Je ne veux pas vous emm... avec Kate

Chronique de José Fontaine

... Car on en aura parlé jusqu'à l'indigestion généralisée. Cependant, à un âge plus avancé que le Prince-Héritier anglais, le Prince-Héritier belge, Philippe, s'est marié lui aussi, en décembre 1999. Bien entendu, la Belgique est un pays de dix millions d'habitants et n'a été jamais qu'une moyenne puissance, alors que l'Angleterre, même si elle ne gouverne plus l'Empire d'autrefois, garde assez de splendeur (la France aussi d'ailleurs), pour attirer sur elle l'attention du monde entier lors d'événements de ce genre qui sont sans doute plus appréciés pour la qualité du spectacle (indéniable), qu'autre chose. N'empêche que les deux cérémonies avaient aussi un sens politique.
Une très bonne observation sur les monarchies modernes
D'une seule phrase, lorsqu'il évoque la question royale belge de 1950 dans un livre de 1961 (à une époque où existait un lourd consensus tacite pour que personne n'en parle, qu'il s'agisse des politiques, mais aussi des historiens etc.) , Arango écrivait en anglais un livre que, apparemment, personne n'a lu en Belgique (ou fait semblant) et où il dit: « Pourquoi les principaux adversaires se retrouvèrent-ils dans une telle impasse au cœur de l'été 1950 ? La réponse à cette question, c'est, comme le lecteur peut s'en rappeler, le chapitre I de ce livre qui la propose. Un monarque constitutionnel moderne est l'incarnation de la continuité historique et de l'identité nationales, mais il n'est capable de le réaliser que s'il existe déjà une tradition commune à chacun de ses sujets et que si le peuple dont il est la représentation forme un tout qui puisse se projeter dans une image claire et simple de ce qu'il est. En d'autres termes, le monarque est l'effet et non la cause de l'homogénéité et du consensus. Le problème du consensus est au cœur de la question royale. Pour le Belge moyen, l'affaire royale devint un concentré de tous les points sur lesquels la société belge était en défaut de cohésion - les contentieux ethniques, linguistiques, religieux et économiques discutés dans les chapitres précédents. » (C'est moi qui souligne. Ramon Arango, Leopold III and the Belgian Royal Question, The John Hopkins Press, Baltimore, 1961, pp. 212-213.)
Ce qui est constamment oublié en Belgique, c'est cela: que le monarque n'est que l'effet et non la cause du consensus. Les premiers à l'oublier furent sans doute les rois eux-mêmes. On pourrait encore passer sur les deux premiers qui jouèrent sans doute un rôle politique tout à fait important et débordant largement le cadre de ce que doit être une monarchie constitutionnelle. Mais ils n'ont pas été perçus nécessairement comme la "cause" du consensus. Il a pu s'agir d'autre chose.
Une observation de l'étranger sur la monarchie belge
Un des meilleurs historiens belges, Jean Stengers, décédé il y a quelques années, au surplus assez souvent critique à l'égard de la monarchie belge a, sans peut-être le vouloir vraiment, repris à son compte une observation de l'étranger qui est lamentable. « On a fait l'observation très juste que le Roi» [Léopold Ier, 1831-1865)], écrit Jean Stengers, citant A. Craven (et le reprenant à son compte) «était peut-être en Europe le seul monarque duquel on pût dire qu'il donnait de l'importance à son pays, au lieu de lui devoir celle qu'il possédait» (A. Craven, Lord Palmerston. Sa correspondance intime pour servir à l'histoire diplomatique de l'Europe de 1830 à 1865, t. I, Paris, 1878, p. 146, cité par Jean Stengers, L'action du roi en Belgique depuis 1831, Duculot, Gembloux, 1992, p. 252)
Il y a là le péché capital de la monarchie et des monarchistes : admettre que le roi se substitue au pays pour lui donner une grandeur que seul lui-même peut se donner à soi comme tout peuple, puisque tout peuple est grand. C'est la seule observation que je ferai comme en passant sur le mariage de Kate et son Prince. Qu'il s'agisse de respecter leur famille royale ou de la traîner dans la boue et c'est aussi le cas du roi ou de la reine (quoique avec plus de réserves et encore...), les Anglais ne considèrent évidemment pas leur roi comme donnant de l'importance à leur pays! Les Anglais sont trop démocrates pour faire pareille bêtise. Je me souviens d'avoir été un jour invité à la télé pour parler de cette question de la monarchie belge. Avant de passer en direct, l'animateur interrogeait chacun lui demandant ce qu'il allait essayer de dire. Je lui avais répondu ceci : qu'en Angleterre, les Anglais font semblant d'être encore monarchistes alors que, en réalité, à travers leur roi, ils se voient surtout eux-mêmes et ils ont évidemment raison (à la limite, même l'archaïsme de l'institution n'est pas pour leur déplaire, ils se savent modernes et le mélange de l'archaïque et du moderne, c'est un mélange que les Anglais adorent). J'ai vu la contradiction se peindre instantanément sur le visage de mon interlocuteur et il m'a fallu me débattre comme un beau diable pour avoir la parole! (j'use du mot beau puisque c'est l'expression consacrée).
Le coup de grâce à la monarchie belge et aux monarchistes belges
Maintenant reliez cette idée acceptée par certains Belges que c'est le roi qui fait l'importance de leur pays à l'idée qui est apparue dans les premières décennies du XXe siècle, que, en plus, c'est le roi qui fait l'unité du pays étant donné notamment (mais pas seulement), sa dualité radicale! Vous aurez vraiment quelque chose qui est inacceptable pour n'importe quel peuple, grand ou petit: à savoir que c'est un homme succédant à son père et transmettant sa fonction à vie à son fils quand il meurt qui fait le peuple. Idiot! Pourtant c'est bien comme cela que les hommes politiques s'expriment souvent. Même le socialiste flamand Van Acker l'a répété jusqu'à la nausée et tout le monde le recopie encore (hier encore au Forum de Midi à la RTBF): Achille a répété toute sa vie que la Belgique a besoin de la monarchie comme de pain. Quand on dit cela et qu'on le croit, il faut s'attendre à des désastres, bien entendu. Comme celui de 1950. Car le pain royal qu'offrirait un seul homme à un peuple, quel qu'il soit, est de nature à faire au contraire mourir ce peuple s'il ne compte que sur cette sorte de nourriture-là.
Les hommes politiques belges sont-ils aussi sots? Je ne le pense pas. Il vaut mieux ne pas prendre les gens pour des imbéciles et diviser le monde en bons et mauvais, ou entre c... et intelligents. J'en veux pour preuve que, en 1961, sentant que la grève générale terrible en Wallonie qu'il avait assumée puis dirigée, allait dans le mur, le syndicaliste radical qu'était André Renard compta tout de même sur le roi Baudouin (différent de son père peut-être justement à partir de ce moment-là, ce qui est frappant), pour obtenir une médiation entre ses troupes lancées dans un combat désespéré en Wallonie et le gouvernement s'appuyant sur 40.000 militaires bien armés pour y casser la grève du pays wallon.
Le calcul malgré tout monarchiste d'André Renard
On retombe ici sur un nouveau mariage ! Celui de Baudouin Ier en décembre 1960. Ce mariage du roi coïncide avec son émancipation à l’égard de son père et les grèves de 60-61 se déclenchent quelques jours plus tard.
Marié le 15, le roi revient de son voyage de noces, le 29 décembre. Les socialistes si souvent critiques de la monarchie les dix années précédentes, souhaitent voir le roi jouer un rôle, ne serait-ce que le rôle de récepteur de la démission du chef du gouvernement qui a lancé ses troupes sur la Wallonie, Gaston Eyskens. Mais aussi, pense V.Delcorps que je suis ici fidèlement, parce que le « roi conserve un statut supérieur » (p.160). Pour l’hebdomadaire Pan, « André Renard sait que le Palais est tellement inquiet des tendances fédéralistes [note de J.Fontaine : à l'époque le mot voulait quasiment dire séparatiste, Renard voulait d'ailleurs une Wallonie bien plus autonome que le Québec et même plus autonome que la Wallonie ne l'est devenue], que le Roi en est à craindre une victoire des modérés qui serait celle de la Flandre sur la Wallonie (…) Pour réusssir, il lui fallait le chaos. Il l’a. » (Pan du 4/1/1961). C'était assez bien observé. Cela montre aussi que lorsque vous attribuez un rôle social à quelqu'un, même de manière totalement absurde, cet homme garde malgré tout une importance. Renard, dont je suis certain qu'il n'était pas royaliste au sens bénêt du « La Belgique a besoin de monarchie comme de pain», ni même en aucun sens, était tout de même assez politique pour comprendre que le roi pouvait être utilisé pour gagner une partie politique. Surtout si les socialistes wallons lui faisaient peur, ce qui est avéré (ils les avaient vus éliminer son père).
Les catholiques et les nationalistes flamands avaient compris aussi entre 1945 et 1950, que le roi pouvait être joué comme une simple carte, même s'ils avaient joué là une très mauvaise carte: le roi de pique Léopold III qu'ils durent lâcher. Mais ils avaient gagné grâce à lui la majorité absolue de sièges au parlement belge, c'était déjà cela même si ce devait être la dernière fois.
Ce qui montre bien que les hommes politiques belges ne sont pas idiots et qu'ils ne font que semblant de croire que la Belgique a besoin de monarchie comme de pain.
Renard, lui, ne parvint pas à ses fins. Il tenta alors d'ouvrir un nouveau front en essayant de faire démissionner les parlementaires socialistes wallons, ce qui aurait pu conduire directement à des élections et à la nécessité d'une révision constitutionnelle dans le sens du fédéralisme (alors complètement diabolisé dans une Belgique se prétendant aussi une et indivisible que la République française). Il échoua aussi sur ce point. Et cet homme, en lequel les Wallons ont raison de voir leur vraie grandeur, cet André Renard qui fut l'homme de l'hiver 1960-1961 mourut durant l'été 1962 à 51 ans. Mais c'est grâce à la grève à laquelle il avait donné une dimension fondamentalement socialiste et wallonne, que nous sommes en train de conquérir notre émancipation sur toutes les sujétions absurdes que nous subissons dans ce Royaume de Belgique qui est une horreur pour l'esprit et pour le coeur. Car ce dont les peuples ont besoin comme de pain, c'est de leur liberté et rien d'autre.
Pauvre mariage de Philippe et de Mathilde
J'oublie de dire que si la foule était au rendez-vous du mariage de Kate, le mariage de Mathilde (la femme du Prince-Héritier belge) en décembre 99, fut un extraordinaire flop, des commentateurs de la télé vendant la mèche en posant sans cesse, en direct et avec angoisse, la question« Mais y a-t-il plus de monde que tout à l'heure?». Et le chiffre cité dans cette analyse très critique de l' ancienne ATA (Association des téléspectateurs actifs de Bernard Hennebert), est encore vraiment trop gentil.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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