de la monarchie belge, c'est l'idée fort répandue depuis l'entre-deux-guerres que dans un pays divisé culturellement en deux peuples, le roi serait le trait d'union idéal et même le créateur de l'unité. Mais à cela Arango dans son livre de 1961 Leopold III and the Belgian Royal Question (qui porte sur les événements de 1950) a déjà répondu: «Un monarque constitutionnel moderne est l'incarnation de la continuité historique et de l'identité nationales, mais il n'est capable de le réaliser que s'il existe déjà une tradition commune à chacun de ses sujets et que si le peuple dont il est la représentation forme un tout qui puisse se projeter dans une image claire et simple de ce qu'il est. En d'autres termes, le monarque est l'effet et non la cause de l'homogénéité et du consensus.»Ramon Arango, Leopold III and the Belgian Royal Question, The John Hopkins Press, Baltimore, 1961, pp. 212-213. Et comme la Belgique n'est pas un pays uni, on peut raisonnablement soutenir que - bien plus encore que s'il s'agissait d'une nation cohérente comme l'Angleterre par exemple - ce n'est pas la Belgique qui a besoin de roi, mais le roi qui a besoin de l'unité belge. J'y reviendrai.
Le Prince-Héritier, une catastrophe
Le roi des Belges a 77 ans et son successeur, selon la Constitution belge, est son fils aîné, le Prince Philippe (il a eu 51 ans le 15 avril dernier). Déjà dans les années 1990, un personnage du palais royal, le Grand Maréchal de la Cour (fonction aujourd'hui supprimée mais qui avait trait plutôt au déploiement du rituel symbolique de la monarchie), avait estimé que le Prince était incapable d'être roi. Lorsque le frère du roi actuel, Baudouin Ier, décéda le 31 juillet 1993, beaucoup (y compris le principal intéressé), crurent que c'était Philippe qui lui succéderait. Il est vrai que c'était la volonté de Baudouin. (Samyn, Buxant, pp. 140-141).
Mais le Premier ministre de l'époque Jean-Luc Dehaene, lisant la Constitution, s'enquit d'abord des intentions du frère de Baudouin Ier, l'authentique successeur selon les textes. L'actuel Albert II lui répondit qu'il n'avait nulle intention de renoncer au trône. Dehaene se justifie d'ailleurs d'être allé contre les intentions de Baudouin Ier en estimant que celui-ci pensait régner encore un nombre important d'années au bout desquelles il aurait été plus logique, alors, que Philippe monte sur le trône. Hélas pour ce dernier, les temps n'étaient pas mûrs. Les auteurs du livre pensent que Philippe apprit son éviction par les médias. Ce qui ne donne pas nécessairement une bonne idée de la façon dont les membres de cette famille communiquent... (Samyn, Buxant, pp. 139-140, p. 146, la remarque finale est de moi-même).

Les fils du roi sont chez nous sénateurs de droit (mais ne jouent pas de rôle politique, ne votent que sur des choses qui reçoivent un appui unanime). Or, en juin 1994, alors qu'il prenait la parole au Sénat, dans le cadre d'une Commission intéressée par la recherche des enfants disparus, les sénateurs eurent la surprise d'entendre le Prince plaider pour l'interdiction de la pornographie (Samyn, Buxant, p. 147). En 2001, il clame à tout vent qu'il ne veut pas que la compétence du commerce extérieur soit confiée aux entités fédérées (il a succédé à son père à la présidence honorifique des missions commerciales belges à l'étranger et est horrifié à l'idée qu'il aurait comme partenaire, par exemple, un ministre wallon).
Louis Michel (1) raconte ceci qui est tout de même étonnant: «Il [Philippe] est venu visiter ma ville (...) En tant que maire, je lui ai souhaité la bienvenue et je voulais lui présenter les responsables locaux. Mais nous n'avons même pas pu entamer la présentation, il m'a directement interpellé publiquement: "Pourquoi voulez-vous régionaliser cette compétence? [le commerce extérieur] J'y suis tout à fait opposé." Mes tentatives pour le calmer n'ont pas aidé et il a commencé à crier de plus en plus fort. Je lui ai dit : "Monseigneur, tout à l'heure peut-être nous pourrons en parler." Mais il a continué à râler comme un fou. A un moment donné, il a même commencé à tirer sur ma veste! "Vous n'avez pas le droit de faire cela, vous n'avez pas le droit de faire cela", disait-il. C'était vraiment hallucinant. Le bonhomme ne semblait pas remarquer que les élus dans ce pays ont le dernier mot. Et qu'il n'y a que peu de gens qui sont nés princes...» (p. 150) D'autres incidents eurent lieu en 2005 (Philippe confie à des journalistes que si des politiques veulent en arriver à la séparation du pays, ils le trouveront sur sa route), en 2007 (il apostrophe brutalement deux journalistes critiques de la monarchie en leur annonçant qu'il leur interdira l'accès au palais royal), en 2009 il donne une interview d'une rare platitude truffée de lieux communs et sans intérêt, etc. On l'a vu à la télé, le jour où ce livre est sorti, arroser des fleurs lors d'une réception avec le champagne que son hôte lui avait offert... C'est à un tel point que les auteurs de Belgique, un roi sans pays citent un haut responsable politique: «Je me demande parfois si Philippe comprend que le roi a un rôme de médiateur et de représentation. Il nous a plusieurs fois fait comprendre: "Quand je serai roi, vous allez voir ce que vous allez voir." Et c'est une grande source d'inquiétude pour le futur.» (Samyn, Buxant, p.167).
Une monarchie protocolaire? Même pas peut-être...
Certains parlent en conséquence de réduire la monarchie belge (qui a un rôle politique au sens où Bagehot en parle), à une monarchie purement protocolaire comme dans les monarchies scandinaves. Le problème c'est que ces monarchies peuvent fonctionner (je renvoie ici à ce que dit Arango), même sur ce plan, peut-être un peu subalterne (et encore), parce qu'elles sont la résultante, comme symboles, de nations unies. Mais même comme monarchie protocolaire, comment la monarchie belge pourrait-elle encre fonctionner si la division du pays est à ce point manifeste? Et que seule son unité donne au fond du sens à la monarchie. Bien avant que tout ceci ne soit connu, le directeur trop tôt disparu de la meilleure revue intellectuelle de langue française en Wallonie et à Bruxelles, Théo Hachez écrivait : «Un vieil adage veut que la cohésion du pays ne tienne qu'à la monarchie. Sans doute, mais si l'unité ne repose que sur une institution dont le sens aujourd'hui nous échappe, il faudra en tirer les conclusions et renverser la proposition: l'apparente cohésion du pays ne sert qu'à justifier un régime archaïque.». Il le disait à propos d'un autre problème qu'avait posé Baudouin Ier en 1990, lorsqu'il s'opposa à une loi, pourtant votée par le Parlement, et dépénalisant l'avortement.
Je laisserai les auteurs conclure: «Jusqu'ici Albert II a eu les épaules assez larges que pour ne pas laisser l'édifice royal s'effondrer. Mais tout porte à croire - de la difficulté de la succession royale à l'évolution des esprits de la clase politique en passant par un pays (?) si particulier à gouverner - que le temps presse. Jusqu'ici le roi est à la tête du pays. Jusqu'ici ce pays a un roi. Jusqu'ici.» (Samyn, Buxant, p. 195).
(1) Les auteurs ne disent pas son nom mais le décrivent comme «un vice-Premier ministre de cette année-là». Or les deux autres en cette fonction étaient des femmes à l'époque, et le troisième n'a jamais été bourgmestre d'aucune ville, de sorte qu'on peut le reconnaître facilement: j'ignore pourquoi ce nom, si facile à deviner, n'est pas cité.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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